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La joie amère de Gaza

Dina Darwich , Mercredi, 22 janvier 2025

Des conditions de vie insupportables, le départ des proches et la destruction de leur terre ont marqué les habitants de la bande de Gaza. L’annonce du cessez-le-feu leur donne finalement une lueur d’espoir et une nouvelle chance de vie.

La joie amère de Gaza

La ville de la résilience dira-t-elle enfin adieu à ses souffrances et ses maux ? Le cessez-le-feu a été déclaré dimanche dernier, et dès l’annonce de la nouvelle, Gaza s’est transformée en une immense scène de festivités, malgré les raids et bombardements qui ont précédé la mise en vigueur de l’accord.

« C’est un jour de bonheur et de tristesse, de choc et de joie », confie Nelly Al-Masry, critique de football, qui a quitté sa ville avec sa petite famille tandis que ses parents se sont réfugiés en Egypte. Les drapeaux ont envahi le ciel, les klaxons ont retenti partout et la Dabka (danse palestinienne) a rythmé les rues de la bande de Gaza. Pour la première fois depuis longtemps, la ville s’est parée de joie.

Une joie toutefois empreinte de gravité. Pour les Gazaouis, ces célébrations marquent à la fois la fin de la guerre et le fait d’être encore en vie, comme le souligne Magued Tarazi, membre du bureau exécutif des scouts. Cependant, cette période est également une occasion douloureuse de se souvenir des familles et des proches perdus au cours de la guerre dévastatrice, qui a duré plus de 15 mois.

Entre ce mélange d’allégresse et de deuil, un état d’alerte persiste. Les Gazaouis redoutent non seulement une reprise des hostilités, mais aussi un avenir incertain au milieu de la destruction massive de leur ville. « Je suis heureuse, oui, je pleure, mais ce sont des larmes de joie », déclare Ghada, une mère de cinq enfants déplacés, via une application de messagerie depuis son abri à Deir Al-Balah, dans le centre de Gaza. « Nous renaissons, mais c’est une joie imparfaite », ajoute-t-elle. « Israël commet encore de nouveaux massacres, même après la déclaration du cessez-le-feu. Mon souhait est que tout cela prenne enfin fin ».

Des nuits sans sommeil

Pendant plus de 400 jours, Gaza n’a connu ni calme ni répit. Jour et nuit, le bruit de la guerre résonnait dans chaque quartier. Trouver quelques instants de sommeil était devenu un luxe. « Enfin, je vais pouvoir dormir en silence, sans menace, sans bruit, sans que la mort soit mon ombre fidèle », soupire Mohamed Kharawat, acteur résidant à Beit Hanoun, au nord de Gaza, qui a dû quitter sa maison en avril dernier.

« J’ai vraiment besoin d’un repos de guerrier. J’ai été traumatisé par toutes ces scènes qui ont bouleversé ma vie », confie Anas Al-Najjar, photographe originaire de Khan Younès. Contraint à quitter sa maison en mars dernier, il espère un jour y revenir pour retrouver un semblant de normalité : dormir dans son propre lit, profiter de soirées chaleureuses en famille et apaiser ses blessures psychologiques.

Pour Mohammed Hamad, déplacé dès le premier jour de la guerre à Beit Hanoun, le retour au nord de la bande de Gaza est une priorité, quelles qu’en soient les conditions. « Même si je dois vivre dans une tente, je veux retourner à Beit Hanoun. Ma maison, mes petites habitudes, mon quotidien me manquent tellement », déclare-t-il.

Toutefois, ces retours ne seront pas chose simple. « Presque 80 % des bâtiments de Gaza ont été détruits », explique Magued Tarazi, qui a perdu avec sa famille 11 maisons. « L’infrastructure de la ville est en ruine. Gaza ressemble à une ville fantôme », dit-il.

Les pertes humaines, cependant, sont encore plus difficiles à accepter. « Des familles entières ont disparu des registres officiels. L’odeur de la mort imprègne chaque rue, chaque quartier », ajoute Tarazi.

Un cauchemar sans fin

La guerre déclenchée le 7 octobre 2023 a forcé près de deux millions de Palestiniens à fuir vers le sud de Gaza. Là, ils ont enduré des mois de violences, de faim et de privations. Pourtant, au coeur de ce cauchemar, les survivants n’ont pas eu l’occasion de véritablement exprimer leur douleur. « La destruction des maisons et des biens peut être réparée », confie Abu Taha, un habitant de Rafah, à la frontière égyptienne. « Mais les vies perdues, celles de nos proches, de nos amis, qui les ramènera ? La vie continue, mais elle n’aura jamais le même goût sans eux ».

Pour de nombreux Gazaouis, la fin des hostilités marque le début d’une reconstruction difficile, matérielle et émotionnelle. Selon les statistiques officielles du ministère de la Santé de Gaza, 46 707 personnes ont été tuées et plus de 110 000 blessées, dont 70 % sont des femmes et des enfants. Ce bilan, issu d’une guerre qui a duré plus de 467 jours, représente près de 6 % de la population de Gaza, d’après un rapport publié par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

« C’était comme être dans un train lancé à toute vitesse, incapable de distinguer les scènes qui défilaient par la fenêtre. Voilà ce que j’ai ressenti tout au long de la guerre », raconte Khaled, étudiant de 25 ans. « Je n’arrivais pas à croire que mon père, ma soeur et mon frère étaient partis. Je devais tenir bon pour soutenir le reste de ma famille, ma mère et ma petite soeur ». Il confie : « Après le cessez-le-feu, je peux enfin pleurer, crier et extérioriser tout ce chagrin enfermé dans mon esprit. Je me sens à moitié vivant, à moitié mort. Mais il me suffit de pouvoir enfin m’exprimer ».

Entre douleur et espoir

« De retour à Rafah », murmure Ahmad Taha avec nostalgie. Pendant plus de sept mois, il a attendu ce moment où il pourrait visiter la tombe de son père. « Enfin, nous pouvons regagner notre ville, ce plus petit des cinq gouvernorats de Gaza, qui a subi une opération militaire israélienne et une invasion terrestre depuis le 6 mai. La première chose que je vais faire est d’enterrer mon père dignement. Je n’ai pas eu le temps de le faire à cause des dangers et des menaces qui nous entouraient ».

D’autres Gazaouis attendent avec impatience l’ouverture du point de passage de Rafah entre l’Egypte et Gaza, fermé depuis mai 2024. Nelly Mostapha, qui avait tant espéré cette réouverture pour revoir son père hospitalisé au Caire, raconte avec amertume : « Hélas, l’annonce de la réouverture a coïncidé avec le jour de la mort de mon père au Caire. Je n’ai pas eu la chance de lui dire adieu. Maudite soit la guerre, qui nous prive de nos derniers instants avec nos proches ».

Quant à Khawla Al-Khaldi, journaliste réfugiée au Caire avec ses enfants depuis février, elle se réjouit de pouvoir enfin retrouver ses parents. « Pendant dix mois, j’ai retenu mon souffle. Aujourd’hui, je peux enfin respirer et espérer ». Khawla, qui a perdu plusieurs collègues au cours de la guerre (190 journalistes tués, selon les chiffres du syndicat des Journalistes palestiniens en décembre 2024), retrouve également la force de reprendre ses reportages sur le terrain.

Dans cette ambiance chargée d’émotions contradictoires, Gaza vit un moment singulier. L’écrivain et analyste politique Thabet Al-Amur explique : « Aucun langage ou vocabulaire ne peut capturer pleinement les sentiments de ces gens qui, pendant plus de 400 jours, ont vécu la mort et dit adieu à des martyrs. Ce moment est décisif dans l’histoire du peuple palestinien. Les gens pleurent de joie, car la mort, le génocide, la faim et les déplacements vont enfin cesser ». Et d’ajouter : « Ces scènes de célébrations spontanées que nous voyons aujourd’hui à Gaza reflètent l’épopée palestinienne, cette tragédie mêlant joie et tristesse. Elles incarnent les principaux affluents et incubateurs de l’identité palestinienne ».

Bien que le chagrin, le deuil et l’incertitude continuent de marquer les jours des Gazaouis, certains choisissent de tourner une page et d’embrasser l’espoir. Rami Arouky, habitant de la ville de Gaza, a annoncé sur son compte Facebook qu’il avait une bonne nouvelle à partager : lui et sa femme vont adopter une petite fille ayant perdu ses parents durant la guerre. « Ce nouveau membre de notre famille va remplir notre vie d’amour, d’affection et de chaleur », écrit-il avec émotion.

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