A Gaza, Israël a emporté environ 11 000 vies palestiniennes, et en Jordanie, des talents de 25 jeunes artistes originaires de 10 pays arabes transcendent les frontières du genre, tissant une narration d’espoir et d’unité qui se dresse comme un témoignage de la résilience inébranlable du peuple palestinien, dans « Rajieen » (nous retournerons), un chef-d’oeuvre musical de 8 minutes.
Vêtus de noir et du keffieh palestinien, chaque artiste délivre des couplets compacts détaillant les multiples facettes de la lutte palestinienne pour l’indépendance, créant une sorte de chanson-documentaire.
Au son obsédant d’un piano, une voix tourmentée brise le silence. « Avons-nous oublié que je suis dans ma terre, et c’est mon pays, et dans mon pays, je suis emprisonné ? », ces quatre premières lignes servent de prélude poignant, encapsulant l’essence de la cause palestinienne. Chaque mot peint une fresque vivante de la quête de liberté face à l’occupation israélienne. « Tout ce que nous avons demandé, c’est la liberté de vivre, mais tout ce que nous avons en retour, c’est la mort et le déplacement », résonne le cri collectif pour la justice.
Les paroles s’étendent au-delà, réfléchissant sur le silence international et l’oppression des voix appelant à un cessez-le-feu, et s’opposant aux meurtres d’enfants par Israël, « même un mot prononcé n’est pas autorisé. C’est une prison de frontières et d’expression réduite au silence ».
La chanson réunit 6 stars d’Egypte, dont les rappeurs Marwan Moussa, Afroto, Marwan Pablo, aux côtés de Dina El-Wedidi, Amir Eid et Donia Wael. Elle met également en vedette des artistes palestiniens, tels que Dana Salah, Saif Shroof, Issam AlNajjar, Wessam Qutob, Omar Rammal et Zeyne. La collaboration s’étend pour inclure Fouad Gritli de Libye, Dafencii du Soudan, Vortex du Koweït, ainsi que Balti, ALA, Nordo de Tunisie, l’artiste marocain Small X, le duo yéménite AlYound et Randar, et les Saoudiens-Emiratis Ghaliaa Chaker et Alakhras (connu sous le nom de A5rass), Saif Safadi et Saif Batayneh de Jordanie.
Les genres musicaux intimement tissés dans Rajieen se déplacent sans heurt entre le hip-hop, le rap, les rythmes arabes, créant un paysage sonore qui reflète la diversité des artistes impliqués. « La musique était initialement plus axée sur le rap et reposait sur l’idée de ne pas utiliser de rythmes occidentaux, surtout dans les percussions. Ainsi, nous trouvons un mélange de musique orientale Maqsoum, de musique de mariage et de mélodies des pays du Levant qui expriment les émotions actuelles nées de la guerre en cours », explique le rappeur Marwan Moussa.
Un projet collectif
L’idée est née en Jordanie. « On nous a demandé, à moi et Afroto, de nous joindre à eux. Chacun de nos connaissances a contacté un artiste. Nous avons rassemblé autant de personnes que possible. Certains sont venus en Jordanie, et d’autres ont enregistré leurs parties et les ont envoyées depuis leurs endroits respectifs. Certains ont écrit leurs propres paroles, il n’y avait pas d’écrivain de la chanson au sens propre », explique Moussa.
Le projet a été organisé par une équipe de créatifs, dont Nasir AlBashir, l’écrivain et acteur palestino-jordanien Hayat Abu Samra, le réalisateur libyen Ahmad Kwifiya et le cinéaste palestinien Omar Rammal, avec une production supplémentaire de Marwan Moussa et Amr Al Shomali.
Accompagnant cet opus musical, un récit visuel juxtapose la guerre actuelle à Gaza avec des images historiques de la barbarie israélienne, cherchant à combler le fossé de compréhension souvent perpétué par les médias occidentaux. Ce témoignage visuel qui peint la douleur, la résilience et l’espoir inébranlable a mené YouTube à imposer des restrictions de vue à la vidéo originale, pour soi-disant « scènes sensibles ». Les artistes ont répondu en publiant une nouvelle version, sans les scènes des tueries à Gaza, alors que toutes les recettes générées par la chanson seront versées au Palestine Children’s Relief Fund.
Toute une histoire
La collaboration de 25 artistes reflète des moments historiques où une voix arabe collective émergeait, transcendant leur division et différend pour une cause partagée. A l’époque nassérienne, des chansons telles que « Ma patrie bien-aimée, ma grande patrie » faisaient écho à un sentiment collectif d’unité arabe d’une époque révolue.
Vers la fin des années 1990 émergeait une autre chanson arabe collective, « Le Rêve arabe », qui touchait profondément les coeurs. A cette époque, Medhat Al-Adl, le parolier de la chanson, soulignait que le rêve arabe « n’est pas seulement un luxe, mais une nécessité de vie ». Rajieen fait écho à ce sentiment, offrant une manifestation contemporaine du rêve arabe, unissant des artistes pour une cause qui dépasse le succès individuel. « Nous sommes des personnalités publiques, nos voix sont actuellement entendues, et nous voulons aborder la question que le public doit désormais connaître », explique Moussa.
Pour la jeunesse du monde arabe qui, jusqu’à présent, était moins engagée dans la cause palestinienne, peut-être totalement ignorante de ses racines et de sa lutte continue, sur fond d’accords de normalisation avec Israël, cette récente guerre a changé la donne. La cause palestinienne est devenue une préoccupation constante et brûlante, et la chanson résonne avec l’ampleur de la souffrance vécue par le peuple palestinien, capturant la mort d’innocents en direct sur les télés et réseaux sociaux.
Les paroles dressent un tableau vivant de cette endurance. « Nos familles à Gaza sont aujourd’hui sujettes à l’extermination. Le Palestinien est condamné à mort depuis sa naissance ! ». La chanson établit également une comparaison entre les « double standards » de la communauté internationale face à la situation en Palestine par rapport à celle en Ukraine. « Désolé de ne pas être d’Ukraine. Désolé que ma peau ne soit pas blanche. Désolé pour mes enfants, de vous avoir amenés dans un monde si hypocrite et injuste », disent les paroles. Ou encore : « Mais la clé de ma maison reste dans mon coeur, et je retourne avec mes enfants dans mes bras. Même si le monde entier est contre moi, je retourne, ô mon pays ». Alors que la chanson approche de son apogée, les paroles tissent un dernier récit de résilience, « Si ma voix chancelle, vos voix porteront ! ».
Quelques jours plus tard, un autre manifeste musical voit le jour, porté par la voix d’Al-Ganainy, un pseudonyme artistique du rappeur Omar Ahmed Zaghloul. Dans sa récente chanson « Terre de Canaan. De Jéricho à l’est de Jérusalem vers le monde ». Une chanson qui semble être une brève leçon d’histoire et de géographie sur la Palestine où il mentionne les noms originaux en arabe des villes et villages en Palestine, rappelle les chronologies, batailles, événements, guerres, personnalités et croyances liées à son histoire.
« L’histoire a commencé il y a longtemps, même avant Sam, fils de Noé, jusqu’à Abraham, c’est l’histoire de l’humanité ! Je pensais peut-être pouvoir transmettre une partie de la carte et des morceaux d’histoire à mes pairs, et donc sensibiliser même si ce n’est qu’une chanson ! Et je ne vais pas me taire », poursuit-il dans la musique rap égyptienne. Il remet lui aussi en question le récit occidental prédominant qui qualifie la résistance à l’occupation israélienne de terrorisme. « Il y a une différence entre la Résistance et le Terrorisme, tout comme il y a une différence entre le Sionisme et le Judaïsme ».
C’est une composition lyrique plus intellectuelle où, pour la première fois, des références à l’intellectuel, historien et écrivain égyptien Abdel-Wahab Al-Messiri et l’écrivain et critique littéraire palestino-américain Edward Saïd sont faites. Le public est même invité à rechercher sur Google le mot « Yeridah », un mot hébreu qui fait référence à l’émigration juive en Palestine.
Dans une note accompagnant la chanson, l’artiste exprime son désir de renforcer la compréhension du public à l’égard des concepts fondamentaux liés à la cause palestinienne. Il explique : « En raison de contraintes de temps et de rythme, ainsi que de l’incapacité à rimer, je n’ai pas inclus tous les villes et villages palestiniens. Cela ne sous-entend en aucun cas qu’ils ne sont pas palestiniens. J’ai intégré des termes de recherche qui vous guideront, si vous les explorez, vers une compréhension plus approfondie et une vision plus globale ».
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