Une tension feutrée se faisait sentir dans l’air du Forum d’Assouan au Caire. Sameh Shoukry, l’estimé ministre des Affaires étrangères, concluait son discours d’ouverture. Sa voix résonnant du poids des dix ans et deux semaines passés à son poste — un mandat surpassant même la décennie du légendaire Amr Moussa.
Il va ensuite rejoindre un panel de haut niveau avec le chef de la Ligue arabe et le président de la Commission de l’Union africaine, pour discuter de la paix et du développement en Afrique, avant de quitter le forum, annulant des réunions bilatérales prévues. Une rencontre ultérieure a lieu avec le premier ministre, Mostafa Madbouly, suivie d’un retour au ministère. Là, il informe son personnel de son départ.
Shoukry avait inauguré une période de stabilité après une époque tumultueuse — l’éviction de Mohamad Morsi et l’année de flux politique qui a suivi. Depuis 2014, il est devenu le visage familier de la diplomatie, servant dans le tout premier cabinet du premier mandat du président Sissi. Avec lui, les relations tendues avec le Qatar et la Turquie ont été normalisées, après une période d’animosité où il avait pris le devant de la scène. La délicate danse diplomatique de la guerre à Gaza a illustré son activité sans relâche, où il n’a cessé de multiplier les déplacements épuisant même son entourage.
Des rumeurs circulaient depuis la veille, alimentées par la formation du nouveau gouvernement, entre un départ imminent ou au contraire une reconduction jusqu’à la date butoir d’avril 2025 pour la candidature du chef de la Ligue arabe.
Agé de 72 ans, il cède sa place à Badr Abdelatty, un peu plus jeune (58 ans). Abdelatty, né à Assiout au coeur de la Haute-Egypte, a grandi au sein d’une famille de la classe moyenne, contrairement à ses prédécesseurs issus de l’aristocratie ou de familles diplomatiques. L’excellence académique était sa marque de fabrique. Il a obtenu une licence en sciences politiques de l’Université du Caire en 1987, s’écartant du droit, privilégié par ses prédécesseurs. L’année suivante, il a réussi les examens d’entrée au ministère.
Sa carrière diplomatique l’a conduit dans les capitales les plus prestigieuses — Tokyo, Washington, New York, Berlin. Et 2013 a marqué un tournant dans sa carrière. Propulsé sur le devant de la scène, il est devenu le porte-parole du ministère pendant ces années agitées (2013-2015), ayant même travaillé aux côtés de Shoukry pendant un an. Etudiant du fameux Ahmed Maher, mais son style populiste ressemble plus à celui de Amr Moussa. Son dernier poste d’ambassadeur d’Egypte à Bruxelles lui a permis de consolider les relations entre Le Caire et l’Union européenne, capitalisant sur son expérience acquise en Allemagne. Il était déjà au Caire pour la Conférence sur l’investissement UE-Egypte.
En succédant à un prédécesseur de taille, Abdelatty hérite de la lourde tâche de définir la politique étrangère, pour le troisième mandat de Sissi.
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