Américains et Iraniens auraient tenu une réunion secrète à Genève pour éviter une guerre totale à la région. « La guerre de Gaza ramène Washington et Téhéran aux négociations directes », titre le quotidien koweïtien Aljarida à la une de son édition datée du 14 novembre 2023, selon lequel une « réunion secrète a eu lieu à Genève pour chercher les moyens d’éviter un glissement vers une guerre totale » au Moyen-Orient. Le journal affirme détenir ces informations d’une « source au sein du Conseil suprême de la sécurité nationale iranien ». Téhéran aurait « accepté une proposition des Américains, transmise via des pays arabes voisins, pour mener des négociations au niveau sécuritaire ».
Des informations qui ont largement circulé, mais qui n’ont été ni confirmées ni niées de part et d’autre. Or, selon les experts, entre les Américains et les Iraniens, les sujets de friction qui nécessitent de se mettre sur une table de négociations ne manquent pas. « La véritable raison derrière de telles rencontres, si elles ont eu lieu, c’est la question nucléaire. Washington est inquiet en raison d’un récent rapport concernant des avancées réalisées par Téhéran en matière de nucléaire. D’un côté, cela a poussé les Américains à discuter avec les Iraniens, de l’autre, la guerre à Gaza a bouleversé les équilibres de force. La question des autres fronts et de ce qu’on appelle les proxys de l’Iran s’impose donc à l’ordre du jour », explique Dr Tarek Fahmy, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire et à l’Université américaine du Caire (AUC). En effet, si après l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » du 7 octobre, Téhéran s’est empressé de nier toute implication, « tout le monde sait que l’Iran soutient financièrement et militairement l’axe de la résistance, c’est-à-dire le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les milices chiites en Iraq et en Syrie et les Houthis au Yémen. Le Hezbollah et le Hamas sont considérés comme fer de lance de la résistance contre Israël », affirme Tarek Fahmy, ajoutant que « Washington et Israël veulent casser l’axe de résistance ».
Le nucléaire, inquiétude majeure pour les Occidentaux
Soumis à de sévères sanctions internationales, confronté à des défis économiques, l’Iran tente donc de protéger ses intérêts en utilisant ses mandataires contre ses adversaires. En effet, parallèlement à la diffusion des informations sur les rencontres américano-iraniennes, l’Iran a dévoilé, dimanche 19 novembre, une nouvelle version d’un missile balistique hypersonique. Nommé Fattah II, le missile a été présenté au guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, lors d’une visite au centre de développement des forces aériennes du Corps des Gardiens de la Révolution. Alors que quelques jours auparavant, un rapport de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) expliquait que les stocks d’uranium enrichi en Iran sont passés à 4 486,8 kg à la date du 28 octobre (contre 3 795,5 kg mi-août), s’élevant ainsi à plus de 22 fois la limite autorisée par l’accord international de 2015, qui visait à limiter la puissance nucléaire de Téhéran en échange d’une levée des sanctions internationales. En outre, l’AIEA a condamné la décision de l’Iran de bannir plusieurs de ses inspecteurs. « Ce geste sans précédent, annoncé en septembre, a directement et gravement affecté la capacité à contrôler le programme nucléaire iranien qui continue à monter en puissance », estime l’agence onusienne, tout en ajoutant qu’en ciblant des nationalités en particulier, la mesure est « extrême et injustifiée ». C’est ce que dit un rapport confidentiel consulté par l’AFP. En effet, 8 experts, français et allemands notamment, sont concernés. Washington, Paris, Londres et Berlin ont d’une même voix appelé l’Iran à revenir sur sa décision. En vain jusqu’à présent. « Il s’agit d’une réponse à la décision européenne de prolonger les sanctions sur les exportations et les importations militaires iraniennes. Ces sanctions devaient finir en août 2023, faute de ne pas parvenir à un accord remplaçant celui de 2015, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont décidé de prolonger les sanctions imposées sur les armes. Ce qui a provoqué la colère de Téhéran, qui a expulsé les experts européens et augmenté l’enrichissement d’uranium », explique Dr Ali Atef, expert des affaires iraniennes.
Car l’Iran, disent les experts, dispose désormais de suffisamment de matières pour fabriquer plusieurs bombes atomiques, même s’il nie avoir de telles intentions. « Ceci pousse les Occidentaux à agir rapidement pour freiner le programme nucléaire iranien. Pour eux, la voie des pourparlers est devenue la seule solution. Le scénario d’une frappe aérienne ou d’une guerre contre l’Iran est éloigné à cause de plusieurs raisons », explique Ali Atef. Selon l’expert, Washington et l’Union européenne ne veulent pas prendre le risque d’augmenter les tensions au Moyen-Orient. En effet, la Syrie, le Liban, l’Iraq, le Yémen et le Soudan souffrent déjà de crises sans issue. La guerre de Gaza vient aggraver la situation dans la région. Aussi, ajoute l’analyste, les intérêts occidentaux dans la région sont sérieusement menacés. « Washington ne peut donc pas ouvrir un nouveau front avec une puissance comme l’Iran, surtout avec l’approche de la présidentielle américaine prévue en novembre 2024 et d’autant plus qu’attaquer les sites nucléaires iraniens constituerait un très gros risque », explique-t-il.
L’« Axe de la résistance » à la manoeuvre
De l’autre côté, Téhéran ne veut pas non plus d’un conflit élargi, qui ne serait certainement pas en son avantage. Cependant, il ne manque pas de faire des démonstrations de force à travers ses alliés régionaux : le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, ainsi que les milices chiites en Iraq et en Syrie. « La politique de Téhéran est d’opter pour une mini-escalade à travers ses proxys, juste pour montrer qu’il est là », estime Ali Atef. Dernier développement en date à ce sujet : les Houthis ont affirmé, dimanche 19 novembre, s’être emparés d’un navire commercial israélien en mer Rouge. Aussi, depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas le 7 octobre, les Houthis, qui possèdent des missiles balistiques, des missiles de croisière et des drones pouvant théoriquement traverser les 1 600 kilomètres séparant le sud de la péninsule arabique d’Israël, ont revendiqué la responsabilité de plusieurs attaques de drones et de missiles depuis le Yémen.
Et ce, alors que les échanges de tirs entre le Hezbollah et l’armée libanaise se poursuivent depuis le début de la guerre. Or, le Hezbollah est une force beaucoup puissante que le Hamas. Il compte parmi les acteurs non étatiques les plus compétents à l’heure actuelle et serait mieux entraîné et équipé que certaines armées régulières de la région. Lors de leur dernière guerre importante contre Israël en 2006, sa puissance de feu et sa discipline militaire en ont surpris plus d’un.
A cela s’ajoutent les fronts syrien et iraqien, où des bases américaines ont été ciblées à plusieurs reprises en représailles au soutien de Washington à Israël. La semaine dernière, les Etats-Unis ont lancé des frappes en Syrie contre deux sites liés à l’Iran « en réponse aux attaques continues contre le personnel américain en Iraq et en Syrie », a déclaré le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin. C’est la troisième fois en moins de trois semaines que l’armée américaine prend pour cible des sites en Syrie qu’elle dit liés à l’Iran. Ces attaques illustrent le difficile exercice d’équilibriste auquel les Etats-Unis s’adonnent pour protéger leurs intérêts dans la région, sans pour autant contribuer à envenimer encore davantage la guerre entre Israël et le Hamas, qui menace de se transformer en affrontement régional.
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