Urgentistes, psychiatres, gynécologues, généralistes... Depuis plus de vingt ans, la désertification médicale a conduit de nombreux établissements de santé en France à recruter des médecins en dehors de l'UE.
Ils sont entre 4000 et 5000 à travailler aujourd'hui en France, selon plusieurs syndicats. Leur nombre a grossi pendant l'épidémie de Covid-19, quand l'hôpital à bout de souffle cherchait des bras.
Mal rémunérés, employés en contrats courts renouvelables, ces "praticiens à diplôme hors UE" (Padhue) assurent souvent les mêmes fonctions que des médecins seniors et peuvent espérer une "autorisation de plein exercice", via un concours sélectif baptisé EVC et après examen de leur dossier.
Pour les non-lauréats, un régime dérogatoire a longtemps permis aux hôpitaux de les embaucher, sous divers statuts précaires, rémunérés entre 1500 et 2200 euros mensuels. Mais ce régime, plusieurs fois prolongé, s'est éteint au 31 décembre.
Impossible désormais de renouveler ces contrats, à leur grand désarroi.
Sans-papiers
"On nous a dit +si vous n'avez pas les EVC cette année, c'est fini+. Mais il y a peu de places (2700 postes ouverts pour 10000 à 20000 candidats, selon les sources NDLR) et on se bat contre des gens inscrits depuis l'étranger, qui ont un an pour se préparer. Moi je travaille 70 heures par semaine aux urgences", soupire sous couvert d'anonymat Mia, 38 ans, arrivée de Madagascar en 2020.
"J'ai échoué. Pourtant j'ai d'excellentes appréciations, j'enchaîne les gardes", s'étrangle cette généraliste travaillant près de Paris, applaudie pendant la crise sanitaire et aujourd'hui "sans titre de séjour".
"2000 médecins sont sur le carreau", certains désormais "sans-papiers", dénonce Halim Bensaidi, représentant de l'IPADECC, l'un des syndicats spécialisés dans leur défense. Une estimation partagée par les confédérations syndicales CGT et FO.
Naturalisée française, Amel (prénom modifié), 31 ans, diplômée de médecine générale en Algérie et actuellement en troisième cycle de psychiatrie, elle n'a "pas eu le droit" de s'inscrire aux EVC dans sa spécialité, malgré trois ans d'exercice en Seine-Saint-Denis, département pauvre près de Paris. "J'assure les consultations psy, les gardes. Aujourd'hui, je travaille sans contrat", confie-t-elle.
Dans certains territoires, "les services ne tournent presque qu'avec eux. Donc ils restent en poste dans l'illégalité, les directions n'ont pas le choix", explique Hocine Saal, chef des urgences de Montreuil (Seine-Saint-Denis). "Sans eux, le système s'effondre".
Urgences fermées
Depuis une récente réforme, l'affectation des postes des lauréats est du ressort des services de l'Etat, et "pas du tout en adéquation avec nos besoins", déplore ce signataire, avec 220 médecins, d'une tribune publiée dans l'hebdomadaire Le Point.
"J'ai demandé dix postes, mais on m'en accorde la moitié, dont un seul urgentiste. Donc je ne pourrai pas remplir mes tableaux de garde. Je vais devoir fermer les urgences partiellement", se désole-t-il.
Aux urgences Delafontaine de Saint-Denis, près du Stade de France, dans le même département, "sur une trentaine de médecins, trois sont diplômés en France. Les autres sont ex-Padhue ou Padhue", témoigne aussi le chef de service Matthias Wargon.
"Si je n'ai pas les postes demandés, je fermerai, au moins la nuit. Les Jeux olympiques, ce sera sans moi", prévient-il, en référence aux JO de Paris, du 26 juillet au 11 août prochains.
Mardi, lors d'une conférence télévisée, le président français Emmanuel Macron a promis de "régulariser nombre de médecins étrangers", sans dire ni comment ni quand. Contacté, le ministère de la Santé n'a pas apporté de précisions.
Dans un communiqué, une coalition syndicale appelle à examiner les dossiers de chaque médecin en commission, sans concours : car il est "essentiel" de vérifier leurs compétences, mais aussi de leur offrir rapidement un "statut pérenne" et digne.
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