Depuis une décennie, le Yémen est déchiré par une guerre opposant les Houthis, soutenus par l’Iran, et les forces gouvernementales yéménites. Depuis que les Houthis avaient pris le pouvoir en 2014 après la destitution du président Abdallah Saleh, le gouvernement légitime s’est déplacé à Aden, alors que les Houthis contrôlent le nord du Yémen et la capitale Sanaa. Ce conflit armé a fait des centaines de milliers de morts et plongé le pays, déjà le plus pauvre de la péninsule arabique avant la guerre, dans l’une des pires crises humanitaires au monde. Un communiqué publié par l’UNICEF le 18 août courant révèle des niveaux de malnutrition « extrêmement critiques » dans certaines zones du sud du pays. « Le nombre d’enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition aiguë ou d’émaciation a augmenté de 34 % par rapport à l’année passée, touchant plus de 600 000 enfants, dont 120 000 souffrent de malnutrition sévère. Cette forte augmentation est due à l’effet conjugué des épidémies (choléra et rougeole), de l’insécurité alimentaire, de l’accès limité à l’eau potable et du déclin économique », écrit le rapport.
« La crise humanitaire au Yémen n’est pas moindre que celle de Gaza. En plus, le système éducatif s’est complètement effondré », explique Dr Mona Soliman, politologue, en ajoutant que « les Houthis cherchent aussi à changer l’identité yéménite en imposant leur doctrine zaydite qui comprend une oppression évidente contre les filles les privant entièrement de l’enseignement. Ils cherchent aussi à imposer leurs habitudes et coutumes qui sont complètement différentes de celles de la société yéménite plutôt arabo-islamique ».
Une économie en ruine
Par ailleurs, une décennie de guerre a ruiné l’économie du Yémen. Malgré la présence de ressources naturelles, notamment des hydrocarbures, la production de pétrole et de gaz a été fortement réduite, car les infrastructures, y compris stratégiques, ont été lourdement affectées. Les réserves prouvées de pétrole du Yémen atteignent 3 milliards de barils (selon British Petroleum), soit 0,2 % des réserves prouvées au niveau mondial. Cependant, sa production reste très limitée. Alors que le Yémen détient 300 milliards de m3 de réserves prouvées de gaz, il ne produit que 100 millions de m3 par an depuis 2018 contre 10 milliards de m3 en 2013. Les infrastructures de distribution d’eau sont également dans un état dégradé, ainsi que les infrastructures électriques.
D’autre part, les dépréciations monétaires consécutives et les augmentations du coût du carburant et d’autres produits de base ont plongé des millions de personnes dans la pauvreté, sans oublier que la guerre et les ravages du changement climatique ont gravement entravé la production agricole.
Tantôt au-devant de la scène, tantôt oublié
Alors que le Yémen a fait la une de l’actualité pendant des années, notamment après la formation en mars 2015 par l’Arabie saoudite d’une coalition militaire comprenant une quinzaine de pays pour vaincre les Houthis et rétablir le gouvernement du président Abd-Rabbo Mansour Hadi, en exil, le Yémen est tombé dans l’oubli à partir du début de 2020 avec l’apparition du Covid-19. « A cette époque, le monde entier était préoccupé par la pandémie. Ce qui a légué tous les conflits régionaux au second plan. Cependant, le Yémen est réapparu sur la scène en 2022 avec la formation du Conseil présidentiel yéménite grâce à un parrainage saoudien et la nomination d’un nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU. Mais l’intérêt pour le Yémen est retombé encore une fois avec l’apparition de la guerre russe contre l’Ukraine puis la guerre israélienne contre Gaza », explique Soliman.
Mais la réaction des Houthis au déclenchement de la guerre israélienne contre Gaza a replacé le Yémen au-devant de la scène. Soutenus par l’Iran, ennemi juré d’Israël, les Houthis, disant agir en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, mènent depuis novembre dernier des attaques contre des navires présentés comme liés à Israël au large du Yémen. Ces attaques ont perturbé le trafic maritime dans le golfe d’Aden et en mer Rouge, zone par laquelle transitent 12 % du commerce mondial, contraignant de nombreux armateurs à suspendre le passage par ces voies de navigation stratégiques. La mise en place par les Etats-Unis d’une coalition multinationale pour protéger la navigation et les frappes menées, parfois avec l’aide du Royaume-Uni, contre les positions des Houthis au Yémen ne sont pas parvenues à stopper ces attaques.
Au niveau militaire, les combats ont largement cessé depuis la négociation d’une trêve par l’ONU en avril 2022, même si celle-ci a officiellement pris fin six mois plus tard. Ce n’est plus la guerre totale, mais ce n’est pas la paix non plus. Les Houthis continuent à contrôler le nord, la capitale Sanaa, ainsi que les principales ressources, les ports et les aéroports du pays, alors que le gouvernement légitime internationalement reconnu se trouve à Aden dans le sud. « Je pense que cette situation persistera. Ni les Houthis sont capables de conquérir le sud, ni le gouvernement légitime ne peut reprendre le pouvoir et s’emparer de la capitale. En plus, ils ne sont pas les seuls acteurs sur la scène yéménite. Des parties du nord sont dominées par des organisations terroristes comme Al-Qaëda, alors qu’au sud, le Conseil de transition du sud établi en 2017 se dresse contre le gouvernement légitime à cause de ses tendances séparatrices », explique Mona Soliman, qui conclut que cette situation complexe a bloqué toute avancée sur la voie des négociations qui se sont tenues à plusieurs reprises à Genève sans débouché.
Lien court: