La « bataille finale » pour Tripoli lancée par l'ANL se poursuit.
Défiant le monde entier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, continue de faire monter les enchères. Dimanche 22 décembre, il a ouvertement déclaré que son pays augmenterait son soutien militaire à Tripoli si nécessaire et sous toutes ses formes. « Nous évaluerons tous les moyens de soutien militaire, y compris au sol, sur mer et dans les airs si nécessaire », a dit le dirigeant turc lors d’un discours dans la province de Kocaeli (nord-ouest). Cela dit, Ankara doit obtenir un autre mandat du parlement turc pour envoyer des soldats en Libye. Cette déclaration intervient au lendemain de la ratification par le parlement turc d’un accord de coopération militaire et de sécurité conclu le mois dernier entre Ankara et le Gouvernement libyen d’union nationale (GNA) de Fayez Al-Sarraj.
La réponse de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar ne s’est pas fait attendre : le même jour, elle a menacé d’abattre des appareils civils après avoir repéré, dit-elle, un Boeing 747-412 en provenance d’Istanbul transportant du matériel militaire. « L’armée abattra tout avion » transportant des armes. « Dès lors qu’il est utilisé à des fins militaires, le statut civil d’un appareil n’est plus », a lancé Ahmad Al-Mesmari, porte-parole des forces de l’ANL. D’ores et déjà, la veille, les forces de l’ANL avaient annoncé avoir arraisonné un cargo turc battant pavillon de la Grenade, au large de l’est de la Libye, pour le fouiller, selon elles. Ankara n’a pas fait de commentaires à ce sujet. Le navire turc a été conduit au port de Ras Al-Helal, près de Derna (est) « pour le fouiller et vérifier sa cargaison », a expliqué Ahmad Al-Mesmari dans un bref communiqué. Sur sa page Facebook, le porte-parole a publié une vidéo montrant l’interception du navire et des copies des passeports des trois membres de l’équipage, tous turcs. Vendredi 20 décembre, Al-Mesmari avait également déclaré : « Nous mettons en garde tout pays, Turquie ou autres, contre les tentatives de relier tout pont aux forces turques sur le sol libyen. Toute cible soupçonnée d’être un partisan ou un porteur de groupes terroristes ou turcs sera détruite ».
C’est dire que la tension est à son comble. Car Ankara a bel et bien ouvert la voie à une intervention en Libye. Selon un rapport de l’Onu datant du mois de novembre dernier, Ankara a déjà fourni à Tripoli des armes, des véhicules militaires et des drones, et ce, en violation de l’embargo des Nations-Unies sur la vente d’armes en Libye.
Manoeuvres malveillantes
Ces manoeuvres d’Ankara interviennent alors que la guerre en Libye entre dans une phase cruciale marquée par la « bataille finale » pour Tripoli lancée par l’ANL. Une offensive lancée en avril dernier mais qui, jusqu’à présent, a été bloquée en dehors de la capitale. Si la ligne de front bouge peu sur le terrain, les forces pro-Haftar dominent les airs depuis quelques semaines.
Le tout est aujourd’hui de savoir si la Turquie interviendra plus concrètement ou non, et si oui, quelles seront les conséquences d’une telle intervention. Selon les analystes, même si rien n’est à exclure, le scénario d’une intervention n’est pas le plus probable. Or, le président turc avait déclaré qu’une simple demande officielle de Tripoli pourrait mener à une intervention. Et le GNA a bel et bien demandé vendredi 20 décembre à cinq « pays amis » l’instauration d’accords sécuritaires bilatéraux pour l’aider à repousser l’offensive du maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli. Ces pays sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Algérie et la Turquie. Dans des lettres adressées à leurs dirigeants, le chef du GNA, Fayez Al-Sarraj, a exhorté ces « pays amis à activer les accords de coopération en matière de sécurité », selon un communiqué. Mais il n’a pas encore demandé d’intervention directe et l’on table sur le fait que Sarraj et son entourage calculeront les risques d’une telle intervention avant de décider de l’appeler.
Car une intervention directe est hautement risquée pour Ankara, tant sur le plan des relations extérieures que sur le plan interne. Car en Turquie, il ne semble pas y avoir de consensus sur l’envoi de troupes en Libye. « La Turquie ne devrait pas se lancer dans une nouvelle aventure », a estimé Utku Cakirozer, député du parti turc d’opposition CHP et membre de l’Assemblée parlementaire de l’Otan, dans une interview à Reuters. « Le gouvernement de l’AKP devrait immédiatement cesser d’être partie à la guerre en Libye », a-t-il lancé.
Le risque est aussi grand sur le plan régional. « La Turquie doit choisir entre suivre la voie de l’auto-isolement en continuant à jouer le rôle de fauteur de troubles dans la région, ou se comporter désormais comme un bon voisin », a déclaré le vice-ministre grec des Affaires étrangères, Miltiadis Varvitsiotis, au journal Ethnos de dimanche. Le chef de la diplomatie grecque, Nikos Dendias, a de son côté effectué dimanche 22 un périple éclair à Benghazi puis au Caire et à Chypre. Quant au président Abdel-Fattah Al-Sissi, il a vivement réagi la semaine dernière au rapprochement entre le GNA et Ankara, dénonçant toute velléité de contrôler la Libye voisine. « Nous n’autoriserons personne à contrôler la Libye (...) c’est une question qui relève de la sécurité nationale de l’Egypte », a mis en garde M. Sissi.
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