Un mois d’horreur. Voilà un mois que l’humanité est bafouée à Gaza, devant le regard impuissant, parfois complaisant, du monde. Le nombre de victimes civiles a franchi cette semaine la barre des 10 000, dont près de la moitié sont des enfants, selon un dernier bilan du ministère de la Santé de Gaza, lundi 6 novembre. Un enfant est tué et deux sont blessés toutes les dix minutes, a lancé l’UNRWA lundi, alors que le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a reconnu le même jour que la bande de Gaza était devenue « un cimetière pour les enfants », plaidant une fois de plus pour un cessez-le-feu urgent. Mais le Conseil de sécurité s’est réuni une 5e fois lundi après-midi, sans résultat, en raison de divisions sur la façon d’appeler à une interruption de la guerre, entre « cessez-le-feu humanitaire », « trêve » ou « pause ».
Et alors que le choix des mots divise les grands de ce monde, les frappes aériennes « significatives » continuent de pleuvoir sur le ciel de Gaza, aux alentours des hôpitaux, dans les camps de réfugiés et dans les quartiers bondés de civils, alors qu’au sol, les combats font rage entre les soldats de l’armée israélienne et les combattants du Hamas. Depuis lundi 6 novembre, la bande de Gaza est coupée en deux, de l’aveu même de l’armée israélienne. « Il n’y aura pas de cessez-le-feu, de cessez-le-feu général, à Gaza, sans la libération de nos otages », a répété le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, lundi soir, dans un entretien télévisé avec ABC News, évoquant simplement de « petites pauses — une heure par-ci, une heure par-là — nous les avons déjà eues ».
Cette « mini-concession », Netanyahu l’a faite après de fortes pressions américaines. A peine pour « fournir aux civils des opportunités de quitter en sécurité les zones de combats, s’assurer que l’aide parvient aux civils dans le besoin et permettre la potentielle libération d’otages », selon un communiqué publié lundi par la Maison Blanche. Car la Maison Blanche elle-même s’est prononcée contre un cessez-le-feu, comme l’a dit le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, qui a effectué cette semaine une nouvelle tournée régionale. Un cessez-le-feu avantagerait, selon lui, le Hamas. Les Etats-Unis font donc pression sur Israël tant la situation humanitaire est catastrophique. Blinken s’est contenté de répéter « l’engagement des Etats-Unis pour la livraison d’une aide humanitaire vitale » à Gaza.
En effet, l’ampleur de l’atrocité est telle à Gaza que les directeurs des principales agences de l’Onu, dont l’Unicef, le Programme alimentaire mondial et l’Organisation mondiale de la santé, ont publié dimanche 5 novembre un rare communiqué commun pour exprimer leur indignation face au bilan des victimes civiles à Gaza et réclamer un « cessez-le-feu humanitaire immédiat » face « au choc et à l’horreur » suscités par « le nombre de vies perdues et ravagées ».
Guérilla urbaine
Le conflit semble donc s’inscrire dans la durée, du moins en comparaison avec les précédentes guerres ayant opposé Israël au Hamas. C’est ce que pense Salah Wahba, expert stratégique au Centre de la pensée et des études stratégiques (ECSS). « Israël insiste sur le fait de poursuivre ses opérations jusqu’à ce qu’il atteigne son objectif affiché : détruire le Hamas. Il a le soutien des Etats-Unis qui ont exclu un cessez-le-feu tant que cet objectif n’est pas atteint. Le Hamas lui aussi s’y prépare et il l’a dit, des milliers de combattants peuvent vivre pendant des mois dans les tunnels de Gaza et ils sont prêts à une guérilla dans les régions urbaines », affirme Wahba, qui estime qu’Israël optera pour des opérations terrestres progressives parallèlement aux raids aériens.
Dans la période à venir donc, « ce sera des combats au sol, du face-à-face. Les combattants du Hamas vont tendre des pièges aux soldats israéliens à partir des tunnels pour multiplier les pertes humaines dans l’armée israélienne. De son côté, l’armée israélienne veut détruire au maximum à travers les frappes pour que les opérations terrestres soient plus efficaces. En parallèle, Israël oeuvre à déplacer la population vers le sud », explique Wahba. L’armée israélienne dit avoir frappé 2 500 cibles depuis le début des opérations terrestres, lancées il y a plus d’une semaine. Elle dit avoir progressé depuis le nord de l’enclave et depuis l’est et encerclé la ville de Gaza. C’est là que, selon les Israéliens, se trouve le plus gros des structures du Hamas, installées en grande partie sous terre.
Or, beaucoup d’inconnues demeurent au sujet de la durée de la guerre mais aussi de l’objectif affiché par Israël, à savoir détruire le Hamas. De nombreux observateurs s’accordent à dire qu’il s’agit tout simplement d’une mission impossible. « Ce n’est pas une mince affaire, le mouvement a 30 000 combattants actifs depuis un large réseau de tunnels du nord au sud. Les neutraliser tous est quasi impossible », estime Dr Mona Soliman, politologue. « Nous avons affaire à une évolution notable du Hamas, du point de vue tactique et militaire, par rapport à la dernière guerre à Gaza, qui remonte à 2014. Depuis, la branche armée du Hamas a pris le temps de se réarmer et de bien se préparer », affirme de son côté Wahba, ajoutant que c’est aussi la première fois qu’Israël fasse de l’anéantissement du Hamas son but ultime. Illusoire, répond le Hamas : « A ceux qui pensent que le Hamas va disparaître, le Hamas restera ancré dans la conscience (...) de notre peuple, et aucune force sur terre ne pourra l’anéantir ou le marginaliser », a déclaré le chef du mouvement au Liban, Oussama Hamdane, dans une conférence de presse, lundi, à Beyrouth.
Les inconnues de l’après-guerre
En effet, pendant que la guerre continue de faire rage, les discussions sur le « jour d’après » se poursuivent sans relâche dans les coulisses, mais aussi ouvertement. Pour la première fois depuis le début de l’offensive israélienne, Netanyahu a déclaré dans son interview avec ABC News que son pays aurait la « responsabilité globale de la sécurité » de la bande de Gaza pour une durée indéterminée, une fois que la guerre aurait pris fin.
Une déclaration qui équivaut à une intention d’une réoccupation pure et simple de la bande de Gaza, dont Israël s’est retiré en 2015. Pourtant, dans sa tournée, le secrétaire d’Etat américain semblait aller dans un autre sens. Blinken a évoqué avec le président de l’Autorité Palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, un éventuel futur contrôle de la bande de Gaza par l’AP. Une option que Abbas lie à un « règlement politique » englobant aussi la Cisjordanie et Jérusalem-Est occupées, mais que le Hamas rejette. Le mouvement a condamné « les déclarations choquantes du président Abbas » en faveur de la coordination sécuritaire avec Israël. « Notre peuple ne permettra pas aux Etats-Unis d’imposer ses plans visant à créer une administration qui lui convienne et qui convienne à l’occupation, et notre peuple n’acceptera pas de nouveau gouvernement de Vichy », a lancé Oussama Hamdane, en référence au régime collaborationniste français sous l’occupation nazie, lors de la Seconde Guerre mondiale.
Quel sera donc l’avenir de la bande de Gaza après la fin de la guerre ? « Plusieurs options sont sur la table, celle d’une administration de l’Autorité palestinienne, celle d’une force internationale. Mais rien ne peut être fait sans un accord avec le Hamas », explique Mona Soliman. Autrement dit, la situation va dégénérer encore plus.
D’ores et déjà, la tension est palpable à la frontière israélo-libanaise, alors que le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a indiqué que toutes les options restaient ouvertes et que d’autres fronts restaient tendus, notamment avec la multiplication des attaques visant les bases où sont déployées des troupes américaines en Iraq. D’où la visite de Blinken à Bagdad dans le cadre d’une stratégie visant à neutraliser tous les groupes armés de la région proches de l’Iran, dont les groupes iraqiens et yéménites. Et d’où, peut-être, l’annonce américaine d’un sous-marin nucléaire au Moyen-Orient, après le déploiement de deux porte-avions en Méditerranée orientale.
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