Avec un bilan avoisinant les 15 000 morts et plus de 8 millions de déplacés et de réfugiés, doublé d’une destruction totale des infrastructures, la guerre au Soudan, qui a éclaté le 15 avril 2023, a entamé sa deuxième année sans vainqueur. De nombreux observateurs craignent qu’elle ne soit en passe de devenir une guerre oubliée. Une combinaison mortelle de déplacements forcés, d’épidémies et de crise alimentaire a été provoquée par ce conflit.
Le 15 avril 2023, une guerre civile a éclaté au Soudan, opposant deux anciens alliés, le général Abdel-Fattah Al-Burhan, chef d’état-major de l’armée soudanaise, et le général Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemedti, chef des Forces de Soutien Rapide (FSR), auparavant l’adjoint de Burhan. Pendant 30 ans, le Soudan n’avait connu qu’un seul dirigeant : Omar Al-Béchir. Cependant, en décembre 2018, une révolution populaire a éclaté menant à sa chute en avril 2019. Suite à ce renversement, un gouvernement conjoint entre civils et militaires a été mis en place. En décembre 2022, les factions militaires et certaines forces civiles ont essayé de conclure un accord sur le transfert du pouvoir aux civils. Mais les discussions ont échoué pour la deuxième fois. Ces échecs ont accentué la rivalité au sein de la composante militaire. Al-Burhan souhaitait une intégration rapide des FSR au sein de l’armée qui sont, selon lui, une menace sérieuse pour la stabilité à l’Etat soudanais. Pour rappel, les paramilitaires des FSR, dont le nombre dépasse les 120 000 hommes, possèdent de grandes puissances militaires et contrôlent des mines d’or. De son côté, Hemedti insistait sur le fait que le processus de fusion s’étalerait sur une période de dix ans. En l’absence d’un terrain d’entente entre les deux parties, les FSR se sont précipitées pour tenter un coup d’Etat, et il semblait clair qu’elles s’y étaient préparées à l’avance. Les combats ont immédiatement éclaté dans tout le Soudan.
« Il est évident que les causes de la guerre en cours au Soudan soient liées à des facteurs internes exacerbés par des polarisations externes. L’échec du processus de transition démocratique début 2023 et le désaccord entre l’armée et les FSR sur les résultats des négociations sécuritaires ont intensifié la crise entre les deux parties », explique Mohamed Abdel-Karim, spécialiste de l’Afrique. Et d’ajouter : « Les tensions sociales, notamment dans la région du Darfour, menacent l’unité de l’Etat-nation soudanais aux multiples facettes ethniques et idéologiques ».
Déplacements, maladies et faim
La lutte de pouvoir entre les deux parties en conflit a causé « l’une des pires situations humanitaires au monde » selon l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM), soulignant qu’« un quart de la population a été déplacé dans des conditions extrêmement difficiles ». En effet, sur les 47 millions d’habitants du Soudan, plus de 11 millions ont fui les régions du Soudan touchées par les combats et 2 millions se sont réfugiés dans les pays voisins. Selon Claudine Mayer, responsable médicale pour Médecins Sans Frontières (MSF) au Soudan, les conditions d’accès aux services de base sont très difficiles, notamment les services sanitaires. Les maladies, comme le choléra et le paludisme, circulent plus facilement dans ces conditions. En effet, le Soudan a enregistré cette semaine plus de 6 000 cas de choléra.
En outre, sur le plan économique, cette guerre a aussi fortement perturbé les activités économiques dans la capitale Khartoum et dans d’autres régions du pays. Le Bureau central des statistiques du Soudan a rapporté que le taux d’inflation a récemment atteint 159 %. Selon des estimations, le coût de la guerre dépasse les 100 milliards de dollars, car 70 % des activités économiques au Soudan se sont arrêtés. Le coût des combats au Soudan est estimé à environ un demi-milliard de dollars par jour. La livre soudanaise a perdu presque 50 % de sa valeur en deux ans et la production d’or a diminué de 18 tonnes à seulement 2 tonnes.
Le secteur agricole, pilier de l’économie soudanaise et source de revenus pour 65 % de la population, a été durement touché par la crise. 70 % des ménages ruraux n’ont pas cultivé de terres au cours de la saison estivale 2023, aggravant ainsi la crise alimentaire qui touche déjà près de la moitié de la population. Un nombre impressionnant de 755 000 personnes sont actuellement confrontées à des niveaux catastrophiques de faim aiguë (phase 5) — la pire forme de faim — tandis qu’un total de 25,6 millions de personnes sont confrontées à des niveaux élevés de faim aiguë (phases 3 et supérieure). Selon l’UNICEF, la crise au Soudan constitue une catastrophe générationnelle : 90 % des enfants en âge d’être scolarisés sont privés d’éducation formelle.
En parallèle, sur le terrain, les combats se poursuivent sans relâche et les négociations pour un cessez-le-feu n’aboutissent jamais. Plusieurs tentatives de médiation ont eu lieu mais toujours en vain. « L’analyse de la situation actuelle laisse penser que l’armée soudanaise a désormais le dessus et cherche à instaurer un gouvernement de technocrates pour gérer la transition et ce, indépendamment des résultats des négociations de Genève. Les réponses de l’armée aux pressions exercées par les pays du Golfe et les Etats-Unis pour qu’elle participe aux pourparlers n’ont pas donné les résultats escomptés. L’armée conditionne sa participation à une condamnation internationale des violations commises par les FSR contre le peuple soudanais », estime Mohamed Abdel-Karim. Et de conclure : « Si la pression internationale sur les FSR pour arrêter la guerre réussit, on s’attend à ce qu’une nouvelle phase de transition commence en faveur de la vision de l’armée et des forces politiques qui soutiennent l’Etat soudanais ».
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