"Evidemment on a peur" : à l'approche des législatives anticipées en France, les électeurs musulmans s'inquiètent d'une possible victoire de l'extrême droite, dont ils craignent d'être les premières victimes.
Pour Sarah, 23 ans, membre du collectif de femmes musulmanes "Khlass les clichés", il y a "un risque réel" de voir le Rassemblement national (RN) gagner les élections législatives", avec à la clé des "lois islamophobes" cherchant à "restreindre nos libertés individuelles", en matière de culte ou d'habillement par exemple.
Le Rassemblement national n'a pas caché dans le passé son hostilité à l'abattage rituel, qui interdirait de fait la viande halal et casher. En 2021, une de ses propositions de loi bannissait les "idéologies islamistes" et interdisait dans tout l'espace public le port du voile.
La loi en prévoit actuellement l'interdiction à l'école publique et interdit dans l'espace public le port du voile intégrale, type burqa.
La France compte une des plus importantes communautés musulmanes d'Europe (environ six millions de personnes de tradition ou de confession musulmane).
Sarah, qui n'a pas souhaité donner son nom, comme la plupart des personnes interviewées, s'inquiète aussi d'une "légitimation" de l'hostilité aux musulmans si, avec "un parti ouvertement raciste à la tête de l'Etat, les actes islamophobes se multiplient".
Samedi soir à Lyon (sud-est), une quarantaine de personnes d'ultra-droite ont déambulé dans les rues en criant "on est des nazis putain" et "islam hors d'Europe", selon des vidéos postées sur les réseaux sociaux. Le défilé a été condamné par le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, qui a appelé les pouvoirs publics "à agir immédiatement" face à "la libération de la parole extrémiste".
- "Boucs émissaires" -
M. Hafiz avait déjà fustigé le 11 juin "la montée inquiétante de l'extrême droite", en s'inquiétant de voir que le "Maghrébin", le "musulman", sont "devenus les boucs émissaires, les symboles de tout ce qui est perçu comme menaçant, comme étranger, comme incompatible avec une identité nationale supposément homogène".
"Dans la tête des gens, c'est confondu maintenant: immigration = islam", et "invasion d'une population et d'une religion", affirme à l'AFP l'imam de Bordeaux (sud-ouest) Tareq Oubrou.
Dans cette évolution, beaucoup de musulmans déplorent le traitement médiatique qui leur est réservé, alors que la France est touchée par une violente vague d'attentats commis au nom de l'islam depuis 2015.
"Dès que j'allume la télé, c'est dramatique, c'est islam islam islam, on confond avec l'islamisme, on met tout le monde dans le même sac", soupire devant la Grande mosquée Maryam, 46 ans, qui juge que "c'est plus difficile aujourd'hui qu'il y a quinze ans".
Cette mère de deux grands enfants leur a d'ailleurs conseillé "de faire des études pour pouvoir partir ailleurs", comme en écho à une récente enquête sociologique, "La France tu l'aimes mais tu la quittes", traduisant le malaise de certains jeunes musulmans tentés de quitter la France.
Mais les plus âgés aussi disent leur désarroi face aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet.
- Vote pour la gauche radicale -
"Evidemment on a peur, pas trop pour la religion, surtout pour le quotidien", avoue Fatima, 70 ans.
Karim Tricoteaux, franco-algérien de 32 ans, voit toutefois un espoir dans le sentiment que "les partis de gauche sont en train de s'allier et sont plus puissants". Bien sûr, il ira voter: "Ça va le faire", promet-il.
Aux européennes du 9 juin, les électeurs musulmans qui se sont rendus aux urnes ont voté à 62% pour le parti de gauche radicale La France Insoumise (LFI), selon un sondage Ifop pour le journal La Croix. Mais l'abstention a atteint 59% sur ce segment.
Aussi les responsables religieux appellent-ils à aller voter, et à ne pas prêter crédit aux vidéos sur les réseaux sociaux affirmant que la religion musulmane prône de refuser de participer à la vie démocratique.
"C'est des délires", affirme M. Oubrou en fustigeant "des ignares, qui ont un niveau bac -10 mais essaient de parler du droit canonique musulman".
"La religion musulmane prône au contraire le respect de l'autorité de l'Etat dans lequel on vit", assure M. Hafiz.
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