Le 15 mars 2011, des manifestations appelant à plus de démocratie et à des réformes éclatent dans plusieurs villes syriennes. Elles sont violemment réprimées par le régime, qui n’entend pas céder. Le 15 mars 2018, le régime, dont la ténacité n’a pas fléchi d’un pouce, poursuit sans relâche ses plans pour «
libérer » la totalité du territoire syrien. En sept ans, la révolte est devenue une guerre. Aux manifestants civils inoffensifs a pris place une panoplie de groupes et groupuscules d’opposition armés. D’une crise syro-syrienne, on est passé à un conflit bien plus large, incluant de nombreux acteurs internes et externes, qui se battent sur un territoire très morcelé, un conflit qui s’est complexifié avec les interventions étrangères.
Sur le terrain, dans ce conflit aux multiples acteurs, le président syrien, Bachar Al-Assad, reste le vainqueur. Preuve en est les derniers développements dans la Ghouta orientale, l’un des principaux fronts de guerre à l’heure actuelle. Pour la première fois depuis des années, Assad s’y est rendu, selon des images diffusées par la télévision publique, signe des succès enregistrés par son armée, appuyée par les forces russes. Fort de ces succès, Assad a félicité ses troupes pour avoir « sauvé Damas », cible d’obus et de roquettes tirés depuis le fief rebelle. Après un mois d’offensive (elle a été lancée le 18 février dernier), l’armée syrienne contrôle aujourd’hui plus de 80% de la Ghouta orientale. D’après l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), un accord entre Faylaq Al-Rahmane et la Russie, concernant l’évacuation des rebelles vers le nord de la Syrie, sera prochainement annoncé. Et au-delà de la question de l’évacuation des civils et des rebelles, les principaux groupes rebelles islamistes de la Ghouta orientale (Jaïch Al-Islam, Faylaq Al-Rahmane et Ahrar Al-Cham) se sont dit prêts à des « négociations directes » avec la Russie, sous l’égide de l’Onu, pour obtenir une trêve. Signe évident qu’ils sont en déroute.
Paradoxes
Contradiction, cette supériorité militaire du régime ne signifie pas une fin proche de la guerre, tant les choses se sont embrouillées durant ces sept années de guerre. Car sur l’autre front chaud de ces dernières semaines, celui d’Afrine, la situation témoigne de la complexité, et surtout de l’élargissement du conflit. Dimanche 18 mars, l’armée turque s’est emparée de la ville syrienne d’Afrine, y délogeant les Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde considérée par Ankara comme une menace à sa frontière, voire comme terroriste.
A la différence de la Ghouta, la situation à Afrine est plus complexe, car elle implique la Turquie et les Kurdes. Ces derniers ne comptent pas se rendre. Après son évincement, l’administration locale kurde de la région d’Afrine a promis que ses combattants deviendraient un « cauchemar permanent » pour l’armée turque et les combattants syriens alliés. « La résistance à Afrine va se poursuivre jusqu’à la libération de chaque territoire », a-t-elle clamé dans un communiqué. Mais les Turcs non plus ne comptent pas s’arrêter là. Le chef de l’Etat turc, Recep Tayyip Erdogan, a réitéré qu’après Afrine, la Turquie « nettoierait » les autres villes tenues par les YPG dans le nord de la Syrie, dont Menbij, où sont également postés des soldats américains.
Or, dans la lutte contre les djihadistes de Daech, cette même milice a été l’alliée de Washington, lequel est aussi allié d’Ankara, ce qui place cette dernière dans une position délicate, puisque des soldats américains se trouvent à Menbij. Aussi, depuis le début du conflit, Ankara s’est ouvertement affiché contre le régime de Damas, ce qui ne l’a pas empêché de s’allier à des combattants syriens dans la bataille d’Afrine. Un imbroglio où le mot d’ordre est : intérêt.
Durant ces sept années de guerre, des alliances se sont faites et défaites au gré des intérêts des uns et des autres. Selon certains observateurs, si Damas laisse aujourd’hui les mains libres à Ankara dans le nord de la Syrie, c’est une question de calculs. Pour l’instant, Assad laisse la situation pourrir au nord et se concentre sur les alentours de Damas, car bien tenir la capitale est essentiel. En même temps, il met les populations arabes de Raqqa, de Menbij et de Tell Abyad (près de la frontière turque) face à une seule option : se tourner vers le régime pour ne plus être sous la domination des Turcs ou des Kurdes. Quant à ces derniers, ils comptent aujourd’hui sur le soutien des Américains. Mais si celui-ci venait à disparaître— et c’est tout à fait possible —, ils seront obligés de se tourner vers d’autres puissances internationales (la Russie) ou régionale (l’Iran). La crise syrienne pourrait ainsi provoquer un remodelage des alliances régionales et internationales, notamment avec le retour de la Russie en tant qu’acteur de premier plan au Moyen-Orient.
Et pendant que les grands protègent leurs intérêts, le grand perdant reste le peuple syrien. En sept ans, le conflit syrien a fait 353935 morts, selon l’OSDH, dont le tiers sont des civils. D’autres organismes parlent d’un demi-million de morts. Le conflit a également fait 6,1 millions de déplacés à l’intérieur de la Syrie et 5,6 millions de réfugiés dans les pays voisins de la région dont le Liban, la Jordanie, l’Iraq et la Turquie, selon les données du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR). C’est sans compter les centaines de milliers de Syriens qui ont afflué en Europe. Dans cette guerre dévastatrice où chacune des multiples parties a ses propres calculs, les civils continuent donc de payer le plus lourd tribut.
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