« Les Etats-Unis veulent déployer rapidement de nouveaux missiles en Asie, si possible, dans les prochains mois, pour contrer la montée en puissance de la Chine dans la région », a annoncé le nouveau chef du Pentagone, Mark Esper, samedi 3 août à Sydney, première étape d’une tournée d’une semaine en Asie. « Nous voudrions le faire le plus tôt possible », a-t-il dit, en ajoutant avoir choisi l’Asie comme but de son premier voyage depuis sa prestation de serment le 23 juillet, pour « réaffirmer notre engagement envers la région, rassurer nos alliés et nos partenaires ». Ces déclarations visant la Chine interviennent à la suite de la décision américaine annoncée la veille de se retirer du traité de désarmement INF, daté depuis 1987 et portant sur la liquidation des missiles de portée intermédiaire.
Ce traité, sujet de controverse entre Moscou et Washington depuis plusieurs mois, a déjà été officiellement déclaré mort par la Russie. De fait, un mois après la ratification, par Vladimir Poutine, de la suspension de la participation de Moscou, Washington a confirmé sa sortie du traité, vendredi 2 août dans la matinée. Depuis, les deux pays s’accusent mutuellement de l’échec du traité. « Le retrait des Etats-Unis conformément à l’article XV du traité prend effet— vendredi— car la Russie n’a pas renoué avec son respect total et vérifié », a déclaré dans un communiqué le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo. « Les Etats-Unis ont évoqué leurs inquiétudes auprès de la Russie dès 2013 », a rappelé Mike Pompeo, qui se targue du « plein soutien » des pays membres de l’Otan. Mais Moscou a « systématiquement repoussé, durant six ans, les efforts américains pour que la Russie respecte à nouveau » le texte, a-t-il ajouté.
Ce traité abolit l’usage de toute une série de missiles à capacité nucléaire de portée intermédiaire (de 500 à 5500 km). Dans les années 1980, cela avait permis l’élimination des SS20 russes et des Pershing américains déployés en Europe. S’il était au coeur de nouvelles négociations, c’est à cause du missile russe 9M729 qui, selon les Occidentaux, viole le traité INF. Moscou, de son côté, dément en insistant sur le fait que ce missile a une portée maximale de 480 km. Depuis six mois, un dialogue de sourds s’était engagé entre les Etats-Unis et la Russie. Les deux puissances, après s’être lancé tout un tas d’accusations mutuelles de violation, ont laissé expirer, vendredi 2 août, l’ultimatum lancé par l’Administration de Donald Trump en février sans bouger sur leurs positions. Ce dernier a exprimé son souhait de voir la Chine et la Russie intégrer un hypothétique nouveau traité sur les missiles nucléaires qui remplacerait l’emblématique traité INF. « Ce serait une très bonne chose pour le monde » et pour « les trois pays », a-t-il ajouté.
De son côté, la Russie a accusé Washington d’avoir « commis une grave erreur » et créé « une crise pratiquement insurmontable ». Elle a de nouveau proposé un « moratoire sur le déploiement d’armes de portée intermédiaire », ce que l’Otan a rejeté. Le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, a assuré que les Occidentaux ne voulaient pas « d’une nouvelle course aux armements ». Mais les signaux envoyés par Moscou et Washington suscitent de sérieuses préoccupations. La communauté internationale, qui reste incapable d’arrêter cette tension, n’a pu qu’exprimer son mécontentement. « Le monde va perdre un outil précieux contre la guerre nucléaire », a regretté, jeudi 1er août, le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, en ajoutant: « Cela va probablement renforcer, et non affaiblir, la menace posée par les missiles balistiques ».
Contrer la montée de la Chine
Or, la mort de l’INF va au-delà d’un simple épisode de la tension entre Washington et Moscou. La Chine a bel et bien sa place dans cette lutte entre puissances. La mort du traité INF arrange, en effet, bien les Etats-Unis, car elle permet au Pentagone de moderniser son arsenal pour contrer la montée en puissance de la Chine, qui cherche à affirmer sa suprématie militaire en Asie. Washington est désormais libre de venir concurrencer la Chine, dont l’arsenal est largement constitué d’armes du type interdit par le traité INF, dont Pékin n’a jamais été signataire. « Je voudrais souligner que 80% de leur arsenal est composé d’armes de type INF. Ça ne devrait donc pas surprendre que nous voulions des capacités similaires », a affirmé Esper, en s’adressant à la Chine. Protéger l’Asie des menaces chinoises est le prétexte auquel Washington a eu recours en annonçant son intention de déployer en Asie de nouvelles armes conventionnelles de portée intermédiaire, maintenant qu’ils ne sont plus liés par le traité INF.
Mark Esper n’a pas précisé où les Etats-Unis avaient l’intention de positionner ces armements. « Je ne voudrais pas spéculer, parce que (...) c’est le genre de choses dont on discute toujours avec les alliés ». Il a aussi noté que la Chine ne devrait pas s’étonner des projets américains. « Cela ne devrait pas être une surprise, parce que nous en parlons depuis un bon moment », a-t-il dit. Pour autant, le responsable américain a assuré que les Etats-Unis ne se lançaient pas dans une nouvelle course aux armements. « Le sens traditionnel d’une course aux armements est compris dans un contexte nucléaire », dit-il.
La montée en puissance de la Chine dans la région, où l’armée chinoise s’est emparée d’îles disputées en mer de Chine méridionale, inquiète les alliés traditionnels des Etats-Unis dans la région, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Elle a aussi conduit d’autres pays comme l’Indonésie, le Vietnam ou encore les Philippines à rechercher auprès des Etats-Unis une protection face à Pékin. Un nouvel affrontement qui troublera sans doute les relations sino-américaines qui ne cessent de se détériorer, surtout sur le plan commercial (voir sous-encadré), et alors que commence aux Etats-Unis la campagne pour la présidentielle de novembre 2020 .
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