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Populisme et nationalisme économique

Nada Al-Hagrassy , Mercredi, 13 novembre 2024

La victoire écrasante de Donald J. Trump témoigne d’un changement profond dans l’esprit des Américains à l’égard de l’establishment politique traditionnel. Explications.

Populisme et nationalisme économique
(Photo : AP)

Avec un vote populaire de 71 millions de voix et 292 grands électeurs, soit 22 de plus que la majorité requise de 270 voix, Donald J. Trump a remporté haut la main l’élection présidentielle de 2024, devenant ainsi le 47e président des Etats-Unis. D’ailleurs, sa victoire n’est pas une surprise. Au contraire. « La victoire de Trump revient au fait que, bien qu’il soit le candidat du Parti républicain, il s’est présenté comme une figure révolutionnaire venue de l’extérieur de l’establishment politique traditionnel, et au fait qu’il a promis, durant sa campagne électorale, de tarir les marais créés par les élites politiques conventionnelles », explique Amr Abdel Atti, spécialiste des affaires américaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que Trump remporte brillamment l’élection présidentielle. En effet, il a remporté celle de 2016-2020 contre la démocrate Hillary Clinton, qui incarne parfaitement la tendance institutionnelle des Etats-Unis. « Sa victoire à cette époque marque un tournant important dans l’histoire politique américaine, car elle représentait un défi profond au système politique en place et aux normes politiques américaines. Trump était considéré comme une figure révolutionnaire contre l’establishment politique traditionnel et les élites de Washington », explique Abdel Atti. Et d’ajouter : « Si sa première accession au pouvoir a été perçue comme une étape anormale dans le cours de l’histoire politique américaine, sa seconde victoire le 5 novembre 2024 a été bien plus marquante. Elle marque cette fois-ci un changement historique », estime l’expert.

Nouvelles cartes

La rhétorique populiste de Trump trouve un écho auprès de l’électorat américain frustré et mécontent des politiques conventionnelles de l’establishment considérées comme obsolètes. « Ce qui s’est reflété sur un changement significatif dans les tendances et la loyauté de certains Etats », explique le politologue Ezzedine Abou Al-Majed. Et d’ajouter : « Après avoir comparé la carte des élections aux Etats-Unis en 2024 au tableau traditionnel des affiliations des Etats établi après les élections des deux premières décennies du XXIe siècle, nous constatons un léger changement dans les loyautés de certains Etats, comme l’Etat de l’Alaska par exemple, devenu un Etat rouge où Donald Trump a obtenu un vote majoritaire. L’Etat bleu et démocrate du Nevada a été remporté par le républicain. Les Etats du Wisconsin, du Michigan et de la Pennsylvanie, majoritairement à tendance démocrate, ont soutenu le républicain. Alors que la loyauté républicaine s’est accrue dans les Etats de Géorgie et de Caroline du Nord ».

Les raisons du succès

Lors des campagnes électorales de 2016, 2020 et 2024, Trump a ciblé un électorat frustré par ce qu’il considère être un système politique corrompu plus aligné sur les intérêts des entreprises que sur les besoins des citoyens ordinaires. Il s’agit ici de la classe ouvrière et certaines catégories de la classe moyenne touchées par la crise économique de 2008 et la récession qui a suivi. « Son slogan Make America Great Again, qui prône un retour à un passé meilleur, a particulièrement séduit les électeurs blancs de la classe ouvrière qui se sentaient marginalisés par la mondialisation et les changements démographiques dus à la politique migratoire de l’Administration démocrate actuelle », affirme Amr Abdel Atti. Les sondages ont révélé un mécontentement croissant des Américains, une majorité estimant que le pays est sur la mauvaise voie.

La rhétorique économique de Trump

De tendance populiste, la rhétorique économique de Trump est basée sur le nationalisme économique qui vise à créer des emplois aux Etats-Unis et à réduire la dépendance à l’égard des économies étrangères. Pour cela, Trump a à maintes reprises critiqué certains accords commerciaux comme celui de l’ALENA et les accords de libre-échange. Il a appelé à abandonner les contraintes qui pèsent sur l’économie américaine et qui avaient été créées pour maintenir l’ordre mondial établi par les Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Ces contraintes ont permis, selon Trump, à de nombreux pays, comme la Russie et la Chine, de bâtir leur force et de devenir des puissances rivales et concurrentes des Etats-Unis. Par ailleurs, la rhétorique sociale de Trump a toujours été à l’encontre de ce que prêche l’establishment. Le président élu a, à plusieurs reprises au cours de sa campagne électorale, dénoncé les opérations de transgenre permises aux adolescents. Cette rhétorique plaît à l’électorat qui trouve que les valeurs américaines traditionnelles sont violées par les élites libérales qui font la promotion des droits des homosexuels, de l’avortement et de l’immigration. En tant que figure anti-establishment, Trump s’est présenté comme le défenseur de l’identité et des moeurs traditionnelles américaines.

Entre populisme et élitisme

Si la victoire de Donald Trump le 5 novembre reflète le rejet par les électeurs américains des élites traditionnelles et l’appel à un retour aux valeurs américaines fondatrices telles qu’ils les conçoivent, elle reflète aussi un moment déterminant dans la lutte en cours entre populisme et élitisme aux Etats-Unis avec des répercussions négatives sur l’avenir du système politique américain et le déclin du modèle américain, souligne Abdel Atti. D’après lui, la conséquence la plus importante de l’implication de Trump au sein du mouvement contestataire est une polarisation croissante au sein de la société américaine. « Les divisions qui se sont exacerbées au cours de sa première présidence se sont manifestées non seulement par des conflits partisans, mais également par une polarisation sociale selon des bases ethniques », affirme l’expert. Et de conclure : « La victoire de Trump renforce le populisme de la politique américaine, ce qui pourrait encourager d’autres personnalités politiques à adopter un langage anti-establishment similaire. Ce changement pourrait réorienter la politique américaine vers des cadres plus conflictuels et plus polarisés ».

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