Al-Ahram Hebdo : Qu’attendez vous des discussions du 13 décembre entre Téhéran et l’AIEA ?
Mohamad Abbass : La reprise de ces discussions est un signe positif en soi, car elle prouve que les deux côtés tiennent à ne pas couper le dialogue Vendredi dernier, le chef de l’AIEA a plaidé pour résoudre d’urgence la crise iranienne. Pourtant, je pense que ces discussions ne vont pas apporter grand-chose à la solution de la crise iranienne. A deux jours des discussions, le secrétaire général de l’AIEA a affirmé que l’Iran n’avait rien fait pour dissiper les soupçons autour de son programme nucléaire, ce qui pourrait avorter tout dialogue.
— D’après vous, quelles sont les causes de cette impasse entre Téhéran et l’AIEA ?
— Cette impasse est due à ce que les deux parties se méfient l’une de l’autre. D’une part, l’agence n’a plus confiance en Téhéran, car il ne fait pas d’actes positifs pour calmer la communauté internationale. Au contraire, Téhéran ne cesse de mettre de l’huile sur le feu, surtout en ce qui concerne le site suspect de Parchin, où les responsables iraniens ont tenté d’éliminer des traces d’enrichissement d’uranium, de quoi alimenter les inquiétudes de l’AIEA quant aux visées militaires du programme nucléaire iranien. D’autre part, Téhéran n’a pas confiance en l’AIEA, car il pense que la plupart de ses inspecteurs sont des espions de la CIA et du Mossad. Dans ce climat de méfiance, on ne peut pas s’attendre à une rencontre fructueuse.
— Et donc, quel avenir pour les discussions prévues ce mois-ci entre Téhéran et les Six grandes puissances ?
— Je suis plus ou moins optimiste quant à ces négociations, car Téhéran, sous pression, serait plus ouvert au dialogue pour deux raisons. La première est que l’Iran a peur de perdre son rôle régional au cas de chute de son allié et soutien, le régime de Bachar Al-Assad, qui constitue un point de liaison entre le régime des mollahs et le Hezbollah et le Hamas en Palestine et au Liban. Deuxième raison : les pressions occidentales s’accentuent et les sanctions internationales s’alourdissent, courbant le dos du régime iranien et fragilisant son économie. Depuis les sanctions frappant le secteur pétrolier iranien en juillet, Téhéran exporte chaque jour 1,5 million de barils de pétrole contre 2,5 millions de barils les années dernières. Cet état de choses a conduit à de graves difficultés économiques pour le régime qui souffre de la diminution des devises étrangères. Ces deux facteurs vont pousser Téhéran à avancer des solutions lors des discussions avec les Six.
— Vous attendez-vous à des négociations directes entre Téhéran et Washington ?
— Je pense que c’est possible, car déjà les leaders iraniens ont répété ces dernières semaines être prêts à nouer un dialogue direct avec Washington. Le président iranien même a affirmé sa volonté de dialoguer directement avec les Etat Unis, mais il faut d’abord recueillir l’approbation du guide Al Khamenei. Ces deniers jours, des rumeurs ont circulé quant à la tenue de négociations directes secrètes entre les deux pays. Le régime iranien peut dialoguer avecWashington, surtout après réélection de Barack Obama, car cedernier n’a pas de tendance à se lancer facilement dans des guerres et opte toujours pour la diplomatie. Personnellement, je pense que lasolution à la crise iranienne n’aura lieu que par des discussions directes entre les deux pays.
— Puisque la solution de la crise doit passer par un dialogue avec Washington, pourquoi Téhéran ne veut-il pas franchir ce pas ?
— Le régime iranien est hautain par nature, il ne cède pas facilement. Puis, le régime d’Al-Assad survit toujours et l’économie iranienne n’est pas complètement effondrée, elle trouve quelques difficultés, c’esttout. Le régime des mollahs vien d’affirmer que ses réserves en devises étrangères dépassent les 100 milliards de dollars grâce a exportations pétrolières des années dernières. Alors pas de besoin pressant de s’abaisser et d’accepter le dialogue maintenant. Mais je pense que très prochainement, les mollahs vont nouer ce dialogue direct avec Washington et vont tenter d’en tirer le plus de gains possibles.
— Ceci dit, l’éventualité d’un frappe militaire américaine a-telle disparu ?
— Elle ne s’est pas effacée, mais ce scénario est loin pour le moment, car le président Obama a affirmé, après sa réélection, qu’il ne va pas se lancer dans une guerre et qu’il préfère la diplomatie
. — Mais comment Obama va-t-il réagir face aux pressions israéliennes qui le poussent à aller frapper l’Iran le plus vite possible ?
— Je pense qu’Obama ne va pas céder aux pressions israéliennes. N’oublions pas que le président américain a déjà brigué son 2e et dernier mandat, ce qui va réduire l’influence du lobby israélien, dont il avait besoin pour remporter les élections. Pourtant, je ne peux pas dire que Washington va délaisser son enfant gâté Tel-Aviv.
— Et Tel-Aviv, pourra-t-il procéder à une frappe unilatérale contre Téhéran après les élections israéliennes du 22 janvier ?
— Je ne pense pas. Il lui faut le soutien des Etats-Unis. Même Netanyahu, le chef de la droite extrémiste, n’a pas osé frapper Téhéran seul, même s’il ne le dit pasfranchement.
— Mais Téhéran pourrait faire fi de toutes les menaces occidentales et poursuivre son programme nucléaire sans avoir peur de l’option militaire ...
— Certainement pas. Tel-Aviv et Washington surveillent de près le programme nucléaire iranien avec leurs satellites. Ils ne vont jamais accepter un Iran nucléaire. Ils tolèrent l’enrichissement d’uranium jusqu’à un certain degré, mais s’ils pressentent que le programme iranien pourrait avoir une visée militaire, ils feront tout pour l’empêcher Washington ne restera pas les bras croisés si sa sécurité ou celle d’Israël est mise en danger. La preuve est que cette semaine, les Etats-Unis ont durci leurs sanctions et ont prolongé leurs exemptions de sanctions sur les exportations de pétrole iranien pour 9 pays (Chine, Inde, Malaisie, Corée du Sud, Singapour, Afrique du Sud, Sri Lanka, Turquie et Taiwan) pour maintenir la pression sur le régime iranien .
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