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Gaza : Une trêve, en attendant la paix

Abir Taleb , Mercredi, 22 janvier 2025

Entré en vigueur cette semaine, l’accord de cessez-le-feu à Gaza ouvre des perspectives d’apaisement pour les Palestiniens après 15 mois d’une guerre dévastatrice. Parvenir à une paix entre Israéliens et Palestiniens est cependant une tout autre affaire. Décryptage.

Gaza : Une trêve, en attendant la paix

Un semblant de vie normale. Une lueur d’espoir. Depuis le dimanche 19 janvier, les Gazaouis vivent sans le rythme incessant et fatal des bombardements israéliens. Enfin ! Après plus de 15 mois d’une guerre dévastatrice, un accord de cessez-le-feu doublé d’une libération d’otages israéliens et de prisonniers palestiniens a été conclu le 15 janvier, après une médiation américano-égypto-qatarie. Mais surtout sous l’impulsion d’un Donald Trump qui a pesé de tout son poids pour que l’accord soit conclu avant son investiture, le 20 janvier, promettant « un enfer » si les otages n’étaient libérés avant son retour à la Maison Blanche. Car si cet accord ressemble en plusieurs points à celui que le désormais ancien président américain, Joe Biden, avait proposé en mai dernier, il a fallu attendre l’impact décisif de Donald Trump, qui a exercé une plus grande pression sur le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu. Mais pas seulement, estime Rakha Hassan, ex-ministre adjoint des Affaires étrangères et membre du Conseil égyptien des affaires étrangères. « La pression, voire les menaces de Trump étaient certainement les plus déterminantes, d’autant plus que son prédécesseur donnait carte blanche à Israël. Cependant, d’autres facteurs ont favorisé cet accord. Les deux parties sont exténuées. Même si les médias israéliens et occidentaux l’omettent, les pertes économiques israéliennes sont énormes, elles pèsent lourd. Et puis, il y a la pression continue de l’opposition israélienne et des familles des otages », explique-t-il.

Sentiments mitigés

Mais ces pressions sont-elles suffisantes pour garantir un non-retour à la guerre ? « Ce que l’on peut prévoir pour les semaines à venir, c’est que la trêve tienne, même si certaines violations peuvent avoir lieu. Trump veut mettre fin aux conflits, notamment ceux du Moyen-Orient. Et comme il l’a déjà fait, il continuera à faire pression sur Netanyahu », estime de son côté Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire.

En effet, les premiers jours qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’accord, le 19 janvier, se sont passés plutôt dans le calme et les termes de l’accord ont été respectés. Mais au-delà des détails concernant le calendrier des libérations et le retrait des forces israéliennes de la bande de Gaza, au-delà de l’euphorie qui a suivi l’annonce de l’accord, ce sont des sentiments mitigés, parfois contradictoires, qui prévalent. Du soulagement, certes, que les armes se sont tues. De l’espoir, malgré tout, que ce soit la fin définitive de la guerre. De la crainte, tout de même, que les étapes à venir ne piétinent. Car, « après 15 mois de guerre, la priorité était de faire taire les armes, d’apaiser la situation dans la bande de Gaza et d’acheminer les aides », explique Soliman. Les choses plus sérieuses attendront un peu …

Des questions en suspens

On le dit toujours, le diable se cache dans les détails. Or, de nombreux détails des phases 2 et 3 sont encore à préciser. La suite du calendrier reste incertaine. Les conditions de la deuxième phase, qui doit voir la fin définitive de la guerre et la libération de tous les otages, doivent être négociées au cours des six semaines à venir. Toujours sur la défensive, Benyamin Netanyahu l’a clairement dit : le cessez-le-feu est « temporaire ». Et Joe Biden, comme Donald Trump, ont donné à Israël le droit total de reprendre ses attaques si les prochaines étapes de l’accord avec le Hamas n’étaient pas réalisées, affirme-t-il, tout en insistant sur le fait de vouloir s’assurer que la bande de Gaza « ne présentera plus jamais de menace pour Israël ». Ce qui équivaut à dire, selon Israël, que le Hamas n’ait plus de présence, ou du moins de pouvoir, à Gaza. Or, dès les premières heures de la trêve, les forces de sécurité du Hamas se sont déployées à Gaza. Une façon de dire : « on est toujours là » …

« De ce point de vue, on peut dire qu’Israël n’a pas atteint son objectif de détruire le Hamas », estime Rakha Hassan, qui ajoute que le mouvement ne va jamais accepter de quitter le pouvoir à Gaza. « Le Hamas reste très populaire, à Gaza comme en Cisjordanie d’ailleurs. Tout au plus, il peut accepter un gouvernement de transition à Gaza, formé de technocrates, jusqu’aux prochaines élections palestiniennes », pense-t-il. La gestion du pouvoir pourrait, selon Mona Soliman, prendre la forme d’un comité conjoint entre l’Autorité palestinienne et le Hamas jusqu’à la tenue d’élections.

Un piège ?

Mais cette éventuelle solution peut-elle être acceptée par Tel-Aviv et Washington ? Tout porte à croire que non. D’ores et déjà, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, Michael Waltz, a affirmé, juste après l’investiture de Trump, que les Etats-Unis ne laisseront pas le Hamas contrôler Gaza. Avant lui, Joe Biden, le président sortant, avait déclaré que la deuxième phase de l’accord comprenait le démantèlement du pouvoir du Hamas sur la bande de Gaza. Et comme l’explique le général Samir Ragheb, expert militaire et stratégique, Netanyahu n’acceptera pas que le Hamas revienne. « C’est, pour lui, une question de vie ou de mort. Car une survie du Hamas signifiera sa propre chute ».

 Mais que cogitent donc Israël et son grand allié américain ? Selon le journal israélien Haarezt, « Netanyahu compte sur le Hamas pour l’aider à faire dérailler la deuxième phase ». D’après le journal, Netanyahu, pour tenter de conserver le soutien de ses ministres d’extrême droite, opposés à l’accord de cessez-le-feu, leur a fait passer le message qu’une fois les premiers otages libérés, Israël « trouvera un prétexte pour reprendre les combats, car le Hamas ne tiendra pas ses promesses. L’armée israélienne reviendra dans la bande de Gaza et, cette fois, elle détruira complètement le régime du Hamas, comme promis », et ce, avec le soutien des Etats-Unis, souligne le quotidien israélien.

Et l’origine du problème ?

Des pronostics qui se multiplient, alors plusieurs questions cruciales restent en suspens, non seulement celle de savoir qui va gouverner Gaza dans la période à venir, mais aussi et surtout quel sera l’avenir du conflit israélo-palestinien. Certes, le cessez-le-feu offre un répit tant attendu, une perspective d’apaisement pour les Palestiniens. Certes, le cessez-le-feu est à saluer après 15 mois d’une terrible guerre, plus de 46 000 morts palestiniens et un territoire quasiment entièrement dévasté. Il n’en demeure pas moins qu’il ne saurait être une fin en soi. Sans solution politique définitive, le conflit risque de s’enliser à tout moment. Car il ne s’agit pas de la guerre lancée après le 7 octobre 2023, il s’agit de la question palestinienne, d’un conflit qui dure depuis 77 ans, du droit des Palestiniens à un Etat indépendant. Aussi important soit-il, l’accord de cessez-le-feu ne doit faire oublier l’urgence d’une solution juste et durable à même de mettre fin à des décennies d’injustice et de souffrance. « Pour la première fois, Trump a évoqué la solution à deux Etats, c’est une avancée en soi. Il se peut que sous son impulsion, les négociations de paix reprennent, mais, à mon avis, elles aboutiront tout au plus à une sorte d’autonomie palestinienne, pas à un Etat à proprement dit », estime Samir Ragheb. Pourtant, ajoute-t-il, « l’origine du mal est l’occupation, tant qu’on se contente de soigner les symptômes et à ne pas s’attaquer au mal lui-même, il n’y aura pas de paix et la résistance palestinienne continuera ».

Or, le chemin est encore long et semé d’embûches. Et les inconnues nombreuses. « Nous avons obtenu un accord de cessez-le-feu à Gaza qui est la première étape vers la paix au Proche-Orient. Cet accord est le résultat de ma victoire aux élections », a lancé, tout fier, le président américain. Reste à savoir ce que nous promet Trump dans la période à venir. « Désormais, il faudra voir si Trump apportera un nouveau plan de paix à la place du deal du siècle qu’il avait présenté lors de son premier mandat », s’interroge Rakha Hassan. Et de conclure : « Trump veut toujours oeuvrer à une normalisation entre Israël et l’ensemble des pays arabes, une sorte de suite aux Accords d’Abraham. Car son plus grand rêve, c’est d’obtenir le prix Nobel de la Paix ».

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