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Etats-Unis-Russie : Priorité à la dissuasion

May Atta , Mercredi, 14 août 2024

Alors que l’escalade se poursuit entre Israël et l’Iran, les deux pays renforcent leurs alliances militaires avec les Etats-Unis et la Russie. Mais quels sont les calculs de ces deux grandes puissances ? Explications.

Etats-Unis-Russie : Priorité à la dissuasion

Alors que le Moyen-Orient retient son souffle en attendant la réponse de l’Iran aux récents assassinats de hauts responsables du Hamas et du Hezbollah, les parties en conflit renforcent leurs relations militaires avec les grandes puissances. D’un côté, les Etats-Unis ont envoyé des renforts militaires dans la région pour repousser une possible attaque iranienne contre Israël. De l’autre côté, l’agence Reuters a fait état de livraisons russes de radars et d’équipements de défense aérienne sophistiqués à l’Iran. La question se pose alors : l’escalade au Moyen-Orient ouvre-t-elle un nouveau front entre Washington et Moscou ? Chacun d’eux a certes ses propres calculs pour protéger ses intérêts dans cette région au coeur des enjeux géostratégiques.

Washington se mobilise

A cet égard, les Etats-Unis, quelques heures après l’assassinat du chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, ont réaffirmé leur soutien indéfectible à Israël. Ce n’était pas une surprise : Washington est l’allié historique d’Israël depuis sa création en 1948. Craignant la riposte attendue de l’Iran, les Etats-Unis, joignant l’acte à la parole, ont renforcé leur dispositif militaire dans la région et entamé une activité diplomatique pour dissuader l’Iran. Le chef du Commandement central américain (CENTCOM), le général Michael Corella, a effectué la semaine dernière une tournée dans la région pour mobiliser une coalition internationale afin de dissuader les éventuelles attaques iraniennes sur plusieurs fronts. Par ailleurs, le ministre de la Défense, Lloyd Austin, a ordonné le 3 août le remplacement du porte-avions USS Abraham Lincoln par le porte-avions Theodore Roosevelt, actuellement déployé dans la région. Austin a également donné l’ordre d’envoyer des croiseurs, des destroyers de la marine capables d’intercepter des missiles balistiques, ainsi que des systèmes de défense antimissile balistique terrestres. Les Etats-Unis ont également confirmé, le 8 août, le déploiement d’avions chasseurs F-22 dans la zone de responsabilité du Commandement central américain pour « atténuer la possibilité d’une escalade régionale par l’Iran ou ses bras régionaux ».

Coopération militaire russo-iranienne

La situation est différente pour l’allié de l’Iran. La Russie, bien qu’elle n’ait pas de porte-avions dans la région, peut soutenir l’Iran par d’autres moyens, notamment par le renforcement des défenses iraniennes. La Russie s’impliquera-t-elle dans le conflit si une guerre éclate entre l’Iran et Israël ? Pour équilibrer l’équation de la dissuasion dans la région, Moscou a dépêché, le lendemain de l’assassinat de Haniyeh, l’ancien ministre de la Défense Sergueï Choïgou à Téhéran pour rencontrer le nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian, et le général de division Mohammad Bagheri, chef d’état-major des forces armées iraniennes. « La Russie fait partie des pays qui ont soutenu la nation iranienne dans les moments difficiles », a déclaré Pezeshkian à Choïgou. En effet, la visite de Choïgou en Iran a soulevé des interrogations quant à la position de Moscou et à ses intérêts dans le contexte d’une éventuelle escalade.

Il y a quelques jours, le New York Times a cité des sources selon lesquelles la Russie aurait commencé à livrer des équipements de défense aérienne et des radars avancés à l’Iran. L’Iran possède déjà des systèmes de défense aérienne S-300 de fabrication russe, mais Moscou dispose désormais du système S-400, plus avancé, que l’Iran souhaiterait acquérir. En 2007, un accord avait été conclu pour que l’Iran se procure un système antiaérien russe S-300. Mais, sous la pression des Etats-Unis et de l’Europe, Moscou a retardé la livraison des armes. L’interdiction a pris fin en 2016, permettant aux S-300 iraniens d’entrer en service en 2019. Depuis, Téhéran tente de se procurer le système S-400. Ce système pourrait détecter et détruire les avions de chasse furtifs d’Israël et des Etats-Unis, selon les analystes militaires. « L’Iran, cherchant à mettre en oeuvre des mesures sévères et dissuasives, a demandé à la Russie des systèmes de défense aérienne avancés en prévision d’une éventuelle guerre avec Israël », explique Mohammed Mohsen Abo El Nour, fondateur et président du Forum arabe pour l’analyse des politiques iraniennes. Il ajoute : « Bien que la Russie ait appelé toutes les parties à éviter un conflit plus large au Moyen-Orient, la fourniture d’armes à l’Iran risque de renforcer considérablement son arsenal et de le rendre ainsi un adversaire bien plus redoutable ».

La Russie et l’Iran ont renforcé ces dernières années leurs liens en matière de défense, notamment depuis l’éclatement du conflit en Ukraine en 2022, devenu une scène de guerre froide entre les Etats-Unis et la Russie. En outre, Moscou compte beaucoup sur les drones d’attaque et les missiles iraniens dans sa guerre contre l’Ukraine. Selon Reuters, un accord aurait été signé le 13 décembre à Téhéran entre la Russie et l’Iran pour la livraison de missiles balistiques Fath-360, renforçant ainsi l’arsenal russe. Les deux pays travaillent également sur un pacte de coopération de grande envergure, selon les déclarations du ministère russe des Affaires étrangères.

Contenir l’escalade

Cependant, selon Ali Atef, spécialiste des affaires iraniennes, la Russie ne peut pas prendre le risque de livrer les S-400 à l’Iran, comme en 2007. « Malgré l’hostilité et les menaces mutuelles entre Moscou et Washington, les deux côtés essaient de contenir l’escalade au Moyen-Orient pour éviter des affrontements directs aux conséquences incalculables », souligne Atef, ajoutant que « face au soutien russe à Téhéran, les Etats-Unis pourraient répliquer en fournissant à l’Ukraine des armes plus sophistiquées, ce qui renverserait complètement les règles du jeu de la guerre en Ukraine ».

Selon de nombreux observateurs, il n’est dans l’intérêt ni de la Russie ni des Etats-Unis que les turbulences au Moyen-Orient se transforment en une guerre ouverte. Pour Moscou, l’escalade dans la région pourrait détourner l’attention du monde de la guerre en Ukraine et réduire le soutien occidental à Kiev, mais elle pourrait également conduire à des opérations israéliennes plus vastes en Syrie, où les forces russes continuent d’opérer. En outre, l’aggravation du conflit n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis, notamment en cette période électorale.

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