« Nous aimons la créativité comme souffle essentiel de la vie, et nous nous accrochons à notre terre comme un espace fondamental de liberté. Quelles que soient nos différences, face à l’adversité, nous nous serrons les uns les autres car si l’un de nous se brise, nous nous brisons tous », a déclaré Joseph Aoun, commandant en chef de l’armée libanaise, désormais le président du Liban. Une déclaration faite quelques minutes à peine après avoir été élu, le jeudi 9 janvier, après plus de deux ans de vacance présidentielle. S’adressant aux parlementaires et aux Libanais en général, il a prononcé un discours riche en messages et promesses.
L’élection de Aoun, avec ses interactions internationales et nationales, montre un large éventail d’indications liées aux répercussions des changements géopolitiques dans la région sur l’intérieur du Liban, ce qui contribue à en anticiper les conséquences. L’une des premières motivations du choix de Aoun semble être le renforcement du consensus. Après que le président du Parlement, Nabih Berry, avait annoncé la date de l’élection présidentielle suite à l’accord de cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël, les efforts internationaux se sont intensifiés afin de parvenir à un consensus entre les parties libanaises. Ces efforts ont été menés par le Comité international sur le Liban, qui comprend les Etats-Unis, la France, l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Egypte.
Les conséquences du contexte régional
Ainsi, on peut donc déduire que les élections, sans être un processus électoral au sens politique du terme, reflètent ce consensus. En outre, l’élection de Joseph Aoun représente l’un des indicateurs les plus importants des résultats de la guerre israélienne contre le Liban. Il s’agit premièrement des répercussions qu’elle a eues sur la puissance du Hezbollah, en particulier sur les capacités organisationnelles, notamment après l’assassinat de son secrétaire général Hassan Nasrallah, en plus de ses capacités militaires. Ces coups durs subis par le Hezbollah se sont reflétés sur ses positions politiques, notamment le fait d’avoir accepté l’élection de Joseph Aoun et abandonné son candidat, le chef du mouvement Marada, Sleiman Frangié. Par ailleurs, l’affaiblissement de l’Iran et de ses alliés dans la région, également après la chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, a favorisé l’élection présidentielle. C’est pourquoi la responsabilité de ce dossier a été confiée à Nabih Berry, président du Parlement et chef du mouvement Amal. Sous la pression internationale, un consensus a finalement été trouvé pour élire Aoun.
Le poids persistant des chiites
La séance parlementaire a en outre révélé un aspect important de l’avenir politique du Liban, à savoir que malgré l’état de repli dont a fait preuve le Hezbollah dans le choix du président, lui et son allié, le mouvement Amal, tiennent toujours à conserver son rôle central dans la scène politique libanaise dans toutes ses dimensions, comme en témoignent les résultats du premier tour des élections : l’obtention par Joseph Aoun de 71 voix, en raison au vote du tandem chiite et de ses alliés indépendants et d’autres forces qui ont blanchi 37 bulletins. Nabih Berry a ensuite annoncé la suspension de la séance pour des consultations, avant de reprendre le vote lors du deuxième tour, qui a donné à Aoun 99 voix. Par ce résultat, le Hezbollah et Amal envoient ainsi un message aux forces politiques libanaises, ainsi qu’aux puissances régionales et internationales concernées par le Liban : aucune décision décisive, telle que l’élection du président, ne peut être prise dans le pays sans l’approbation du duo chiite, et ce dernier est déterminé à maintenir cette équation au cours de la nouvelle ère présidentielle.
Plusieurs défis
La situation au Sud-Liban est l’un des plus importants et des premiers défis auxquels le nouveau président libanais sera confronté au début de son mandat, notamment en ce qui concerne l’accord de cessez-le-feu avec Israël et ses dispositions relatives au déploiement de l’armée libanaise dans le sud et au retrait des forces du Hezbollah au nord du fleuve Litani avec le désarmement du parti et le démantèlement de ses infrastructures dans les zones où l’armée est déployée en échange du retrait des forces israéliennes du sud à la fin de la période des 60 jours spécifiée dans l’accord. On peut ainsi déduire que le consensus externe qui a conduit à l’élection de Aoun a également permis de dénouer le sort de ces clauses. Les puissances concernées auraient promis au nouveau président d’assurer le retrait des forces israéliennes du sud à la date spécifiée en échange d’un soutien à l’armée libanaise pour qu’elle s’acquitte de ses responsabilités conformément à l’accord concernant la présence du Hezbollah au sud du Litani. Autrement dit, on peut s’attendre à ce que le soutien des forces internationales à l’armée libanaise augmente considérablement au cours de la prochaine phase, afin qu’elle puisse mener à bien son rôle, en échange de la reconstruction des zones touchées dans le sud, fief du Hezbollah.
Pourtant, il faut tenir compte qu’il sera difficile d’espérer que l’armée sera capable de désarmer le parti dans une période si courte malgré les déclarations du président. Cette question sera reportée et soumise à plusieurs facteurs tels que la nature du nouveau gouvernement libanais, la position militaire d’Israël et sa présence au sud du Liban et son respect, ce qui était stipulé dans l’accord de cessez-le-feu et de la résolution 1 701 du Conseil de sécurité.
Le défi de la réforme constitue un autre enjeu majeur auquel Aoun est confronté. Le discours du nouveau président libanais s’est articulé autour de plusieurs points qui semblaient s’adresser davantage à la communauté internationale. A commencer par la nécessité de changer la performance politique. Il a également promis de travailler sur la promulgation d’une nouvelle loi qui garantit l’indépendance du pouvoir judiciaire, la restructuration de l’administration publique et la garantie de limiter le monopole des armes à l’Etat. Ces dispositions reflètent les tendances de réformes visant à attirer le soutien de la communauté internationale, notamment sur le plan économique, pour faire sortir le Liban de sa crise qui a touché divers secteurs.
En général, bien que l’élection d’un nouveau président représente une percée majeure dans la crise politique que traverse le pays à tous les niveaux, politique, sécuritaire et social, la nouvelle ère sera confrontée à des défis tout aussi importants. L’avenir incertain de l’arsenal du Hezbollah, acteur majeur de l’équation politique libanaise, risque de maintenir la dynamique politique actuelle. Le parti pourrait, en effet, concentrer tous ses efforts sur le renforcement de sa position et de son influence au Liban, afin de compenser les pertes subies par l’axe iranien au niveau régional.
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