L'assassinat de l'opposant Belaïd a aggravé la crise en Tunisie.
(Photo: Reuters)
Le meurtre de l’opposant Chokri Belaïd, la semaine dernière, a aggravé la crise politique en Tunisie. Cette crise perdure depuis des mois en raison de l’impossibilité de parvenir à un compromis ni sur une nouvelle équipe gouvernementale, ni sur le contenu de la Constitution dont la rédaction est dans l’impasse. Cet assassinat très médiatisé a déclenché une vague de violences qui ont fait un mort dans les rangs de la police.
Le pays a été aussi quasi paralysé vendredi par une grève générale contre la violence politique. Le meurtre de cet opposant anti-islamiste virulent est également intervenu dans un contexte de manifestations et de conflits sociaux à répétition depuis l’été en raison du chômage et de la misère, deux facteursclés de la révolution. Sans oublier l’impasse politique. En effet, jusque-là, la crise concernait les trois alliés de la coalition qui dirige le pays, à savoir Ennahda et deux petits partis de centre-gauche, dont celui du président Moncef Marzouki.
Mais lundi dernier, le parti du président, le Congrès Pour la République (CPR), a quitté la coalition gouvernementale. Le parti tire les conséquences du rejet de ses demandes, a expliqué dimanche l’un de ses cadres, Ben Amor, à Reuters. « Nous disions depuis une semaine que si les ministres des Affaires étrangères et de la Justice n’étaient pas remplacés, nous nous retirerions », a-t-il dit. Le départ des trois ministres CPR est un nouveau coup porté au gouvernement dirigé par le premier ministre Hamadi Jebali.
Le coup de poker de Jebali
Qui plus est, aujourd’hui, c’est le parti islamiste Ennahda, au pouvoir en Tunisie, qui est en proie à une crise ouverte avec la menace de Hamadi Jebali de démissionner à défaut de pouvoir former un gouvernement apolitique après l’assassinat de Chokri Belaïd. Aujourd’hui, la classe politique et la rue attendent le résultat du coup de poker de Hamadi Jebali, numéro 2 d’Ennahda, qui a pris de court son parti et ses alliés laïques de centregauche en annonçant préparer la création d’un gouvernement de technocrates pour éviter au pays « le chaos » après l’assassinat de Belaïd dont sont accusés, sans preuve, les islamistes. Il a précisé que les ministres de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères devaient changer, alors qu’Ennahda refuse depuis des mois de lâcher ces postes. Les futurs membres du cabinet devront aussi s’engager à ne pas participer aux prochaines élections, selon M. Jebali.
« Je présenterai l’équipe au plus tard au milieu de la semaine prochaine. Si elle est acceptée, je continuerai à assumer mes fonctions, à défaut, je demanderai au président de chercher un autre candidat pour former un nouveau cabinet », a dit M. Jebali à des médias tunisiens. Il a ensuite souligné à l’antenne de la chaîne France 24 que « tous les ministres seront des indépendants, y compris à l’Intérieur, à la Justice et aux Affaires étrangères », alors qu’Ennahda refuse de renoncer à ces ministères-clés. Le premier ministre a souligné que son initiative visait à empêcher que le pays « bascule dans le chaos et l’irrationnel », avant de lancer à ses détracteurs : « Quelle alternative ? La loi de la jungle ? ».
C’est la première fois que M. Jebali évoque sa démission. Les divisions au sein du parti opposent les modérés, dont il fait partie, et une frange radicale rangée derrière le chef Rached Ghannouchi. Il estime aussi ne pas avoir besoin de demander la confiance de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) où Ennahda dispose de 89 des 217 sièges. De son côté, la frange radicale d’Ennahda a prévenu qu’elle était prête à descendre dans la rue pour défendre la « légitimité des urnes », laissant présager la persistance des difficultés de la Tunisie à se stabiliser deux ans après la révolution de 2011, mais aussi une scission des islamistes. Un premier rassemblement samedi à Tunis a réuni quelque 3 000 personnes.
Et dimanche, les manifestants islamistes étaient un millier à Gafsa (centre). Malgré tout cela, le chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi, a écarté dans des déclarations publiées dimanche tout risque de division du mouvement. « Il n’y aura pas de division au sein d’Ennahda (qui) est attaché à ses institutions », a déclaré M. Ghannouchi au quotidien arabophone algérien El Khabar. « Le parti est très rigoureux lorsqu’il s’agit de son unité. Les divergences d’opinions à l’intérieur du parti existent et s’expriment en toute liberté. C’est pour cela que je pense que l’unité d’Ennahda n’est pas menacée », a-t-il ajout&´. M. Ghannouchi a aussi indiqué ne pas souhaiter la démission du premier ministre.
Ces développements risquent d’enfoncer encore plus le pays dans la crise, Ennahda ne parvenant pas depuis des mois à s’accorder avec ses alliés laïques, dont le président Moncef Marzouki, sur un remaniement gouvernemental, et l’insécurité et les conflits sociaux se multipliant.
Chômage et pauvreté : des problèmes latents
Ces remous s’ajoutent à la multiplication des conflits sociaux en raison du chômage et de la misère, deux facteurs-clés de la révolution de 2011 qui a renversé Zine Al Abidine Ben Ali. Sans oublier l’essor des groupuscules djihadistes responsables d’attaques sanglantes, dont celle contre l’ambassade américaine en septembre. Parallèlement à la crise au sein d’Ennahda, laminée par la lutte contre la dictature, l’opposition laïque tunisienne peine à trouver ses marques dans la transition démocratique face aux islamistes dont l’arrivée au pouvoir a été favorisée par sa désunion lors des élections postrévolutionnaires.
Pour le moment, la seule initiative commune de l’opposition a été le boycott jusqu’à nouvel ordre de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC). Les choses ont toutefois un peu changé à la suite du meurtre de Belaïd : l’opposition laïque a apporté cette semaine son soutien à l’initiative du premier ministre islamiste Hamadi Jebali. Mais cet embryon d’unité reste miné par les dissensions ressorties dès le lendemain de la révolution de 2011 qui a chassé du pouvoir Zine Al Abidine Ben Ali.
« Les décennies d’autoritarisme et de répression ont usé les démocrates et leur émiettement a empêché l’émergence d’une force unie et fait apparaître Ennahda islamiste comme une puissance », explique ainsi Kamel Laabidi, fondateur de l’ONG Vigilance pour la démocratie et l’Etat civil, cité par l’AFP.
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