Mais où est l’Etat libanais dans tout ce qui se passe ? On serait tenté de se poser la question face à la guerre que se livrent le Hezbollah et Israël, surtout après l’assassinat du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, tué vendredi 27 septembre dans une frappe israélienne de la banlieue sud de Beyrouth. Pourtant, presque personne n’osait se la poser, pas seulement avec cette nouvelle offensive meurtrière d’Israël contre le Liban, mais aussi tout au long de ces années où le Hezbollah régnait en maître au pays du Cèdre. Seule milice encore armée depuis la fin de la guerre civile, mais aussi parti dominant la scène politique du pays, le Hezbollah n’avait, en effet, cessé depuis des années de gagner en puissance.
Mais qu’en est-il maintenant, et surtout, quelle incidence la disparition de Nasrallah, personnage-clé de la scène politique libanaise depuis trois décennies, ainsi que d’un nombre de commandants du groupe, peut-elle avoir sur la situation interne au Liban et sur la terrible crise politique que traverse le pays ?
Car le Liban, c’est un pays sans président depuis près de deux ans, un Etat effondré avec une classe politique discréditée et corrompue par des guerres de clans intestines, un pays dominé politiquement et militairement par la milice chiite. Une puissance qui trouve son origine dans le chaos de la guerre civile libanaise (1975-1990). Le Hezbollah naît au début des années 1980 pour lutter contre l’occupation israélienne du Sud-Liban. Avec le retrait israélien et syrien de cette région, le Hezbollah comble le vide et acquiert davantage de puissance. Sous la direction de Nasrallah, le mouvement évolue vers une organisation politico-militaire plus structurée et influente. Et en 2005, le Hezbollah fait son entrée dans la vie politique en rejoignant le gouvernement pour la première fois. Il s’est imposé comme une force politique incontournable dans le système confessionnel complexe libanais, avec des sièges au parlement et une influence considérable au sein des coalitions gouvernementales. A tel point que ses détracteurs l’accusaient de constituer un « Etat dans l’Etat ». Hassan Nasrallah était considéré comme l’homme le plus puissant du pays. Il faisait partie du gouvernement et du parlement, où ni son camp ni ses adversaires ne disposent de la majorité absolue, empêchant depuis près de deux ans l’élection d’un président de la République.
Une unité de façade
Mais cela va-t-il changer ? L’affaiblissement du parti chiite pourra-t-il ouvrir la voie à une sortie de crise ? Pas si sûr. Car les divisions sont profondes au Liban. « La guerre israélienne contre le Hezbollah et l’assassinat de son leader ont créé une sorte de regroupement autour du groupe en raison du rôle qu’il joue actuellement et parce que tous les Libanais subissent les effrois de cette guerre. On l’a notamment vu avec l’énorme vague de déplacement de civils et les frappes qui ont touché la capitale, Beyrouth, y compris son centre. Une sorte d’unité nationale qui rappelle ce qui s’est passé suite à l’explosion du port de Beyrouth en l’été 2020 », explique Dr Rabha Seif Allam, chercheure au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, spécialiste du Liban.
En effet, un élan de solidarité s’est mis en place face à l’afflux sans précédent de déplacés. Lors d’une conférence de presse tenue à l’issue d’une réunion du Comité ministériel d’urgence, le premier ministre du gouvernement d’affaires courantes, Najib Mikati, a remercié les Libanais pour leur solidarité et « tous ceux qui ont aidé le gouvernement en ouvrant leurs maisons aux déplacés » qui pourraient atteindre, selon lui, un million de personnes. Et il a appelé ses compatriote à « s’unir pour traverser cette étape difficile ».
Or, toute la question est de savoir combien de temps durera cet état d’unité, s’il se répercutera de manière positive sur la situation politique interne et s’il pourra aboutir à des relations équilibrées entre les différentes forces politiques, sans proéminence du Hezbollah. Rabha Seif Allam en doute. « D’abord, les dirigeants qui seront désormais promus au sein du groupe ont grandi dans le très fermé ghetto de la banlieue sud de la capitale ou du sud du pays, contrairement à leurs aînés, dont Nasrallah par exemple, qui venait d’un quartier mixte où cohabitaient plusieurs confessions, ce qui lui permettait de mieux communiquer avec elles et de se montrer plus flexible. Cette nouvelle génération sent davantage une appartenance à la communauté chiite, voire au parti du Hezbollah. Ils risquent d’être moins enclins au compromis et moins enclins à ouvrir des canaux de communication avec les autres parties. S’ils sont aujourd’hui contraints d’ouvrir ces canaux parce qu’ils sont en position de faiblesse, je doute qu’ils aient l’expérience politique nécessaire pour préserver l’unité actuelle », explique-t-elle.
Les priorités du Hezbollah
La crise libanaise n’est pas donc près de prendre fin. L’analyste estime que dans la période à venir, les appels à sortir de l’état de paralysie politique actuelle vont se multiplier. Une impasse politique et une incapacité d’élire un président partiellement causées par l’intransigeance du Hezbollah qui voulait imposer son candidat, Sleiman Frangié. « Ce sera là le premier clash. Je pense que les nouveaux dirigeants du groupe vont à nouveau refuser, parce que leur priorité actuelle est d’ordre militaire. Il y a ensuite un autre point : d’après les premières estimations, la nouvelle génération de dirigeants est plus proche de Téhéran, alors que sortir de la crise libanaise nécessite une certaine refondation du Hezbollah afin qu’il se concentre sur les priorités internes et non un agenda iranien. Or, je pense que les futurs dirigeants donneront la priorité à leur rôle régional conformément à la politique régionale de Téhéran », affirme Allam. Et d’ajouter : « Après ces coups extrêmement durs, le Hezbollah va se concentrer sur sa reconstruction militaire. D’abord pour essuyer le camouflet et riposter, que ce soit par des tirs de missiles ou des opérations à l’intérieur d’Israël, et ce, afin de prouver qu’il existe toujours et qu’il détient encore une certaine force de frappe. Ensuite, parce que c’est sa puissance militaire qui lui donne sa puissance politique ».
Le troisième point qui pourra provoquer un clash est, selon l’analyste, l’acceptation d’un accord de trêve entre le Hezbollah et Israël indépendamment de la trêve à Gaza. C’est ce que veulent les médiateurs internationaux, notamment la France et les Etats-Unis. « Certaines factions libanaises vont essayer de faire pression sur le Hezbollah pour l’accepter, alors que le groupe, lui, voudra réaffirmer sa puissance militaire, que cela soit réaliste ou non, et continuer sur la voie de Nasrallah qui, tout au long de l’année dernière, refusait de séparer les deux fronts. Malheureusement, le Hezbollah sera, à mon avis, encore plus intransigeant dans la période à venir », ajoute Rabha Seif Allam.
Le confessionnalisme, encore et toujours
Même terrassé, le Hezbollah continue d’avoir de nombreuses cartes en main. Aussi sectaire soit-il, il constitue l’une des rares structures solides sur lesquelles repose le pays. S’il venait às’écrouler, il pourrait entraîner dans sa chute un pays déjà exsangue, rongépar une crise économique aiguë oùles divisions confessionnelles ne demandent qu’àressurgir. Un pays où le confessionnalisme demeure toujours en place, mais où le système est plus paralysé que jamais.
Encore une fois, force est de constater que le salut du Liban passerait par une refondation du système confessionnel. Mais si pour beaucoup, le pays devrait se libérer de ce cadre institutionnel qui ne correspond plus à la réalité du pays, tourner la page du confessionnalisme est quasiment impossible.
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