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Une conférence sur fond de désaccords

Sabah Sabet avec agences, Mardi, 18 février 2020

La divergence entre les participants a caractérisé la 56e Conférence sur la sécurité, qui s’est tenue cette semaine à Munich.

« Westernessless », affaiblissement de l’Occident ou « désoccidentalisation », face à l’émergence de nouvelles puissances comme la Chine ou l’Inde. Tel était le thème retenu cette année pour la 56e Conférence sur la sécurité de Munich (CMS), qui s’est tenue en Allemagne du 14 au 16 février.

Plus de 500 leaders du monde entier, dont plus de 35 chefs d’Etat et de gouvernement, 100 ministres des Affaires étrangères et de la Défense se sont réunis durant trois jours dans la ville bavaroise pour discuter des crises aux­quelles est confronté le monde d’aujourd’hui et des défis à relever à l’avenir en matière de sécurité. Pourtant, la conférence s’est achevée sans que les participants ne soient parvenus à un consensus sur la « désoccidentalisation ». Les débats sur ce sujet, qui fait notamment référence à la perte d’une position commune sur la signification de l’appartenance à l’Occi­dent, risquent de se poursuivre pendant un certain temps.

Le président de la conférence, Wolfgang Ischinger, a souligné dans son allocution de clôture qu’il existait de nombreuses diver­gences de vue entre les pays de l’Union Européenne (UE) et les Etats-Unis. « Si nous ne nous écoutons pas les uns les autres, nous allons avoir des problèmes », a-t-il alerté, tout en exprimant sa satisfaction d’avoir réussi à provoquer un peu de débat sur la désoccidenta­lisation. « Certains sont d’accord, d’autres non », a déclaré M. Ischinger, espérant par ailleurs que la discussion sur la paix et la sta­bilité en Europe et au-delà allait franchir une nouvelle étape.

Le repli américain critiqué

Pourtant, au fur et à mesure des trois journées de la conférence, les désaccords se sont multipliés sur « un affaiblissement de l’Occident dans le monde » et de ses valeurs de plus en plus « bousculées ».

Rejetant cette idée, Mike Pompeo, le chef de la diplomatie de Donald Trump, a d’abord réagi aux propos tenus par le président Emmanuel Macron, en novembre 2019, sur la « mort céré­brale de l’Otan ». « J’ai le plaisir de vous annoncer que l’idée selon laquelle l’Alliance transatlantique serait morte est grandement exagérée ». Selon lui, « l’Occident est en train de l’emporter ». Et d’assurer : « Nous tous » sommes « en train de gagner ensemble ».

Au cours de cette même conférence, Emmanuel Macron a pris le contre-pied de Pompeo en estimant au contraire « qu’il y avait un affaiblissement de l’Occident » et « une politique américaine d’une forme de repli relatif, d’une reconsidération de sa relation avec l’Europe ».

Partageant cette idée, et pointant l’égoïsme national de l’Administration de Donald Trump, le chef de l’Etat allemand, Frank-Walter Steinmeier, a indiqué que les Etats-Unis tournaient le dos à la communauté internationale. Il a ironisé sur le slogan « Rendre sa grandeur à l’Amérique » qui, pour lui, n’est qu’une façon de mettre l’intérêt national au-dessus de tous les autres. Mike Pompeo a répliqué que ces critiques « ne reflétaient pas du tout la réalité ».

Mais une autre nouvelle divergence s’est exprimée au grand jour : celle sur le recours à la technologie chinoise de la 5G développpée par Huawei qui pourrait être adoptée non seulement par les Britanniques, mais par d’autres pays européens. « Si vous ne comprenez pas cette menace, et que nous ne faisons rien face à elle, à la fin, cela pourrait être la fin de l’Alliance militaire la plus réussie de l’histoire : l’Otan », a déclaré le secrétaire américain à la Défense. En attaquant directement la Chine, devenue désormais la menace numéro un des Etats-Unis, Mike Pompeo a souhaité que « l’Occident gagne » et que les valeurs occidentales l’emportent sur le désir « d’empire » de la Chine et de la Russie. Le conseiller d’Etat et ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a, quant à lui, appelé à surmonter les différences Est-Ouest et à pratiquer le multilatéralisme.

Le retour en force sur la scène stratégique de la Russie de Vladimir Poutine a aussi été révélé pendant ce rassemblement. Le président français a proposé de « réengager un dialogue stratégique » avec la Russie pour mettre un terme aux conflits en Europe et reconstruire une architecture de sécurité sur le continent. Une approche que le ministre polonais des Affaires étrangères, Jacek Czaputowicz, n’a pas hésité à qualifier de « totalement imprudente ».

Il reste cependant des points positifs. Le président Emmanuel Macron a ouvert la voie à des négociations sur un élargissement de l’Union européenne à l’Albanie et à la Macédoine du Nord si le rapport de la commission était « positif ». Par ailleurs, le président de la conférence, Wolfgang Ischinger, a appelé l’Allemagne à répondre « positivement » à la proposition de Macron sur l’ouverture d’un dialogue au sein de l’UE.

En outre, et loin de l’Europe, la Libye et la question de la livraison des armes ont pris une part importante dans les échanges. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a voulu utiliser la rencontre de Munich pour faire pression sur les parties prenantes et obtenir une fin des hostilités sur le terrain et un respect de l’embargo sur les livraisons d’armes. Il a ainsi montré que la communauté internationale sou­haite poursuivre ses efforts en soulignant que la décision du Conseil de sécurité des Nations-Unies, le 12 février dernier, en faveur d’un res­pect de l’embargo sur les livraisons d’armes était encourageante.

Un comité international chargé de l’applica­tion des accords de Berlin de la mi-janvier doit à l’avenir se réunir mensuellement sous la direc­tion des Nations-Unies et d’une co-présidence tournante, actuellement assurée par l’Alle­magne. De plus, un dialogue politique doit être lancé à la fin du mois entre des militaires des deux camps en présence. Berlin espère donc qu’une décision pourra être prise sur les modali­tés concrètes permettant le respect de l’embargo sur les livraisons d’armes.

La Conférence de Munich sur la sécurité s’est tenue pour la première fois en 1963. Son objectif initial était de consolider les engagements et de mieux coordonner les politiques de défense des pays occidentaux. Depuis, la conférence a évo­lué pour impliquer des représentants venus du monde entier, et sert à présent de plateforme à divers débats sur les questions de sécurité mon­diale. Or, avec le désaccord actuel de ses partici­pants, sa mission se complique.

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