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Raisons et conséquences d’un exploit

Ola Hamdi , Mercredi, 17 avril 2024

L’Egypte a enregistré en 2023 le taux de croissance démographique le plus bas en 50 ans. Un précédent que les experts ont qualifié de réussite. Dossier.

Raisons et conséquences d’un exploit

« Cherchez la population » est une expression utilisée par le célèbre géographe Gamal Hamdan dans son livre La Personnalité de l’Egypte pour résumer les problèmes du pays. Il a souligné que tout problème en Egypte comporte une composante démographique. Pour la première fois en 50 ans, l’Egypte a annoncé avoir enregistré le taux de croissance démographique le plus bas, passant de 2,6 % en 2017 à 1,4 % en 2023. Selon l’Observatoire démographique de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), le nombre de naissances en 2023 a atteint environ 2 millions, en baisse de 15 % par rapport à 2018 et de 7 % par rapport à 2022. Le ministère de la Planification et du Développement économique a parlé de « succès majeur » avec une réduction d’environ 46 % du taux de croissance démographique entre 2017 et 2023 et de 10 % entre 2022 et 2023.

Le rapport du ministère a attribué ces résultats aux « efforts de l’Etat ». La ministre de la Planification et du Développement économique, Hala Al Saïd, a déclaré que « la réduction obtenue est le résultat des efforts des ministères oeuvrant sur la question démographique, en plus de la sensibilisation accrue des citoyens égyptiens à l’importance de la planification familiale pour améliorer leurs conditions de vie ». Elle a ajouté que « la question démographique est l’un des défis les plus importants en matière de développement en raison de ses impacts négatifs sur les plans économique et social. C’est pourquoi l’Etat s’attache à gérer la question démographique dans une optique de développement global, axée principalement sur l’amélioration des caractéristiques de la population telles que l’éducation, la santé, l’emploi, l’autonomisation économique et la culture ». On estime que la population égyptienne atteindra 108 millions de personnes en 2023-2024 et 111,6 millions d’ici fin 2025-2026.

Les causes

De nombreux experts considèrent cette diminution de la croissance démographique comme une réussite et l’attribuent à divers facteurs. Selon Ayman Zohri, expert en études de population et de migration, le taux enregistré est approprié à la situation en Egypte. Il a identifié les facteurs économiques comme principale raison de cette baisse. « Les pressions économiques auxquelles les citoyens sont confrontés les ont incités à considérer la paternité comme un fardeau, entraînant un report de la décision d’avoir des enfants. Le nombre de divorces a également augmenté, en plus de la réticence des jeunes mariés à avoir des enfants, reflétant un phénomène mondial où la génération actuelle, en particulier la femme, est plus axée sur son épanouissement personnel, ce qui influe sur les taux de natalité », a expliqué Zohri, soulignant que ce déclin résulte de plusieurs facteurs sociaux en évolution.

Samia Khidr, professeur de sociologie de la population à l’Université de Aïn-Chams, partage l’avis de Zohri, soulignant que la situation économique en Egypte ces dernières années, ainsi que l’augmentation des prix ont incité de nombreuses familles à envisager une planification familiale. « Les jeunes hommes et femmes ont revu leur approche du mariage. Contrairement au passé, les jeunes terminent leurs études avant de se marier. Les femmes sont plus enclines à poursuivre une carrière et à s’épanouir personnellement, ce qui retarde parfois le mariage. Il est devenu courant pour certaines femmes de dépasser la trentaine sans être mariées, et les voyages sont de plus en plus prisés par les jeunes qui préfèrent éviter les responsabilités précoces, notamment en raison de l’augmentation des prix et du taux de divorce élevé ces dernières années », a souligné Khidr.

Quant à l’ancien directeur du bureau du Fonds des Nations-Unies pour la population en Egypte, Magdy Khaled, il a attribué cette réussite à des années de travail de la part du gouvernement et non à des mesures ponctuelles, en particulier dans les domaines de la sensibilisation de la population et de la planification familiale. Il a souligné que depuis l’accession du président Abdel Fattah Al-Sissi au pouvoir en 2014, l’Etat s’investit dans la question de planification familiale. Il a expliqué que le président accorde une importance primordiale à la question démographique, ajoutant que les progrès dans ce domaine exigent du temps et ne se réalisent pas du jour au lendemain. Le président Sissi a régulièrement abordé le thème de la croissance démographique dans ses discours et a même établi un lien entre le terrorisme et la crise démographique, qu’il considère comme les deux principaux dangers pour l’Egypte.

La population égyptienne a connu plusieurs phases de croissance exponentielle. En 1850, la population était d’environ 5 millions d’habitants. Cent ans plus tard, elle a atteint 20 millions, puis a doublé pour atteindre 40 millions en 1978. En 2007, la population a franchi la barre des 70 millions d’habitants, pour dépasser les 100 millions en 2020 et atteindre actuellement plus de 105 millions. Entre 1947 et 2015, la population de l’Egypte a été multipliée par cinq. Dans les années 1970, des programmes de planification familiale ont été lancés, permettant de réduire le taux de fécondité chez les femmes égyptiennes de 5,6 enfants en 1976 à 3 enfants en 2008. Cependant, après 2011, le taux de fertilité est remonté à 3,5 enfants par femme en 2014 en raison d’une négligence de la question démographique. En 2014, l’Etat a réaffirmé son engagement en ajoutant l’article 41 à la Constitution égyptienne, faisant de la planification familiale une priorité pour atteindre un équilibre entre la croissance démographique et les ressources disponibles.

Bien que Magdy Khaled ait qualifié la baisse du taux de fécondité de « bonne », il a souligné qu’elle n’avait pas encore atteint l’objectif fixé et que la sensibilisation des citoyens reste insuffisante. « Les résultats positifs doivent inciter à intensifier les efforts. L’Etat doit continuer de se concentrer sur ce problème et de fournir des ressources. Il appartient également aux citoyens de s’engager en faveur de la planification familiale », a-t-il souligné.

Croissance zéro

Atef Al-Chitani, ancien rapporteur au Conseil national de la population, estime que le gouvernement vise à atteindre un taux de croissance démographique nul en Egypte, où le taux annuel de natalité équivaudrait à celui de mortalité, ou ce qu’on appelle le taux de remplacement. Il estime cependant que cette équation sera difficile à atteindre d’ici 2030, qualifiant cette tâche de « plus grand défi pour les décideurs politiques en matière démographique en Egypte ». Al-Chitani appelle à la mise en oeuvre de la stratégie démographique annoncée en 2023, comprenant des normes et des indicateurs mesurables, soumis à des évaluations périodiques tous les trois à quatre ans. « Un faible taux de natalité est un indicateur positif pour le développement à long terme, en tenant compte des ressources naturelles du pays. Cela nécessite un renforcement des caractéristiques sociales de la population à travers des investissements accrus dans l’éducation et la santé », a-t-il conclu.

Pour sa part, le Centre d’information du Conseil des ministres a publié un rapport concernant l’impact du taux de fécondité sur les revenus des Egyptiens, selon trois scénarios. Le premier prévoit que sans changement des taux de fécondité d’ici 2030, le PIB par habitant serait de 5 610 L.E., alors que le PIB global serait de 678 milliards de L.E. et la population de 120,8 millions d’habitants. Le deuxième estime qu’en cas de déclin modéré, avec une fécondité de 2,5 naissances par femme, le PIB par habitant atteindrait 5 814 L.E., alors que le PIB s’élèverait à 692 milliards de L.E., pour une population de 119,1 millions d’habitants. Ce scénario générerait des économies de dépenses budgétaires de 308 millions de L.E. Le troisième dit que si une baisse rapide se produit, avec une fécondité de 2,1 naissances par femme, la population serait de 117,3 millions de personnes, avec un PIB de 704 milliards de L.E. et un PIB par habitant de 6 002 L.E. Dans ce cas, le gouvernement réaliserait des économies de dépenses de 569 millions de L.E.

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