Al-Ahram Hebdo : Depuis la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran en 2016, le ton n’a cessé de monter entre les deux pays. Mais au cours des dernières semaines, on a vu des déclarations diplomatiques plutôt apaisantes. Est-ce un tournant ?
Dr Nanis Abdel-Razek Fahmy : C’est vrai qu’on a vu récemment des signes d’apaisement entre les deux puissances du Golfe, mais sur le terrain, rien n’a changé. Les Houthis, soutenus par l’Iran, poursuivent leur guerre contre l’Arabie saoudite et les attaques contre des cibles saoudiennes n’ont jamais cessé. La derrière attaque était contre l’aéroport international saoudien d’Abha. Donc, à supposer qu’il y ait eu un début de rapprochement entre les deux pays, cela prendra encore du temps.
— Dans des déclarations récentes, le prince héritier saoudien, Mohamad Bin Salman, a affirmé que Riyad souhaitait avoir de bonnes relations avec l’Iran. Pourquoi un tel apaisement après des années de refus ?
— Sur le plan économique et humanitaire, les frais de la guerre au Yémen sont très élevés pour les deux parties. Je crois que le premier souci de l’Arabie saoudite est de protéger sa sécurité interne et les établissements pétroliers. De plus, tout le monde se rend compte qu’après six années de guerre au Yémen, personne n’a gagné.
— L’Iran a salué les déclarations saoudiennes. Est-ce le signe d’une bonne volonté de la part de Téhéran? Et pourquoi?
— C’est vrai que l’Iran s’est félicité du changement de ton saoudien à travers le porte-parole de la diplomatie iranienne qui a salué les déclarations du prince héritier saoudien. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a lui aussi déclaré, lors d’une visite officielle en Syrie, que l’Iran est prêt à établir des liens plus étroits avec l’Arabie saoudite.
Ce changement d’attitude prouve que l’Iran a besoin de cet apaisement qui peut avoir un impact positif tant sur le plan mondial que régional. L’Iran semble résister aux sanctions américaines, mais sur le plan interne, la situation économique devient de plus en plus difficile, et on a déjà vu des mouvements de contestation dans les rues en Iran. Donc, Téhéran peut profiter d’un réchauffement avec l’Arabie saoudite. Un tel réchauffement peut faciliter la levée des sanctions américaines et favoriser un retour à l’accord nucléaire. Remarquons que l’Iran jouit d’une forte position au Yémen, en Iraq, au Liban et en Syrie, et son expérience dans tous ces dossiers lui garantit plus de gains que l’Arabie saoudite.
— Quelle sera, selon vous, la réaction de Washington si ce réchauffement vient à se concrétiser ?
— Il est clair que ce réchauffement, s’il se concrétise, ira dans le sens de la stratégie de la nouvelle Administration américaine qui veut moins de tensions et moins d’intervention américaine dans la région. L’Administration du président Joe Biden se montre aujourd’hui moins exigeante vis-à-vis du régime en place à Téhéran que la précédente Administration du président Donald Trump. Biden envisage, en effet, un retour à l’accord nucléaire dit JCPOA signé en 2015 entre l’Iran et le groupe 5+1 (Etats-Unis, France, Angleterre, Russie, Chine et Allemagne) et annulé en 2018 par Donald Trump. Mais les centres de recherche américains, en dressant les scénarios probables dans la région, s’attendent toujours à un affrontement entre les deux puissances sunnite et chiite de la région du Golfe. La situation de conflit entre les deux pays est aujourd’hui dans l’intérêt d’Israël. C’est pourquoi Tel-Aviv va chercher à entraver tout réchauffement entre Riyad et Téhéran.
— Pensez-vous que ce réchauffement entre Riyad et Téhéran ait des répercussions positives sur les dossiers tendus de la région ?
— Premièrement, le dossier du Yémen qui, à mon avis, est le principal motif d’un éventuel réchauffement, trouvera une solution, surtout que les critiques internationales sont de plus en plus grandes à cause de la situation humanitaire catastrophique au Yémen. Notons que ce pays est en proie à l’une des plus grandes crises humanitaires avec une famine sans précédent. Soulignons aussi qu’en dépit de toutes ces années de conflits et de toutes ces pertes, aucune des deux parties, l’Arabie saoudite et l’Iran, n’a été en mesure de trancher le conflit à son avantage. Je pense aussi que le Liban trouvera une issue, que la Syrie témoignera d’une plus grande stabilité. L’Iran va jouer avec toutes ces cartes de pression pour obtenir le plus d’avantages possibles.
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