Al-Ahram Hebdo : Quels sont les enjeux des élections générales en Turquie et qui sont les principaux candidats à la prochaine présidentielle ?
Dr Mona Soliman : Quatre candidats se présentent à la présidentielle du 14 mai en Turquie. Le grand favori est le président sortant Recep Tayyip Erdogan, fondateur et président de l’AKP (Parti de la justice et du développement), installé au sommet du pouvoir depuis mars 2003. En seconde position arrive Kemal Kiliçdaroglu, 74 ans, qui préside depuis 2010 le CHP (Parti républicain du peuple, kémaliste), héritier du parti unique d’Atatürk. C’est la première fois qu’il est candidat à la présidentielle. Ensuite viennent Sinan Ogan, 55 ans, ancien député du parti d’extrême droite MHP (Parti d’action nationaliste), dont il a été exclu en 2015, et Muharrem Ince, 59 ans, un instituteur âgé et ancien candidat à la présidentielle en 2018. Mais selon les sondages, ces deux derniers n’ont pas de chances. Le tout sera joué entre Erdogan et Kiliçdaroglu. Et un second tour est prévisible.
Pour ce qui est des enjeux, ces élections sont très importantes à cause de la conjoncture interne, régionale et internationale. Au début de l’année, on pensait que la popularité d’Erdogan avait reculé, mais les derniers sondages ont montré qu’il est tout à fait capable de remporter la présidentielle. Sa campagne est bien organisée et il a réussi à redorer son image. La Turquie souffrait ces dernières années d’une crise économique, d’une dévaluation de sa monnaie et d’un taux d’inflation très élevé. Pour l’opposition, Erdogan est responsable de ces mauvais résultats en raison de ses mauvaises relations avec l’étranger. Mais il a changé sa politique étrangère et amélioré ses relations avec les pays du Golfe, l’Egypte, l’Iraq, Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne. Il a aussi augmenté son influence en Afrique. Avec cette nouvelle orientation, il a obtenu de ces pays plus de 10 millions de dollars.
— Comment Erdogan peut-il convaincre les électeurs ?
— Son programme est très ambitieux. Il veut attirer plus d’un trillion de dollars d’investissements et 90 millions de touristes par an. Il a promis de lutter contre le terrorisme et d’assurer la sécurité du pays. Il a augmenté les salaires, annulé certains impôts, réduit les frais du gaz et de l’électricité. Il a donné la nationalité turque aux Syriens. Tout cela lui sert de campagne. Il a aussi profité de la gestion de la crise née du séisme et il a inauguré plusieurs grands projets industriels.
Cependant, l’opposition veut en finir avec son régime, car elle estime que ce président a mis un frein aux libertés. L’opposition lui reproche aussi l’augmentation du taux de corruption, des agressions contre les femmes et les minorités.
— Et en cas de défaite, que peut faire Erdogan ?
— Erdogan ne cédera pas le pouvoir facilement. Dans un tel cas de figure, il refusera les résultats des élections. Il se dirigera vers la Cour constitutionnelle turque et dénoncera les résultats tout en exerçant une forte pression sur la commission électorale. Il peut aussi mobiliser ces partisans pour organiser des manifestations. Déjà, la campagne électorale a témoigné de certains incidents.
— Et quelles sont les chances de son principal rival, Kemal Kiliçdaroglu ?
— Il représente l’opposition, car il est à la tête d’Alliance de la nation, dite aussi Table des six, coalition hétérogène qui regroupe des sociaux-démocrates, des nationalistes et des islamistes. Fait notable, il a recueilli le soutien implicite du parti pro-kurde HDP, qui a choisi de ne pas présenter de candidat. Les Kurdes représentent 10 % de l’électorat, c’est une force à ne pas négliger.
Kiliçdaroglu a promis d’en finir avec le régime d’un seul homme tout en dénonçant l’extrême concentration des pouvoirs entre les mains du président Erdogan. Mais il n’a pas de programme économique clair. Il appelle à relancer la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et à rétablir des relations privilégiées avec Washington.
— Qu’en est-il de la position de la communauté internationale ?
— Elle jouera un rôle important pour protéger ses intérêts. Malgré tout, elle préfère le choix d’Erdogan. Les crises économiques, politiques et sociales pèsent fortement sur les pays européens et les grandes puissances, et ils ne veulent pas d’un changement dans la politique et la stratégie d’une puissance comme la Turquie. Autrement dit, le monde est plongé dans de nombreuses crises et ne veut pas d’une autre. L’Occident connaît bien Erdogan et sa stratégie. Il en est de même pour les pays de la région, ils veulent garder de bonnes relations avec la Turquie.
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