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Israël, une économie de guerre

Amani Gamal El Din , Lundi, 07 octobre 2024

La guerre de Gaza et l’implication de Tel-Aviv sur plusieurs fronts pèsent lourdement sur l’économie israélienne. Analyse.

Israël, une économie de guerre
L’économie israélienne dépend de la guerre depuis son existence.

Un an après la guerre féroce que mène Tel-Aviv contre la bande de Gaza, le tableau de l’économie israélienne est plutôt maussade et le coût de la guerre pèse lourd. Les médias israéliens ne tarissent pas sur la question. The Times of Israel (un quotidien en ligne lancé en 2012 et disponible en anglais, français, arabe et chinois, et depuis 2019 en hébreu) a titré qu’en 2024, il est prévu que 60 000 entreprises font faillite et que déjà 46 000 se trouvent en dehors du marché. « Les milieux d’affaires luttent pour rester à flot, nombre d’entre eux étant affectés par un environnement de taux d’intérêt élevés, des coûts de financement accrus, une pénurie de main-d’oeuvre, une forte baisse du chiffre d’affaires et des opérations, des perturbations logistiques et d’approvisionnement, ainsi qu’une aide gouvernementale insuffisante », lit-on. Le quotidien saoudien Asharq Al-Awsat, paraissant à Londres, a également parlé de magasins de souvenirs désertés dans les rues de l’ancienne ville de Jérusalem qui, autrefois, grouillaient de touristes.

L’agence de notation Moody’s a abaissé, pour la deuxième fois, la note d’Israël de deux degrés, passant de A2 à BAA1. L’agence Fitch l’a également réduite de A+ à A au début du mois, après des abaissements similaires de Standard & Poor’s. « Cette dégradation pourrait augmenter les coûts d’emprunt du gouvernement et entraîner des dépenses militaires supplémentaires significatives, en plus de la destruction des infrastructures et d’un endommagement plus durable de l’activité économique et des investissements », a mis en garde l’agence Fitch. Les deux agences ont annoncé qu’il est possible de rabaisser de nouveau la note, d’autant qu’en janvier dernier, la dette extérieure d’Israël a atteint 62 % du PIB.

Asharq Al-Awsat a rapporté les déclarations d’un économiste juif de renom, Yacov Sheinin, qui a servi de consultant aux premiers ministres israéliens et à divers ministres. Il a déclaré que le coût total de la guerre pourrait atteindre 120 milliards de dollars, soit 20 % du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays.

Le ministère israélien des Finances a également déclaré, sur un ton inquiétant, que le déficit budgétaire du pays au cours des 12 derniers mois avait atteint plus de 8,1 % du PIB, dépassant de loin le ratio de 6,6 % prévu par le ministère pour 2024. En 2023, le déficit budgétaire s’est situé à 4 % du PIB, ce qui signifie que le coût de la guerre l’a doublé.

Selon la revue britannique The Economist, les événements ont pris une ampleur plus large avec l’enlisement au Liban, à la suite de l’assassinat du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. « Vu ces incertitudes, les investisseurs ne sont plus sûrs de la capacité d’Israël à se redresser, car le shekel est de plus en plus volatile, les banques israéliennes constatent une fuite des capitaux, et les rapports publiés par les trois plus grandes banques israéliennes indiquent une augmentation significative du nombre de clients qui demandent à transférer leurs économies vers d’autres pays ou à les lier au dollar », a écrit la revue.

Un shekel affaibli

Mourad Harfoush, écrivain et politologue palestinien, parle d’un affaiblissement de la monnaie locale, le shekel, d’une manière sans précédent. « Aujourd’hui, le dollar vaut 4 shekels. La Banque d’Israël a dû intervenir sur le marché des changes et injecter 30 milliards de dollars pour redresser la monnaie locale », souligne-t-il. D’après l’analyste, l’un des risques majeurs de cette guerre est le taux de chômage. Le ministre des Finances a rapporté que ce taux a atteint 4,8 % en juillet dernier, contre 3,6 % en juillet 2023. « D’une part, environ 80 000 travailleurs palestiniens, de Gaza et de Cisjordanie, se sont vu refuser des permis après le 7 octobre et n’ont jamais été remplacés. D’autre part, une grande partie de la main-d’oeuvre israélienne travaillant dans quasiment tous les secteurs sera mobilisée pour le service militaire, soit des centaines de milliers de personnes », a-t-il ajouté.

Selon Harfoush, la Banque d’Israël a révisé ses prévisions de la croissance à 1,5 % pour 2024, en baisse par rapport au taux de 2,8 % qu’elle avait prédit plus tôt dans l’année, et ceci contre 3,8 % en 2023. Ceci s’est traduit par une récession dans tous les services, surtout le tourisme, les infrastructures, l’agriculture et le commerce.

Une économie au service de la guerre

Hussein Suleiman, économiste auprès du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, avance que l’engagement militaire d’Israël sur plusieurs fronts ne sera pas une source d’affaiblissement, surtout si nous choisissons le scénario d’une guerre prolongée. « L’économie israélienne, depuis son existence, dépend de la guerre ; sinon, elle n’aurait plus d’existence. Il s’agit d’une fausse économie, car elle ne repose pas sur des ressources internes. N’importe quelle autre économie aurait été négativement influencée au cours de quelques mois ou d’un an à cause des pressions sur les dépenses publiques », déclare-t-il.

L’expert explique que la particularité de l’économie israélienne rend service à la guerre. Elle est principalement technique et dépend du secteur des technologies, comme les entreprises et les start-up de logiciels. « Cette activité repose essentiellement sur des investissements étrangers directs venus d’Europe ou des Etats-Unis, qui créent des entreprises en Israël, lesquelles exportent leurs produits et services vers le monde entier. Elles sont surtout spécialisées dans les techniques d’espionnage et de cybersécurité, ou bien les logiciels utilisés dans la guerre contre Gaza, liés à la détection via satellite des cibles potentielles », renchérit-il.

Il affirme que depuis octobre 2023, les Etats-Unis ont fourni 12 milliards de dollars, et seulement la semaine dernière, ils ont acheminé 8,7 milliards de dollars. « Ce qui signifie qu’en moins d’un an, plus de 20 milliards de dollars ont été injectés dans les dépenses militaires, en plus des dépenses publiques sur la défense qui ne sont certainement pas divulguées », conclut-il.

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