Al-Ahram Hebdo : Le président Donald Trump a promis de promouvoir la paix par la force dans la région. Comment interprétez-vous cette déclaration ? Quelle sera sa politique au Moyen-Orient pendant son second mandat ?
Ashraf Singer : Le président Trump s'est présenté comme celui qui mettrait fin aux guerres, tout en jouant un rôle de premier plan au Moyen-Orient, notamment en tant que protecteur de l’Etat d’Israël. Lors de l’annonce du cessez-le-feu à Gaza, il a déclaré : « Nous continuerons à promouvoir la paix par la force dans la région et à maintenir l’élan généré par le cessez-le-feu pour étendre les accords de paix ». L'Administration Trump semble déterminée à arrêter les conflits, mais en imposant les conditions d’Israël. Ce concept de paix par la force est essentiel dans sa vision. Avec des figures telles que Pete Hegseth, secrétaire à la Défense, Marco Rubio, secrétaire d’Etat, et Mike Waltz, conseiller à la sécurité nationale, la politique de Trump reflète une volonté de marginaliser tout rôle du Hamas à Gaza. Waltz a notamment affirmé que « le Hamas ne gouvernera jamais Gaza », illustrant la position stricte des Etats-Unis contre tout rôle du Hamas dans la gestion de la bande de Gaza.
Trump a également pris des mesures fermes sur le sol américain, avec un décret parmi les 80 signés, stipulant que tout étudiant aux Etats-Unis affichant un soutien au Hamas ou au Hezbollah serait expulsé. Cela souligne une politique agressive envers ces groupes, même hors des frontières du Moyen-Orient.
Cependant, l’objectif de Trump est de réduire l’implication directe des Etats-Unis dans la région, considérée comme un fardeau financier et stratégique. En théorie, il souhaite promouvoir une paix conditionnelle, mais il est peu probable que son plan soit accepté par les Palestiniens, d’autant que l’Administration Trump n’augure rien de favorable pour la région.
— Après la trêve, Trump cherchera-t-il à approuver un plan global pour résoudre la question palestinienne, ou proposera-t-il à nouveau une vision de paix économique comme « l’accord du siècle » ?
— La solution à la question palestinienne reste incertaine et soulève de nombreuses interrogations. Par exemple, Trump a récemment, sous la pression du lobby israélien, levé les restrictions imposées aux colons par l’Administration Biden, tout en autorisant la livraison de bombes puissantes à Israël, gelée par son prédécesseur. Ces décisions alimentent le doute quant à une solution durable.
La perspective de la création d’un Etat palestinien, telle que défendue par Yasser Arafat, semble s’éloigner. Trump n’a d’ailleurs pas évoqué « l’accord du siècle » lors de sa deuxième campagne, ce qui laisse penser que la question palestinienne ne figure pas en priorité sur son agenda. Il semble toutefois soutenir l’idée que l’Autorité palestinienne devrait reprendre le contrôle de Gaza, mais cette proposition se heurte à des obstacles majeurs, notamment l’absence de confiance et les divisions entre Gaza et Ramallah. Même si Trump a soutenu les initiatives égyptiennes pour un cessez-le-feu et la protection des civils palestiniens, l’idée d’une paix globale garantissant des droits pleins et entiers aux Palestiniens paraît peu probable sous son administration. En résumé, la politique de Trump au Moyen-Orient lors de son second mandat repose sur des initiatives unilatérales, souvent en faveur des intérêts israéliens, au détriment d’une approche équilibrée ou d’un règlement définitif de la question palestinienne.
— Trump aurait imposé un cessez-le-feu à Israël en échange de « cadeaux ». Quels sont ces cadeaux ?
— D’après plusieurs sources, le président Trump aurait conditionné un cessez-le-feu à Gaza à des contreparties accordées à Israël. Selon la presse israélienne, Steven Witkoff, envoyé spécial de Trump, aurait exercé des pressions sur le premier ministre, Benyamin Netanyahu, pour conclure un accord de cessez-le-feu et un échange de prisonniers. En échange, Trump aurait promis à Israël des avantages considérables, notamment l’expansion de la colonisation en Cisjordanie, soutenant ainsi une politique d’annexion de territoires palestiniens, l’annulation des décisions prises par l’Administration Biden, comme les sanctions contre les colons et le renforcement des accords d’Abraham, en particulier la normalisation avec l’Arabie saoudite. Par ailleurs, il est suggéré que Trump pourrait intervenir pour contrer les mandats d’arrêt internationaux émis contre Netanyahu et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que d’autres accusations internationales pour crimes de guerre.
Cependant, Trump ne semble pas prêt à offrir un soutien inconditionnel à Israël sur le long terme. Ses récentes déclarations, où il juge la superficie d’Israël « trop petite », laissent entendre qu’il pourrait encourager Israël à annexer davantage de terres palestiniennes en Cisjordanie, une démarche aux implications potentiellement dangereuses. Les exportations d’armes vers Israël, quant à elles, devraient se poursuivre sans restriction.
— Téhéran a exprimé sa volonté de négocier sur son programme nucléaire. Quelles pourraient être les stratégies de pression ou d’escalade adoptées par Trump envers l’Iran ?
— Téhéran a affiché une certaine ouverture aux négociations, mais les conditions fixées par Trump restent incertaines. La nouvelle Administration pourrait-elle adopter une approche pragmatique envers l’Iran ? Rien n’est moins sûr. Trump, qui s’était retiré de l’accord sur le nucléaire iranien lors de son premier mandat, semble peu enclin à rétablir un dialogue constructif avec l’Iran. Il perçoit Téhéran comme un obstacle à la politique américaine au Moyen-Orient, en raison de son soutien à des groupes tels que les Houthis au Yémen, le Hezbollah au Liban et leurs alliés en Iraq.
Il semble peu probable que Trump parvienne à un accord global avec l’Iran. En revanche, on peut s’attendre à un renforcement des sanctions économiques, pour affaiblir davantage une économie iranienne déjà exsangue, et à une pression accrue sur l’Iran pour limiter son influence dans la région. Ainsi, la politique américaine envers l’Iran sous Trump restera marquée par des mesures coercitives plutôt que par des efforts diplomatiques.
— Les Etats-Unis pourraient-ils intervenir dans la gestion de la transition en Syrie ? Et Trump va-t-il retirer Hayat Tahrir Al-Sham de la liste des organisations terroristes ?
— L’Administration Trump a montré un intérêt limité pour la crise syrienne et les dynamiques de transition dans le pays. Cette indifférence s’explique par la complexité du conflit, où plusieurs acteurs internationaux, notamment la Turquie (membre de l’OTAN) et Israël, s’opposent sur le terrain. Malgré une volonté de certains pays du Golfe et d’Europe de faciliter une transition en Syrie et de lever les sanctions, Trump ne semble pas prêt à s’engager activement. Quant à un éventuel retrait de Hayat Tahrir Al-Sham des listes des organisations terroristes, cette décision nécessiterait davantage de temps et d’examen de la part des Etats-Unis.
— Les Etats-Unis vont-ils réduire leur présence militaire au Moyen-Orient ?
— Washington cherche depuis longtemps à réduire sa présence militaire au Moyen-Orient, principalement pour réorienter ses efforts vers la Chine. Cependant, ce retrait semble difficile à concrétiser pour deux raisons. La première tient à la situation sécuritaire fragile dans la région, qui continue de menacer les intérêts américains et la sécurité d’Israël, un allié-clé. La deuxième porte sur la nécessité de protéger les voies maritimes et les ressources stratégiques, essentielles pour l’économie mondiale. Bien que les Etats-Unis souhaitent alléger leur implication militaire, la réalité sur le terrain rend ce retrait improbable à court terme.
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