« Le marché noir de la Toile », « L’univers caché du crime », « Le business de la mort ». Ce sont là quelques titres qui ont inondé les journaux la semaine dernière tentant de décrire le Dark Web, ce côté obscur d’Internet qui a orchestré un crime dont l’horreur a dépassé l’imagination et a causé un large débat en Egypte : qu’est-ce le Dark Web ? Comment lutter contre la cybercriminalité et comment se protéger contre les dangers du Dark Web sur les plans psychologique, juridique et sécuritaire ? Tout a commencé dans la région de Choubra Al-Kheima, lorsqu’un jeune Egyptien âgé de 15 ans, résidant au Koweït, a demandé à un autre adolescent en Egypte d’assassiner un enfant en échange de 5 millions de L.E. pour ensuite vendre ses organes. Pour s’assurer de l’exécution du crime, le jeune du Koweït a demandé un appel vidéo pour instruire le criminel sur la manière de commettre son crime. Cependant, son véritable objectif était de filmer la scène pour la vendre sur les sites du Dark Web. L’enfant assassin a été arrêté.
Pour comprendre les différentes notions du Web, on peut l’imaginer sous forme d’un triangle avec, à l’intérieur, trois segments : le « Surface Net », le « Deep Net » et le « Dark Net ». Le Surface Net renferme 4 % des sites que nous utilisons chaque jour, tels que les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les sites de jeux. Il se trouve au sommet de ce triangle. Quant au Deep Web, il représente 90 % d’Internet et constitue la porte d’entrée vers le monde virtuel caché. Le Deep Web renferme tous les sites et réseaux non listés par les moteurs de recherche connus. Alors que dans la partie la plus profonde se cache le Dark Web, qui représente 4 % d’Internet. Cette partie est la plus dangereuse d’Internet, puisqu’elle autorise les activités les plus néfastes comme le trafic d’armes et de drogue, le blanchiment d’argent, le terrorisme et le crime organisé. Ce type d’Internet a son propre code d’accès et des techniques spécifiques qui masquent l’identité de l’utilisateur, tels le navigateur Tor ou I2P. Il n’est pas possible d’utiliser la recherche Google ou des navigateurs comme Chrome ou Safari.
L’arme de la sensibilisation
En effet, le Dark Web est un enjeu mondial. Selon les estimations, en 2023, le nombre de personnes qui visitent le Dark Web s’élève au chiffre surprenant de 2,5 millions par jour. C’est pourquoi, selon beaucoup d’observateurs, la sensibilisation à la cybersécurité est un investissement-clé pour l’avenir. Après le crime abominable de Choubra, l’Observatoire de la fatwa électronique d’Al-Azhar a publié une mise en garde ferme. « L’accès aux sites web impliqués dans la perpétration des crimes est interdit. La protection des jeunes et des adolescents contre les comportements suspects et criminels sur Internet est une responsabilité et un devoir partagés », affirme le communiqué. Le ministère de la Santé a publié, à son tour, un communiqué où il énumère une série de conseils et d’instructions pour protéger les enfants des dangers du Dark Web. Il a également mis en place une ligne téléphonique, le 16000, afin de signaler toute exploitation en ligne des enfants. D’autres voix s’élèvent appelant à de nouvelles lois adaptées à la révolution technologique et à redéfinir juridiquement le terme de « cybercrime ». En effet, l’article 31 de la Constitution égyptienne, modifié le 23 avril 2019, stipule que « la sécurité de l’espace cybernétique est un élément essentiel du système économique et de la sécurité nationale. L’Etat s’engage à prendre les mesures nécessaires pour la préserver conformément à la loi ».
Un univers en pleine mutation
En effet, le cyberespace est un univers en pleine mutation, où de nouvelles menaces ne cessent d’apparaître. Selon le dernier rapport du Forum économique mondial (WEF) publié en janvier et portant sur l’innovation numérique et son impact sur la cybersécurité, l’année 2024 témoigne d’une accélération des cyberattaques et des cybercrimes basés sur l’Intelligence Artificielle (IA). Le rapport classe le cyber-risque au 5e rang des risques qu’encourt le monde en 2024 et au 4e rang au cours des deux prochaines années. « Nous en sommes arrivés à un point où les cybermenaces se développent plus vite que notre capacité à les prévenir et à les gérer efficacement. La prolifération incontrôlée des technologies de l’IA à usage général va radicalement remodeler les économies et les sociétés dans les années à venir, pour le meilleur et pour le pire », prévient le rapport du WEF, appelant les décideurs à « adopter des stratégies à long terme pour atténuer les risques ». Autre défi : le cyber-risque mondial et le PIB sont étroitement liés. La prospérité économique d’un pays est profondément liée à sa capacité à naviguer dans le paysage complexe des cybermenaces. Selon le FMI, « les pertes directes liées aux cybermenaces en tous genres s’élèvent à 12 milliards de dollars sur 20 ans ». « L’utilisation de l’IA a compliqué la donne, facilitant les crimes électroniques. Nous devons être conscients des risques que l’Internet et l’IA posent à notre vie privée et prendre des mesures pour nous protéger en développant des techniques de cybersécurité solides et en adoptant des lois sévères pour punir les auteurs de ces actes immoraux », conclut Dr Mohamed Mohsen Ramadan, chef de l’unité d’intelligence artificielle et de cybersécurité au Centre arabe de recherche et d’études.
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