Mardi, 10 décembre 2024
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Une économie aux prises avec les conflits

Ahmed Sultan*, Mercredi, 16 octobre 2024

Le conflit actuel au Soudan et une longue histoire d’instabilité politique ont largement altéré les infrastructures du pays et affecté l’exploitation de ses ressources, pourtant immenses. Explications.

Une économie aux prises avec les conflits

Les guerres et les conflits armés infligent des dommages économiques considérables aux économies nationales. Parmi ces conflits, la crise interne au Soudan se distingue à cause de ses répercussions qui touchent sérieusement l’économie soudanaise. Et ce, en dépit des vastes richesses et ressources naturelles que possède le Soudan. En effet, la crise économique chronique qui frappe le pays depuis des années remonte à loin, à l’établissement de l’Etat moderne à proprement dit. Dès lors, l’instabilité politique due au déclenchement de conflits internes et de luttes intestines a fait perdre au Soudan de grandes opportunités de développement, ce qui a freiné son développement. Et ce, bien qu’il soit considéré comme le troisième plus grand pays africain en termes de superficie et de population, qui a atteint 48 millions d’habitants selon les estimations de 2023.

Par ailleurs, les répercussions de la crise actuelle au Soudan ne se limitent pas uniquement à l’intérieur du pays. En cas d’extension du conflit au-delà des frontières soudanaises, les pays voisins s’estiment menacés tant sur le plan politique que sur les plans économique et sécuritaire. Et ce, à cause de la situation géostratégique dont jouit le Soudan, ainsi qu’à ses richesses qui font de lui une source inépuisable pour de nombreuses industries vitales de par le monde. Par conséquent, toute évolution du conflit aura évidemment ses répercussions directes et indirectes sur l’économie mondiale.

Des richesses mal exploitées

Avec une topographie variée qui alterne déserts, collines, montagnes volcaniques dispersées ici et là à des vallées, le Soudan jouit de richesses minérales tout aussi diversifiées. C’est ainsi que le Soudan possède des réserves de fer et de cuivre estimées à près de 5 millions de tonnes, ainsi que d’argent avec presque 1 500 tonnes ; il regorge aussi, à côté des métaux précieux, de mica, de magnésium, de chrome qui contient du platine. Il regorge également de sable noir et d’or dont les réserves sont évaluées à près de 1 550 tonnes et d’un taux de près de 1,5 million de tonnes d’uranium. En tête de ces richesses, figure celle la plus prisée de tout le monde : le pétrole. Le Soudan possède des réserves d’environ 1,5 milliard de barils selon les estimations de l’année 2023. Mais en dépit de cette abondante richesse, celle-ci n’a presque aucun impact sur l’économie, elle n’a contribué à aucun développement. Bien au contraire. Au fil des années, les luttes intestines ont dévoré une grande quantité de cette richesse, entravant ainsi l’usage optimal de ces revenus dans les investissements publics et l’établissement d’infrastructures.

Le pétrole, moteur de la politique et de l’économie

Le pétrole joue un rôle crucial dans la politique et l’économie du Soudan. Surtout après avoir contribué au dernier boom économique majeur du pays, mais il a en même temps abouti à la sécession du Soudan du Sud, qui possède la majorité des réserves de pétrole. Cette instabilité politique a eu ses répercussions également sur ce secteur, confronté à des défis majeurs : diminution des réserves, épuisement des gisements et manque de nouveaux investissements. La sécession du Soudan du Sud a en outre provoqué de multiples chocs économiques dont le plus important est la perte des revenus du pétrole qui constituaient plus de la moitié des revenus du gouvernement soudanais et près de 95 % de ses exportations.

Aujourd’hui, le Soudan possède des réserves pétrolières s’élevant à environ 1,5 milliard de barils (estimations de 2023). Ces estimations sont les mêmes depuis l’indépendance du Soudan du Sud en juillet 2011. Après cette date, le Soudan a perdu près de 75 % de ses réserves en faveur du Soudan du Sud. Mais ce dernier peine à exporter son pétrole à cause du manque d’infrastructures adéquates monopolisées par le Nord. Les réserves des deux pays s’élevaient à 5 milliards de barils en janvier 2023.

Malheureusement, la guerre au Soudan du Sud a violemment affecté l’économie des deux pays et a même privé le Soudan, en plus des revenus du pétrole, des revenus de l’usage de ses pipelines. D’autre part, le Soudan et le Soudan du Sud disposent ensemble de réserves de gaz naturel d’environ 3 000 milliards de pieds cubes. Comme celle du pétrole, l’industrie du gaz naturel est limitée au Soudan. C’est ainsi que ni le Soudan ni le Soudan du Sud ne produisent de gaz naturel destiné à la consommation commerciale ou domestique. Pour combler ce vide, le Soudan a eu recours à l’importation d’hydrocarbures pour couvrir la demande locale. Ce qui entraîne un nouveau déclin économique lié aux dépenses de la guerre. L’autre impact frappe le Soudan du Sud qui dépend des infrastructures du Nord. Et donc toute perte pour le Nord est aussi une perte pour le Sud.

Ceci dit, il est important de souligner que si le conflit actuel n’a pas provoqué la crise économique, devenue chronique depuis des années sans aucune perspective de solution, il menace de l’aggraver à cause de plusieurs facteurs : la durée du conflit et la résilience de l’économie soudanaise face à ces répercussions. L’étendue du champ de bataille peut toucher des champs de pétrole, comme c’est le cas de la région d’Umm Alila qui renferme les principaux dépôts de carburant de l’Etat d’Al-Jazira et dont la raffinerie a été mise hors service à cause de son bombardement.

Miser sur l’or, mais …

Le secteur minier est devenu l’un des secteurs les plus prometteurs dont dépend l’économie soudanaise après la sécession du Sud. Car il couvre près de 47 % de la superficie totale du Soudan et n’est exploité qu’à 20 %. En tête de ces métaux figure l’or. Pour autant, plusieurs défis menacent ce secteur, notamment la contrebande et l’impact des événements actuels sur ses exportations. En effet, le taux des opérations de contrebande atteint près de 85 % du taux total de la production.

Avant le déclenchement de la guerre, le Soudan cherchait à faire de l’or une principale source de devises après avoir perdu les trois quarts de ses revenus pétroliers à cause de la sécession du Soudan du Sud. D’ailleurs, l’or, en tant que produit d’exportation non pétrolière, représente environ 46,3 % du total des exportations étrangères, soit environ 2,02 milliards de dollars sur un total de 4,357 milliards de dollars d’exportations totales l’année dernière. Ainsi on peut constater que la production d’or au Soudan a connu une baisse significative par rapport aux années passées.

Par ailleurs, le Soudan a perdu, dès le déclenchement de la guerre, une quantité d’or estimée à 550 millions de dollars, en plus d’autres quantités passées en contrebande, difficiles à estimer. Le conflit a également causé de graves dégâts à la raffinerie d’or située à la capitale Khartoum et qui a cessé de fonctionner suite au début du conflit. Il existe également de grandes lacunes dans les intrants de la production d’or concernant le protocole de traitement des résidus d’or. Mais à cause de la guerre, il y a une grave pénurie de mercure et de cyanure en raison de l’arrêt de l’exploitation. On peut donc en déduire que le conflit aggrave encore plus le gaspillage de cette ressource précieuse, ce qui, à son tour, pèse sur l’économie et donc prolonge la souffrance du peuple soudanais.

*Spécialiste des affaires énergétiques et membre du comité de l’énergie au syndicat des Ingénieurs.

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