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Dimitri Brega : Les BRICS ont un long chemin à parcourir pour parvenir à un monde multipolaire

Ola Hamdi , Mercredi, 23 octobre 2024

Dimitri Brega, chef de l’unité d’études russes au Centre des recherches arabo-eurasiennes, revient sur l’enjeu du sommet de Kazan et les défis internes et externes du groupe des BRICS.

Les BRICS ont un long chemin à parcourir pour parvenir à un monde multipolaire

Al-Ahram Hebdo : Le sommet des BRICS à Kazan intervient dans un contexte international marqué par de profondes mutations économiques et politiques. Quels sont les objectifs et les enjeux de ce sommet ?

Dimitri Brega : Le sommet des BRICS 2024 à Kazan intervient à un moment critique où le monde est confronté à des défis économiques et politiques sans précédent. Cette rencontre a un enjeu majeur pour les pays membres, surtout face aux pressions exercées par les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis. Le sommet vise à redessiner les contours du système économique mondial en renforçant la coopération entre les pays en développement et émergents. Les BRICS se positionnent comme une alternative aux blocs économiques traditionnels tels que le G7. Les défis économiques auxquels le monde est confronté comme la hausse de l’inflation et les perturbations des chaînes d’approvisionnement donnent aux BRICS une opportunité unique de proposer de nouvelles solutions basées sur le renforcement du commerce intra régional et le recours aux marchés locaux, réduisant ainsi la dépendance à l’égard des pays développés.

— Le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé l’adhésion de nouveaux membres aux BRICS cette année. Quelle est l’importance de cette décision ?

— L’élargissement des BRICS est l’un des points de discussion les plus importants de ce sommet. La Russie parie notamment sur l’adhésion de nouveaux pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient pour renforcer sa puissance géopolitique et économique. L’expansion des BRICS représente une étape importante dans la lutte contre l’ordre mondial unilatéral dirigé par les Etats-Unis. C’est ce que la Russie et d’autres pays des BRICS recherchent pour contrer l’hégémonie occidentale. L’élargissement potentiel vise non seulement à augmenter le nombre de membres, mais aussi à renforcer les alliances économiques et géopolitiques susceptibles de créer un nouvel équilibre dans l’ordre international. Par exemple, l’adhésion des pays arabes, notamment du Golfe, renforcera la capacité des BRICS à jouer un rôle sur les marchés mondiaux de l’énergie et la possibilité d’utiliser les « petro yuan » sur ces marchés, ce qui serait un coup dur pour le dollar dans le commerce international. Le principal avantage pour les BRICS de l’adhésion de pays arabes réside dans sa capacité à former des alliances stratégiques lui permettant d’exploiter les ressources naturelles de cette région et de renforcer sa présence sur les marchés énergétiques.

— L’Egypte participe pour la première fois à ce sommet en tant que membre à part entière après avoir officiellement rejoint le groupe en janvier 2024. Quelles sont les perspectives de coopération et quels sont les bénéfices attendus de cette nouvelle adhésion ?

— L’adhésion de l’Egypte aux BRICS en tant que membre à part entière en janvier 2024 ouvre de vastes perspectives de coopération, notamment dans les domaines de l’énergie, des infrastructures et du commerce. Son statut d’acteur-clé en Afrique et au Moyen-Orient lui permet de jouer un rôle central dans le renforcement des relations économiques et de l’investissement au sein du groupe. Cette adhésion devrait renforcer la position géopolitique de l’Egypte et favoriser une coopération accrue avec la Chine, la Russie et les autres membres des BRICS.

— Quels sont les obstacles à la création d’une monnaie commune ? Et quelles seraient les conséquences d’une telle éventualité sur le système financier international ?

— Les défis auxquels est confronté le rêve d’une monnaie unique au sein des BRICS sont nombreux : les disparités économiques entre les membres du groupe rendent difficile l’obtention d’un consensus sur ce projet. Les pays membres ont des niveaux différents de croissance économique et d’infrastructure financière, ce qui pose des difficultés pour établir une monnaie commune. Cependant, l’utilisation des monnaies numériques ou du petro yuan comme moyen alternatif peut représenter une solution pratique pour surmonter ces défis. L’adoption de ces monnaies numériques dans les transactions commerciales pourrait aider les BRICS à réduire leur dépendance à l’égard du dollar et à renforcer leur indépendance économique. Ce changement pourrait conduire à une restructuration de l’ordre financier mondial, en particulier si les BRICS parviennent à développer des systèmes de paiement et d’échanges financiers basés sur la technologie numérique.

— Comment les Etats-Unis et l’Europe perçoivent-ils l’émergence des BRICS ?

— Parmi les défis extérieurs auxquels sont confrontés les BRICS se trouvent les pressions occidentales qui cherchent à affaiblir ce bloc. Les Etats-Unis et l’Europe considèrent les BRICS comme une menace directe pour leurs influences économiques et géopolitiques mondiales. Ce conflit géopolitique rend plus difficile la mise en oeuvre de politiques économiques communes au sein des BRICS, mais il renforce en même temps l’importance du groupe en tant que contrepoids à l’ordre occidental traditionnel. Malgré ces défis, les pays membres des BRICS disposent d’un grand potentiel pour atteindre leurs objectifs, notamment s’ils arrivent à élargir leur nombre et à renforcer la coopération entre eux. Le système multipolaire que les BRICS cherchent à créer dépend principalement des alternatives que le groupe peut proposer au système occidental, ce qui est possible s’ils parviennent à surmonter leurs défis internes et externes.

— L’un des objectifs des BRICS est de créer un monde multipolaire face aux Etats-Unis. Quels sont les défis face à la réalisation de cet objectif ?

— Les BRICS ont encore un long et complexe chemin à parcourir pour réaliser leur vision d’un monde multipolaire où plusieurs puissances coexisteraient. Le succès de ce projet dépend dans une grande mesure de leur capacité à attirer de nouveaux pays, à renforcer leur coopération économique et à relever avec sagesse les défis géopolitiques posés par l’Occident. Le sommet de Kazan est une étape importante dans cette direction et devrait ouvrir la voie à des discussions approfondies sur l’avenir du groupe et son rôle dans la refonte de l’ordre mondial.

— Quels sont les principaux défis géopolitiques auxquels les pays des BRICS doivent faire face pour renforcer leur influence ?

— Les BRICS constituent désormais une plateforme importante dans un monde qui témoigne de changements profonds. Le Moyen-Orient, en particulier, est en pleine mutation. L’économie mondiale, quant à elle, a été profondément transformée par la crise ukrainienne, le conflit israélo-palestinien et les bouleversements régionaux. L’intelligence artificielle va également révolutionner notre monde, transformant les entreprises et les institutions. Ces changements profonds donnent lieu à des défis et des opportunités. Pour que les pays des BRICS réussissent, il est essentiel de développer une vision géopolitique commune, notamment dans les domaines militaire, technologique et stratégique.

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