Téhéran accuse Tel-Aviv d’être à l’origine de l’explosion qui a eu lieu le 12 avril sur le site nucléaire de Natanz. (Photo : AP)
Jamais depuis la conclusion, en juillet 2015 à Vienne, de l’accord sur le nucléaire iranien entre l’Iran et les pays occidentaux (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France, Allemagne), l’Iran n’était allé aussi loin. Vendredi 16 avril, Téhéran a affirmé avoir commencé à produire de l’uranium enrichi à 60 %. Soit bien au-delà des 20 % qu’il pratiquait depuis janvier et du seuil maximal de 3,67 % autorisé par l’accord. Pour Téhéran, il s’agit d’une riposte à l’explosion qui a endommagé son usine d’enrichissement d’uranium de Natanz, le 12 avril. Après avoir accusé Israël de sabotage, promis de se venger et d’intensifier ses activités atomiques, Téhéran, qui a diffusé, samedi 17 avril, le portrait de celui qui est présenté comme « l’auteur de l’acte de sabotage », a sollicité, dimanche 18 avril, l’aide d’Interpol dans la traque de celui qui est présenté comme le principal suspect concernant l’explosion du 11 avril au complexe nucléaire de Natanz, rapporte le quotidien ultraconservateur Kayhan.
Nouvelle provocation iranienne ? Nouvelle carte de pression ? Selon certains analystes, oui. L’annonce de produire de l’uranium enrichi jusqu’à hauteur de 60 %, seuil inédit pour le pays, est le dernier et le plus spectaculaire des reniements par rapport aux engagements pris par Téhéran. Et l’Iran l’a répété : pour stopper cette « spirale dangereuse », les Etats-Unis doivent lever les sanctions imposées par l’ex-président américain, Donald Trump, qui a retiré les Etats-Unis de cet accord en 2018. Téhéran semble donc jouer son va-tout d’autant plus que l’annonce de l’enrichissement d’uranium intervient, alors que des discussions se tiennent à Vienne pour faire revenir Washington dans l’accord et annuler les sanctions imposées par les Etats-Unis à l’Iran. En réaction, le président américain, Joe Biden, a déploré l’annonce iranienne, qui n’aide « pas du tout » à sortir de l’impasse, mais il s’est « malgré tout » montré « satisfait de voir que l’Iran continue de participer aux discussions ». L’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, les trois pays européens parties (avec la Russie, la Chine et l’Iran) à l’accord de Vienne ont, elles, dit avoir « pris note avec une grande préoccupation » de l’annonce iranienne sur l’enrichissement à 60 %, parlant de « développement grave (...) contraire à l’esprit constructif » des discussions. Et le président iranien, Hassan Rohani, a jugé ces « inquiétudes » sans fondement. « Aujourd’hui même, nous pouvons enrichir à 90 % si nous le voulons, a-t-il dit, jeudi, mais nous l’avons déclaré dès le premier jour et nous tenons parole : nos activités nucléaires sont pacifiques, nous ne cherchons pas à obtenir la bombe atomique ».
De son côté, Moscou préfère y voir le signe qu’il faut agir vite. « Cela prouve que le rétablissement du JCPOA est la seule solution viable pour ramener le programme nucléaire iranien » sur les rails, a écrit sur Twitter l’ambassadeur russe auprès des organisations internationales à Vienne, Mikhaïl Oulianov.
Des progrès malgré tout
Malgré ces nouvelles tensions, des participants aux pourparlers de Vienne ont néanmoins fait état de « progrès », sans plus de précisions. Selon Mikhaïl Oulianov, les premières réunions ont laissé « une impression générale positive ». Le négociateur en chef de Téhéran et le délégué chinois ont eux aussi fait état de progrès. L’Iran a proposé des textes sur différentes questions en discussion, « au moins sur celles sur lesquelles il existe des points de vue partagés », a déclaré le négociateur iranien, Abbas Araqchi, cité par les médias officiels iraniens après une réunion avec les signataires restants de l’accord. Des désaccords importants subsistent mais « une nouvelle forme de compréhension paraît émerger », selon lui. « Nous pensons que les négociations ont atteint un stade où les parties peuvent commencer à travailler sur un texte commun, au moins dans les domaines où il y a un consensus », a-t-il détaillé. Le délégué chinois a déclaré, pour sa part, que tous les participants aux négociations de Vienne s’étaient mis d’accord sur plusieurs points, dont les sanctions que les Etats-Unis seraient appelés à lever.
Une deuxième série de négociations a débuté jeudi 15 avril dans un hôtel de luxe à Vienne. Les Etats-Unis n’y sont pas présents et l’Iran a refusé les discussions en face-à-face. Des responsables de l’Union européenne qui président aux débats font la navette avec une délégation américaine basée dans un autre hôtel, de l’autre côté de la rue. Les négociateurs cherchent à définir les mesures à prendre par les deux camps, sur les activités nucléaires et sur les sanctions, afin de revenir dans le cadre de l’accord.
« Les événements de ces derniers jours rappellent à chaque partie que le statu quo est synonyme de perdant-perdant pour les deux camps » et « renforcent l’urgence », estime Ali Vaez, spécialiste du dossier iranien au sein du centre de réflexion International Crisis Group (ICG), cité par l’AFP. Selon lui, « il est clair que plus le processus diplomatique s’éternise, plus grands sont les risques qu’il soit entravé par des saboteurs et des personnes mal intentionnées ». Pourtant, les experts préviennent que les obstacles sont nombreux et que définir une feuille de route acceptable par l’Iran et par les Etats-Unis prendra du temps. Mais Téhéran n’entend pas attendre longtemps. Le guide suprême iranien, Ali Khamenei, a fait savoir qu’il n’autoriserait pas que les discussions traînent « en longueur ». Une autre forme de pression.
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