Al-Ahram Hebdo : L’Egypte enregistre le taux de croissance démographique le plus bas depuis 50 ans. Quelles sont les significations et les raisons de cette réussite ?
Hussein Abdel-Aziz : Tout d’abord, je tiens à préciser que l’Egypte a enregistré une baisse du taux de croissance depuis longtemps. Le taux de fécondité a diminué au cours des 40 dernières années, passant de 5,4 naissances par femme dans les années 1980 à 3,1 en 2005, puis à 3 en 2008. Cependant, en 2014, le taux de fécondité a augmenté pour atteindre 3,5 naissances par femme, avant de diminuer à nouveau à partir de 2017. Le gouvernement a déployé des efforts considérables en matière de planification familiale, mais des événements tels que la pandémie de Covid-19, la crise économique mondiale et l’inflation ont joué un rôle important dans la diminution des naissances et la baisse du taux de fécondité à partir de 2021. Les réseaux sociaux ont eu aussi un impact en changeant les habitudes culturelles et de consommation, contribuant à la baisse du taux de fécondité. Cependant, cette tendance est plus difficile à observer dans les gouvernorats du sud de l’Egypte.
— En quoi consistent ces difficultés dans les gouvernorats de la Haute-Egypte ?
— Dans les gouvernorats du sud de l’Egypte, comme Assiout, le taux de fécondité n’a diminué que de 14 % entre 2014 et 2020, passant de 4,2 à 3,8 naissances par femme. La situation est similaire dans le gouvernorat de Sohag. En revanche, dans les gouvernorats du Delta, le taux de fécondité a bien diminué. Par exemple, à Damiette, il est passé de 3 naissances par femme en 2014 à 2,1 en 2020, soit une diminution de 29 %. A Qalioubiya, il est passé de 3,8 naissances par femme en 2014 à 2,2 en 2020, avec une diminution de 41 %. Dans les grandes villes comme Le Caire, il est passé de 2,6 à 2,3 et à Alexandrie, de 2,2 à 2,1.
Les raisons de ce ralentissement de la baisse du taux de fécondité dans le sud de l’Egypte sont multiples. Il y a un manque de services en matière de planning familial, avec une insuffisance de moyens de contraception et un nombre limité de centres médicaux publics. Selon le dernier rapport de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), 20 % des femmes ont des difficultés à accéder à ces services, ce qui peut entraver le suivi médical des femmes enceintes. Les traditions qui valorisent les familles nombreuses comme signe de richesse sont également un frein. Les autorités locales et religieuses sont encouragées à promouvoir la contraception, mais cette démarche peut rencontrer une résistance, notamment dans le sud de l’Egypte. Dans cette région, la préférence d’avoir un garçon pour perpétuer le nom de famille peut pousser les femmes à avoir plusieurs enfants, contribuant ainsi au maintien du taux de fécondité. Par ailleurs, le taux d’analphabétisme dans le sud de l’Egypte est un facteur supplémentaire qui influence ce phénomène.
— Quelles sont les répercussions de la baisse du taux de croissance sur le développement économique ?
— La croissance démographique absorbe les ressources du développement économique. Même si le taux de croissance diminue, le nombre de naissances actuel continue de mettre à rude épreuve les ressources de l’Etat et les efforts de développement. En 2022, 33 % de la population égyptienne ont moins de 15 ans, nécessitant ainsi des services en matière d’éducation, de santé, d’emploi, etc. Avec la baisse du taux de croissance, le gouvernement pourrait mieux répondre aux besoins du peuple en termes de services de santé, d’éducation, de logement, d’alimentation, d’emploi et ainsi de suite. L’objectif de l’Egypte est d’atteindre le seuil mondial de remplacement des générations, fixé à 2,1 enfants par femme. Cela permettrait de réduire le taux de la population jeune et de mieux gérer les ressources du pays. Si le gouvernement réussit à atteindre ce seuil, le taux d’enfants qui ont moins de 15 ans passera à 25 % en 2032 et peut être à 17 % en 2072. Jusqu’à présent, 66 % des femmes utilisent les moyens de planification familiale, mais nous avons besoin que ce taux passe à 74 %.
— Quelle est la stratégie de l’Egypte afin d’atteindre le seuil mondial de remplacement des générations ?
— L’Egypte a lancé la Stratégie nationale de la population et du développement 2023-2030 lors de la première Conférence internationale sur la population, la santé et le développement (PHDC 23) qui s’est tenue au Caire en septembre dernier. Cette stratégie s’articule autour de plusieurs axes visant à gérer la question démographique et à sensibiliser les citoyens à l’importance du planning familial. Elle repose sur l’investissement dans le capital humain, en permettant aux individus d’être en bonne santé et d’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour occuper les emplois d’aujourd’hui et préparer ceux de demain. Elle s’appuie également sur la garantie des droits reproductifs, l’autonomisation des femmes, l’amélioration du niveau social des citoyens et l’investissement dans les domaines de la santé, de l’éducation, des transports et de l’énergie. En mars 2023, le pays a également lancé le projet national pour le développement de la famille égyptienne afin de lutter contre la surpopulation dans le cadre d’une vision globale. Ce projet prévoit une récompense financière de 1 000 L.E. aux femmes qui se contentent de deux enfants.
— Comment s’assurer de la bonne application de cette stratégie ?
— Cette stratégie réussira s’il existe une volonté. Il faut que le gouvernement élabore un rapport annuel des conséquences pour suivre les étapes de son application. Le gouvernement doit autonomiser les femmes et leur créer des emplois durables, ce qui aide à diminuer le taux de croissance démographique. La femme n’occupe que 17 % seulement du marché du travail bien qu’elle représente environ la moitié de la population, exactement 48 %.
En outre, il faut lutter contre l’analphabétisme. Le tiers des femmes égyptiennes sont analphabètes. Le programme gouvernemental du planning familial doit garantir l’accès à différents services de santé et de sensibilisation et la gratuité du service. Il faut établir un programme de sensibilisation dans les écoles et les universités, et promulguer des lois pour lutter contre le mariage des filles de moins de 18 ans et pour prévenir la fuite scolaire.
L’exemple de l’Iran est édifiant. Il a mené des activités de recherche sur la santé en matière de reproduction et d’évaluation des programmes de planification familiale et de nutrition, afin d’améliorer le système de prestations sanitaires, notamment les soins de santé primaires, de la santé des adolescents, de la procréation et de la planification familiale. Résultat : le taux de fécondité en Iran est tombé de 6,63 naissances par femme au cours de la période 1980-1985 à 2,04 enfants par femme en 2005-2010.
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