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Turquie : De nouvelles alliances stratégiques

Maha Al-Cherbini avec agences, Dimanche, 14 août 2016

Un mois après le putsch raté, la Turquie s'élance à la recherche de nouveaux alliés, alors que ses relations avec l'Europe et les Etats-Unis sont tendues.

Turquie : De nouvelles alliances stratégiquesEn
La visite de Zarif en Turquie vise à renforcer la coopération économique entre les deux pays. (Photo:AP)

Gagner de nouveaux alliés. Telle est la politique récemment adoptée par la Turquie depuis que ses relations sont au plus bas avec Washington et l’Union européenne, après le putsch avorté de la mi-juillet. L’objectif d’Ankara est tant politique qu’économique.

Vendredi dernier, Ankara a ouvert un nouveau chapitre dans ses relations avec Téhéran grâce à la visite du ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, en Turquie. L’Iran a été le premier pays à apporter un soutien sans équivoque au président turc, Recep Tayyip Erdogan, après la tentative du coup d’Etat. Et la récente visite de M. Zarif n’est qu’une nouvelle preuve de ce soutien iranien au régime turc. « Les relations entre l’Iran et la Turquie ont toujours été amicales. Malgré leurs divergences sur la Syrie, les deux pays ont des intérêts économiques communs et tous deux font face aujourd’hui à de graves difficultés économiques. Après la levée des sanctions contre Téhéran, les deux pays vont se rapprocher afin d’accroître leurs échanges économiques. Et Ankara pourra aisément profiter du gaz iranien », prévoit Dr Norhane Al-Cheikh, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire.

Si, avec Téhéran, il s’agit avant tout d’un renforcement de la coopération économique, Ankara a scellé une autre alliance, beaucoup plus importante, avec la Russie. Quelques jours avant la visite de Zarif en Turquie, le président turc s’était rendu à Saint-Petersbourg. Une visite plus que spéciale à différents niveaux : c’est la première visite du dirigeant turc à l’étranger depuis le putsch, mais c’est aussi et surtout sa première visite en Russie après neuf mois de brouille diplomatique suite à la destruction d’un bombardier russe par Ankara en novembre dernier, à la frontière syrienne. Moscou avait alors imposé à Ankara une série de restrictions économiques. Mais, après des mois d’invectives, Erdogan a fait un pas inattendu en présentant ses excuses à Moscou. Une action qui permet de faire fondre la glace entre les deux pays qui ont intérêt à reprendre leur coopération économique. Lors de sa visite à Moscou, le chef de l’Etat turc et son homologue russe, Vladimir Poutine, ont décidé de relancer leur coopération, surtout après que Moscou eut levé ses sanctions dans le secteur touristique. Moscou et Ankara ont aussi réanimé le projet du gazoduc TurkStream qui doit acheminer 31,5 milliards de mètres cubes de gaz par an en Turquie via la mer Noire.

« La visite d’Erdogan en Russie dans ce contexte politique intérieur révèle l’importance de la Russie en tant qu’alliée. L’économie turque a souffert des sanctions russes, surtout dans le secteur touristique qui constitue l’une des plus importantes sources de revenus pour la Turquie. Erdogan a peur que cette crise économique lui fasse perdre sa popularité, car il sait bien que ce sont ses réalisations économiques qui l’ont rendu populaire », note Dr Norhane Al-Cheikh. Cependant, malgré les intérêts économiques réciproques entre la Turquie et la Russie, les deux pays s’opposent toujours sur la Syrie. Le premier étant pour le départ du président syrien, Bachar Al-Assad, le deuxième, un fervent soutien au régime de Damas. En vue de cette opposition diamétrale, les deux responsables ont évité d’évoquer ce sujet de discorde lors de leurs entretiens. Selon notre expert : « Ce qui compte désormais pour Erdogan c’est l’économie, car il sait qu’au sujet de la Syrie, sa position est beaucoup trop éloignée de celle de Téhéran ou de Moscou ».

En sus de Téhéran et Moscou, Ankara a décidé d’améliorer ses relations perturbées avec Israël. Fin juin, Israël et la Turquie ont conclu un accord de réconciliation qui a mis fin à six ans de brouille politique. Les relations diplomatiques israélo-turques étaient tombées au plus bas en 2010 après un assaut de commandos israéliens contre le Mavi Marmara, un navire affrété par une ONG humanitaire turque pour tenter de briser le blocus imposé par Israël sur la bande de Gaza. La récente réconciliation entre les deux pays s’est renforcée ces derniers jours suite au message de soutien envoyé par Israël à Ankara après le putsch. A la suite de quoi, le parlement turc a affirmé qu’il allait ratifier un accord sur la normalisation des relations diplomatiques avec Israël avant la fin du mois. Ce rapprochement avec Israël a une dimension plus stratégique qu’économique, car Ankara va profiter de son alliance avec Israël pour faire pression sur Washington. N’oublions pas que l’Etat hébreu influence largement la politique américaine au Moyen-Orient. Il pourrait donc jouer un rôle de médiation ou de réconciliation entre Washington et Téhéran.

Relations perturbées
Ces nouvelles « alliances » interviennent alors que les relations de la Turquie avec l’Europe et les Etats-Unis sont perturbées. Côté américain, la tentative de coup d’Etat a envenimé les relations car Fethullah Gülen, l’ex-imam turc accusé d’être le cerveau du putsch, et qui s’est exilé aux Etats-Unis il y a plusieurs années, et Erdogan accuse Washington de le « protéger ». Le chef de l’Etat turc estime qu’un refus d’extrader l’ex-imam aurait des conséquences néfastes sur les liens bilatéraux des deux puissances, tout en affirmant avoir reçu des « signes positifs » de la part des Etats-Unis sur l’extradition de Gülen.

Cela dit, ni Washington ni Ankara n’ont intérêt à ce que leurs relations restent longtemps perturbées. D’où des tentatives d’apaisement : le 24 août, le vice-président américain, Joe Biden, sera en visite en Turquie pour évoquer le sujet et tenter d’apaiser les tensions. Pour le moment, Ankara se veut ferme. « L’élément principal dont dépend l’amélioration de nos relations avec les Etats-Unis est l’extradition de Gülen. Il n’y a pas de place pour la négociation sur ce sujet », a annoncé le premier ministre turc, Binali Yildirim. Mais d’ici là, les angles devraient s’arrondir.

En revanche, les relations entre Ankara et l’UE sont loin de se détendre. Depuis trois semaines, les puissances européennes ne cessent d’adresser des critiques acerbes contre la vaste purge turque qui a succédé à la tentative de putsch. Pour preuve, le ministre autrichien de la Défense, Hans-Peter Doskozil, a comparé le régime turc à une « dictature ». « Les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE doivent cesser », a dit le chancelier autrichien, Christian Kern, avant de réclamer un débat sur le sujet lors du Conseil européen le 16 septembre. Selon les experts, c’est le pacte migratoire — conclu entre l’UE et Ankara en mars —, qui pourrait faire les frais de ces relations perturbées. Cette semaine, Omer Celik, ministre turc des Affaires européennes, a menacé de faire capoter l’accord si Bruxelles n’annonce pas la date de la levée des restrictions sur les visas pour les citoyens turcs. En effet, la relance des négociations d’adhésion UE-Turquie, tout comme l’exemption de visas pour les ressortissants turcs, sont les principales contreparties exigées par Ankara pour bloquer le flux de migrants vers l’Europe. « La crise migratoire est loin d’être résolue. Erdogan n’était pas favorable à la conclusion de cet accord dès le départ. C’est son ex-premier ministre, Ahmet Davutoglu, qui l’a signé et je pense que cette signature était l’un des motifs de sa destitution. Erdogan voulait une contrepartie économique plus importante », affirme Dr Norhane Al-Cheikh .

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