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Les Turcs crient leur ras-le-bol

Maha Al-Cherbini avec agence, Mardi, 04 juin 2013

Au pouvoir depuis 2002, le parti islamo-conservateur du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, (AKP) fait face à la plus grave contestation populaire, qui risque de menacer son avenir politique.

Turc
La colère des Turcs avorte le rêve d'Erdogan de briguer les présidentielles de 2014.

La turquie a-t-elle été contaminée par le « Printemps arabe » ? La vague de manifestations antigouvernementales qui déferle sur la Turquie le laisse supposer. Pour la première fois depuis 2002, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, risque de perdre son fauteuil, suite au plus violent mouvement de contestations qui secoue Istanbul, Ankara et plusieurs villes turques depuis vendredi. Au début, les manifestations avaient pour origine un projet urbain visant la suppression d’un « petit parc et de ses 600 arbres » sur la place Taksim pour céder la place à une caserne militaire, mais le mouvement s’est vite propagé dans tout le pays et risque d’ébranler le pouvoir du parti islamo-conservateur d’Erdogan. « Les arbres c’est juste la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les gens en ont ras-le-bol de tout ce que ce gouvernement fait », crie l’un des manifestants, qui ont dénoncé la répression de la police et accusé le premier ministre d’atteintes aux libertés.

Selon les organisations des droits de l’homme, la répression policière était « excessive ». Dès le premier jour des manifestations, la police a dispersé par des grenades lacrymogènes et des canons à eau des milliers de personnes qui occupaient la place Taksim et d’autres qui voulaient rejoindre les bureaux du chef du gouvernement à Ankara et à Istanbul. Selon le ministère de l’Intérieur, la police a interpellé 939 manifestants au cours de plus de 90 manifestations dans 48 villes. Les affrontements ont fait 79 blessés, dont 53 civils et 26 policiers, selon le ministère de l’Intérieur, Amnesty International évoquant « deux morts et un millier de blessés ». Malgré cette répression, les protestations se sont poursuivies de plus belle de par le pays.

Colère accumulée

Il est difficile de croire qu’une telle révolte soit due à « un parc et quelques arbres ». Il s’agit d’une « colère accumulée » ou plutôt d’une « frustration générale » chez un peuple qui reproche à Erdogan de vouloir « islamiser » la société et l’accuse de dérives autoritaires, en dépit de la croissance économique qu’a fait ce chef islamiste en 10 ans : tripler le revenu par habitant grâce à une croissance économique qui a dépassé les 8 % en 2010 et 2011, généraliser l’accès à l’éducation ou la santé et mettre l’armée au pas. Mais le peuple ne pardonne pas à Erdogan de faire entrer la religion dans l’espace public, au grand dam des tenants de République laïque. Le récent vote d’une loi restreignant la consommation et la vente d’alcool a suscité la colère des milieux libéraux, sans compter les tentatives pour limiter le droit à l’avortement ou prohiber l’adultère. Bien plus, la population est excédée par un gouvernement qui monopolise tous les pouvoirs depuis 10 ans. De l’extrême gauche à la droite nationaliste, c’est tout le spectre politique turc qui crie depuis vendredi « dictateur démission ». Selon les experts, c’est une défaite du premier ministre face à la rue.

Confronté à l’un des plus importants mouvements de contestation, Erdogan a lâché du lest samedi en ordonnant à la police de se retirer de la place Taksim. Des milliers de manifestants ont célébré dimanche leur première victoire sur leur chef. Quelques heures avant ce repli, Erdogan avait pourtant assuré que la police resterait sur la place Taksim car elle « ne peut pas être un endroit où les extrémistes font ce qu’ils veulent ». Sur un ton menaçant, il avait sommé les manifestants de cesser « immédiatement » leur mouvement et assuré que son gouvernement maintiendrait le projet urbain contesté. Face à cette escalade, le président turc, Abdullah Gul, a affirmé lundi sa grave « inquiétude » et a appelé au calme, alors que le premier ministre a concédé que la police avait agi dans certains cas de façon « extrême ». « Il est vrai qu’il y a eu des actions extrêmes dans la réponse de la police », a-t-il dit.

Selon les experts, ce recul est dû à la vague de pression interne et externe exercée sur le gouvernement. La France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont appelé le gouvernement turc à la retenue. Sur le plan intérieur, l’opposition a pris le relais et s’est affichée avec les protestataires. « Notre combat n’est pas terminé. La résistance est partout », s’entêtent les manifestants, promettant des jours difficiles à Erdogan qui rêvait de briguer les présidentielles de 2014.

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