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Entre Trump et ses alliés, des sujets qui fâchent

Abir Taleb , Mercredi, 13 novembre 2024

Paradoxalement, ce sont les alliés des Etats-Unis qui s’inquiètent le plus du retour de Trump. Car les points de friction sont nombreux : de l’Ukraine à l’OTAN en passant par le climat, l’harmonie est loin d’être au rendez-vous.

Entre Trump et ses alliés, des sujets qui fâchent

C’est un rare contact entre des représentants de Moscou et de Kiev. Vendredi 8 novembre, des médiateurs russes et ukrainiens aux droits humains ont annoncé s’être rencontrés en Biélorussie pour évoquer des questions humanitaires. Une prémonition ? Peut-être. Car dans la période à venir, l’équation risque de bien changer. Dans son discours de victoire mercredi 6 novembre en Floride, le président fraîchement élu des Etats-Unis, Donald Trump, a promis de mettre fin aux guerres. Vue de Kiev, la déclaration est jugée inquiétante. Car l’armée recule déjà, jour après jour, face aux forces russes. Et tout au long de sa campagne, Trump a répété qu’il pourrait faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle signe une trêve avec la Russie, et ainsi mettre un terme à la guerre « en moins de 24 heures ». Il a décrié, tout comme le vice-président élu J.D. Vance, l’ampleur des dizaines de milliards de dollars d’aide versée à Kiev. « J’ai un plan très précis pour arrêter l’Ukraine et la Russie », avait assuré Donald Trump lors d’une interview en septembre, en indiquant qu’il ne le dévoilerait pas afin de garder l’effet de « surprise ». « Je ferai en sorte qu’un accord soit conclu, c’est garanti », poursuivait-il sans donner le moindre détail.

L’inquiétude des Ukrainiens est d’autant plus grande que les plans de Trump restent secrets, même si, selon des informations du Wall Street Journal, les équipes du président élu sont d’ores et déjà à l’oeuvre pour lui proposer plusieurs options pour sortir du conflit. Mais le plan reste flou et ferait l’objet d’âpres batailles d’influence entre les conseillers de Trump, dit le journal.

Il risque aussi et surtout de faire l’objet de différends avec les Européens. En effet, il est notamment question d’une zone démilitarisée et, selon le Wall Street Journal qui cite un membre de l’équipe de Trump, la force de maintien de la paix n’impliquerait pas de troupes américaines et ne proviendrait pas d’un organisme international financé par les Etats-Unis, comme les Nations-Unies. « Nous n’envoyons pas d’hommes et de femmes américains pour maintenir la paix en Ukraine. Et nous ne payons pas pour cela. Demandez aux Polonais, aux Allemands, aux Britanniques et aux Français de le faire », explique la source citée par le journal américain.

Mais toute la question est de savoir comment réagiront les Européens une fois venu le temps des choses sérieuses. Ils seront confrontés d’abord à une problématique majeure : celle d’être, ou de ne pas être, présents à la table des négociations. Un défi de taille alors qu’en juin dernier, l’Union européenne a officiellement ouvert avec l’Ukraine des négociations d’adhésion.

Un autre point de friction, et pas des moindres, risque aussi de surgir. Durant la campagne électorale, J.D. Vance, le colistier de Trump, a évoqué une question majeure : l’Ukraine maintiendrait son indépendance en échange d’une garantie de neutralité donnée aux Russes. Ce qui signifie que l’Ukraine ne pourrait pas rejoindre l’OTAN pendant au moins 20 ans. Or, lors de son sommet de juillet dernier, l’Alliance atlantique avait elle aussi promis son soutien à une « voie irréversible » vers une future adhésion de l’Ukraine.

Des relations transatlantiques à l’épreuve

Au sujet de l’OTAN, ce n’est pas que l’adhésion éventuelle de l’Ukraine qui pose problème. La question est bien plus délicate. Affichant ouvertement sa défiance envers l’Alliance atlantique, Donald Trump l’a dit et redit : l’OTAN et les grandes alliances historiques des Etats-Unis issues de la Seconde Guerre mondiale, en Europe et en Asie, représentent un lourd fardeau. Cela n’a rien de nouveau : au cours de son premier mandat, déjà, le dirigeant républicain n’a cessé de fustiger l’Alliance atlantique, déplorant une contribution américaine trop élevée et estimant que les pays membres devaient prendre leurs responsabilités et revoir leurs budgets à la hausse en matière de défense. Durant sa campagne Trump a même suggéré que son pays ne défendrait pas les « mauvais payeurs » en cas d’attaque de la Russie.

Certains analystes vont jusqu’à prévoir une sortie des Etats-Unis de l’OTAN, ce qui marquerait le changement le plus important dans les relations transatlantiques en matière de défense depuis près d’un siècle. Mais cela reste un sujet de débat. Reste à savoir si Trump peut sauter le pas ou si sa ligne dure n’est qu’une tactique de négociation visant à amener les membres à respecter les lignes directrices de l’alliance en matière de dépenses de défense.

L’Europe en quête d’équilibre

De leur côté, les Européens se trouvent contraints de jongler pour à la fois défendre leurs propres intérêts sécuritaires et économiques et préserver leurs relations avec Washington. Réunis pour un Sommet informel jeudi 7 novembre à Budapest, les Européens se sont cependant trouvés face au défi de se montrer unis.

« Nous avons démontré que l’Europe pouvait prendre son destin en main quand elle était unie », a lancé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Mais aussi et surtout, ils se sont trouvés face au défi de se détacher des Etats- Unis. Le président français, Emmanuel Macron, l’a d’ailleurs suggéré à Budapest. « On n’a pas à déléguer pour l’éternité notre sécurité aux Américains. L’OTAN a évidemment un rôle pilier, clé, et au sein de l’OTAN, nous, Européens, nous voulons jouer notre rôle. Ce pilier européen de l’OTAN n’a rien à retrancher à l’Alliance, mais il y a le fait qu’il y a eu un réveil stratégique que nous devons assumer, nous, Européens », a-t-il lancé.

L’Europe est d’autant plus inquiète que les relations de Donald Trump avec la Russie restent pour le moins ambivalentes. Surtout au regard des déclarations de J.D. Vance lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, tenue en février 2024, qui a déclaré que la Russie n’était pas un « véritable danger », comme le voient les Européens.

La délicate question climatique

Et si le retour de Donald Trump à la Maison Blanche risque d’avoir un impact direct sur l’évolution des relations entre Bruxelles et Washington, déjà tendues lors de son premier mandat, la question climatique est, elle, en tête des inquiétudes. Hasard des calendriers, son élection a coïncidé avec l’ouverture de la COP29 à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, le 11 novembre. « Forer partout ! » n’a cessé de marteler Trump pendant ses meetings de campagne, donnant le ton de son programme : lever les restrictions environnementales sur la production d’énergies fossiles. Celui qui a ouvertement qualifié le réchauffement climatique de « canular » ne cache pas non plus son intention de revenir sur les mesures en faveur de la transition énergétique mises en place par l’Administration Biden. Qui plus est, déjà sorti une première fois de l’Accord de Paris en 2017 (Biden l’a réintégré en février 2021), Trump entend récidiver : d’un meeting à l’autre, il n’a pas hésité de qualifier cet accord de « ridicule », d’« injuste » ou encore de « désastreux ». Et le plan de retrait, en plus d’autres décisions anti-climat, seraient déjà sur la table. Un désengagement américain qui devrait rebattre les cartes de la diplomatie climatique.

Force est de constater donc que le retour de Trump à la Maison Blanche, doublé de la domination des républicains au Congrès, annonce un programme politique et diplomatique aux antipodes des objectifs de ses alliés européens en matière de climat, de coopération internationale et de liens transatlantiques. Entre l’Amérique de Trump et les Européens, l’entente entre alliés risque de céder la place à la culture du rapport de force.

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