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Liban : La colère

Abir Taleb, Mardi, 21 janvier 2020

Alors qu’elle entame son quatrième mois, la contestation au Liban entre dans une nouvelle phase, nettement plus violente. Exaspérés par le blocage politique et la crise économique, les Libanais perdent patience.

Liban : La colère
Les manifestations ont fait près de 400 blessés depuis samedi 18 janvier. (Photo : AFP)

Trois mois après son déclenchement, le mouvement de contestation a pris cette semaine un nouveau virage. Aux manifestations à l’ambiance festive et joyeuse ont pris place des émeutes violentes.Tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes, usage de canons à eau d’un côté, manifestants qui jettent des pierres, des pétards et même des poteaux de signalisation en direction des forces de l’ordre de l’autre, actes de vandalisme, saccage de vitrines de banques et d’institutions publiques, arrestations musclées, blessés en centaines : les violentes scènes de cette semaine n’avaient rien à voir avec celles des premiers jours de la contestation.

Car les Libanais en ont marre et ils le crient haut et fort. Ils appellent à la chute de tous les responsables politiques, qu’ils accusent de corruption et d’incompétence, alors que le pays traverse une grave crise économique et de liquidités. Mais aucune issue n’est en vue trois mois après le début du mouvement, le 17 octobre 2019, et le premier ministre désigné, Hassane Diab, après la démission de Saad Hariri aux premiers jours de la contestation (le 29 octobre), ne parvient toujours pas à former un gouvernement. Les informations avaient pourtant fait état d’une annonce proche, suite aux débordements du samedi 18 décembre, journée au cours de laquelle les manifestations ont tourné à la révolte populaire. Le lendemain, Hassane Diab s’est rendu au palais présidentiel de Baabda pour y rencontrer le président libanais Michel Aoun. D’aucuns s’attendaient à ce qu’il en sorte avec une liste en poche. Il n’en fut rien. Le premier ministre désigné a quitté le palais présidentiel sans faire la moindre déclaration. Et le premier ministre sortant de monter au créneau. « Il y a une feuille de route pour calmer la colère populaire. Arrêtez de perdre du temps, formez un gouvernement, ouvrez la porte aux solutions politiques et économiques », a tweeté Saad Hariri dimanche 19 janvier.

Le même cercle vicieux

Comme dans les cas précédents — le Liban a toujours eu du mal à former des gouvernements ou élire des présidents en raison des équilibres politico-confessionnels —, la formation du gouvernement bute, selon les analystes, sur les demandes des partis politiques concernant les représentations des confessions et de l’équilibre. Hassane Diab aurait du mal à satisfaire tous les acteurs politiques. Or, c’est justement ce système qui régit la vie politique au Liban depuis des décennies qui est rejeté par la rue. D’où le rejet de Hassane Diab de la part de la rue : d’un côté, il fait partie, pour les Libanais, de la même classe politique corrompue dont ils réclament le départ ; de l’autre, la désignation de Hassane Diab a été appuyée par les partis du 8 mars, dont le Hezbollah, qui s’opposent formellement à tout cabinet de technocrates indépendants, comme cela est réclamé par la contestation. Cela dit, Hassane Diab dit toujours qu’il entend privilégier un gouvernement de technocrates indépendants, alors que le président de la République et le président du parlement souhaitent, de leur côté, voir un gouvernement techno-politique.

Pourtant, suite à sa nomination, la situation s’était quelque peu calmée et les Libanais portaient alors l’espoir d’un changement, d’un gouvernement salvateur qui puisse au moins les sortir du marasme économique.

Car l’économie est au centre de tous les enjeux. En effet, ces derniers jours, la contestation s’est concentrée sur les établissements bancaires, que les manifestants jugent en partie responsables de la situation, notamment à cause des restrictions draconiennes imposées sur les retraits financiers (200 dollars par semaine et par personne). Une décision qui passe mal d’autant plus que la multiplication de scandales nourrit cette colère : fin décembre, la presse locale a ainsi révélé que de hauts fonctionnaires, hommes politiques et banquiers avaient réussi à transférer de grosses sommes à l’étranger, échappant ainsi aux restrictions. Et, selon un rapport du Centre Carnegie, 800 millions de dollars seraient ainsi sortis du Liban entre le 15 octobre et le 7 novembre 2019.

Pendant ce temps, la dette du pays s’est alourdie pour atteindre aujourd’hui 155 % du PIB, soit 90 milliards de dollars. Et la monnaie locale a déjà perdu la moitié de sa valeur ces derniers mois (le dollar se vend désormais à 2 500 L.E.). La Banque mondiale tire la sonnette d’alarme : trois millions de Libanais (sur une population de 6 millions) pourraient bientôt vivre en dessous du seuil de pauvreté.

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