Trois semaines après la libéralisation du taux de change par la Banque Centrale d’Egypte (BCE), la communauté internationale, les agences de notation et les investisseurs ont exprimé plus de confiance dans l’économie égyptienne. L’un des signes les plus importants est la multiplication des financements à l’adresse de l’Egypte. Le 17 mars, la Commission européenne a décidé d’octroyer un financement de 7,4 milliards d’euros à l’Egypte. La somme sera une combinaison de subventions, de prêts, d’investissements et d’une assistance macro-financière. Le lendemain, la Banque Mondiale (BM) a affirmé son engagement à adopter un plan de financement de 6 milliards de dollars pour l’Egypte. Un prêt de 3 milliards de dollars sera débloqué au gouvernement sous la forme de financement de politiques de développement (FAP) et d’assistance technique ; l’autre moitié sera allouée au secteur privé.
Sur un autre plan, les agences de notation ont réévalué la position économique du pays. Standard & Poor’s Global Rating (S&P) a revu à la hausse ses perspectives pour l’Egypte qui sont passées de stables à positives avec le maintien de la notation de la dette à B, selon un communiqué publié le 18 mars par l’agence. Au même titre, l’agence de notation Moody’s a relevé sa perspective des dépôts à long terme de cinq banques égyptiennes de négative à positive. Alors que l’agence Fitch, plus conservatrice, a annoncé que la modification de la note de crédit du pays est conditionnée à la poursuite des réformes économiques.
Tout a commencé avec le projet de Ras Al-Hikma conclu avec les Emirats arabes unis pour un montant de 35 milliards de dollars. L’annonce de ce projet a entraîné les autres financements qui ont contribué à résoudre le problème de liquidités en devises étrangères. Ce projet a injecté des dollars dans l’économie, ce qui a permis la libéralisation du taux de change. En conséquence, le Fonds Monétaire Internationale (FMI) a augmenté son prêt accordé à l’Egypte de 3 à 8 milliards de dollars.
Après la décision de la BCE, le 6 mars, de libéraliser le taux de change, la posture de la livre égyptienne s’est consolidée dans les échanges bancaires, reflétant l’augmentation de l’offre du billet vert qui a perdu 63 % de sa valeur le jour du flottement pour s’échanger à 49,5 L.E. Selon la BCE, le dollar se situait à la deuxième semaine, le 17 mars, à 47,7 L.E. pour l’achat et 47,8 pour la vente. A la troisième semaine, la livre égyptienne a gagné plus de force, pour s’échanger le lundi 25 mars en dessous de la barre de 47 L.E. pour l’achat, soit 46,6 pour l’achat et 46,5 pour la vente.
« La livre égyptienne se renforce chaque jour sur une pente stable. Preuve en est le dédouanement des marchandises stockées dans les ports égyptiens d’un montant de 3 milliards de dollars. La libéralisation et la disponibilité d’une offre abondante ont rehaussé la valeur de la livre égyptienne », a noté Amr Al Alfy, directeur de la recherche à Thander Securities Brokerage. L’analyste explique qu’avant le flottement, la demande sur le dollar était exagérée vu les spéculations dont il faisait l’objet. « Cela s’est arrêté. Il est actuellement un peu tôt de fixer une valeur réelle de la livre. Mais, je peux dire que le dollar s’échangera à 45 L.E. en fin de mois et 40 L.E. en fin d’année », estime-t-il.
En effet, au lendemain de la dévaluation, Goldman Sachs a remanié ses prévisions sur le volume de la lacune de financement de l’Egypte qui passera d’un déficit de 13 milliards de dollars à un surplus de 26,5 milliards de dollar dans les quatre prochaines années, en raison des financements que l’Egypte a obtenus.
Flux de devises
L’augmentation des liquidités en dollar s’est également matérialisée à travers les canaux officiels, en provenance de deux sources principales : les transferts des Egyptiens à l’étranger et les clients des banques en Egypte. « Les transferts des Egyptiens à l’étranger, l’une des sources majeures de devises étrangères pour le pays, ont regagné les canaux officiels et ont augmenté de 10 fois dans les dix derniers jours en comparaison avec la période avant le flottement », a déclaré la semaine dernière Mohamed El-Etreby, PDG de la Banque Misr, deuxième banque publique. De même, le site d’informations économiques Enterprise a rapporté que le plus grand bureau de change et la société de transfert de fonds des Emirats arabes unis, Al Ansari Exchange, a constaté une « augmentation remarquable » des transferts envoyés des Emirats vers l’Egypte. Il est à noter que les transferts des Egyptiens à l’étranger avaient diminué de 30 % en glissement annuel, pour atteindre 22 milliards de dollars en 2023 contre 36 milliards en 2022. Selon Goldman Sachs, ils connaîtront une amélioration graduelle mais stable pour regagner leur niveau d’avant 2022 et se chiffrer à 30,5 milliards en 2025 et 33,07 milliards en 2027.
Ainsi, les nouvelles données remettent les prévisions du gouvernement sur leur trajectoire initiale, celle d’augmenter les transferts des expatriés de 10 % par an pour atteindre 53 milliards de dollars d’ici 2030.
Quant aux particuliers qui ont vendu leurs billets verts aux banques et aux bureaux de change, Abdel Majeed Mohieldin, directeur du bureau de change Al-Ahly Exchange, a déclaré que les recettes des ventes du dollar ont atteint depuis le flottement 3,2 milliards de L.E. dans les bureaux de change des trois grandes banques gouvernementales, Ahly, Misr et Banque du Caire. Mohamed Shadi, expert au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques, affirme que le marché des changes est sur la voie du rétablissement et se dirige vers le scénario post-flottement 2016, caractérisé par une stabilité du taux de change, une disponibilité du billet vert et l’anéantissement ou presque du marché noir.
Les étapes à venir
Les répercussions des flux des capitaux en dollar ont commencé à se faire sentir également au niveau des activités du gouvernement. Le premier ministre, Mostafa Madbouly, a annoncé que « la disponibilité des liquidités en devises étrangères a permis au gouvernement de répondre à des obligations, comme le versement d’une partie des dus gouvernementaux, soit 1,5 milliard de dollars, aux entreprises pétrolières ». D’autre part, le ministre des Finances, Mohamed Maait, a déclaré que la moitié des recettes du programme de vente d’entreprises publiques (IPO) sera dirigée vers le remboursement de la dette.
Shadi estime ainsi que jusque-là les politiques monétaires ont atteint leurs objectifs. Il faut toutefois des politiques économiques plus durables car la situation actuelle difficile nécessite plusieurs autres interventions parallèles. « Pour ne pas revenir au scénario pré-flottement 2024, le gouvernement doit recourir à une réforme économique globale, composée de trois volets : la politique monétaire qui vient d’être bien orchestrée, la politique financière qui est en cours avec toutes les réformes budgétaires, fiscales et de la dette, et enfin la politique commerciale. Cette dernière regroupe trois composantes, à savoir les politiques industrielles, les politiques agricoles et celles du commerce extérieur. Il faut que les trois volets soient réformés parallèlement et radicalement », affirme Shadi.
De son côté, Al Alfy ajoute que sur le court terme, la BCE doit accorder davantage d’importance à trois points essentiels pour maintenir le flux de dollars. Selon lui, il faut premièrement freiner l’importation des marchandises non pétrolières qui ne sont pas de nécessité pour l’économie égyptienne. Deuxièmement, il faut dépendre moins du hot money (les investissements des étrangers dans la dette locale qui ont été réinjectés après la dévaluation, atteignant 3 milliards de dollars). « Ces capitaux sont à la recherche de rendements rapides et cherchent d’autres marchés en cas de crise financière ou de diminution des taux d’intérêt. Cela nous rappelle la sortie des capitaux de ces investissements, estimés à 22 milliards de dollars, à la suite de la guerre en Ukraine, et qui a été l’une des raisons essentielles du déséquilibre du taux de change. Troisièmement, il faut cibler les investissements étrangers directs », conclut-il.
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