Par Manar Attiya, Al-Arich
Nada Al-Hagrassy
« Nous sommes prêts à sacrifier des millions de vies pour le Sinaï … Nous ne permettrons qu’aucune question régionale soit réglée au détriment du territoire égyptien … L’Egypte ne permettra jamais qu’on lui impose quoi que ce soit ». C’est avec ces mots que le premier ministre, Moustapha Madbouli, a commencé son discours lors d’une conférence de presse organisée dans la résidence d’Al-Katiba 101, le 31 octobre dans le Sinaï, avant d’annoncer le début de la deuxième phase de développement du Nord-Sinaï avec un budget de 363 milliards de L.E. « Ce sont les habitants du Nord-Sinaï qui ont la priorité de mettre en oeuvre les projets de développement et de reconstruction, alors que le rôle de l’Etat se limite à organiser le financement et à assurer la logistique nécessaire », a ajouté Madbouli.
Accompagné de plusieurs ministres, de membres du parlement et du chef de l’Union des tribus du Nord-Sinaï, le premier ministre s’est rendu ensuite au poste-frontière de Rafah reliant le nord du Sinaï à Gaza, avant de commencer sa tournée d’inspection de certains projets mis en oeuvre dans la péninsule.
Cette visite, qui intervient en pleine guerre à Gaza, transmet plusieurs messages aussi bien politiques qu’économiques. Il s’agit, essentiellement, de montrer l’étendue de l’alignement populaire sur la position officielle de l’Egypte, qui a déclaré maintes fois son rejet catégorique du plan israélien de déplacer la population de Gaza vers le Sinaï, afin de préserver l’unité des territoires égyptiens et préserver en même temps la cause palestinienne. En effet, la péninsule du Sinaï est considérée comme la première ligne de défense dans l’équation de la sécurité nationale égyptienne. Et c’est en raison de cette position géostratégique que la péninsule a connu de nombreux tournants au cours de l’histoire moderne de l’Egypte, de la défaite de juin 1967 à la victoire du 6 Octobre, en passant par la bataille politique pour la récupération intégrale de son territoire et l’éradication du terrorisme grâce à l’opération militaire globale « Sinaï 2018 ».
Mettre en échec le plan israélien
« Les démarches de l’Egypte sur les plans interne et externe visent à mettre en échec le plan israélien et les tentatives israéliennes de construire un nouvel Etat pour les Palestiniens loin de leurs frontières d’origine aux dépens des pays voisins, notamment l’Egypte et la Jordanie. Et ce, en appliquant la politique de la terre brûlée, afin de forcer la population du nord de Gaza à se déplacer vers le sud », explique Rahma Hassan, chercheuse au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS). Et d’ajouter : « Tout exode de la bande de Gaza vers les deux côtés de la frontière, que ce soit vers le Sinaï égyptien ou la Jordanie, entraînera le transfert du conflit vers ces pays. Si les factions de la résistance palestinienne mènent une fois des opérations contre Israël depuis le territoire égyptien, cette affaire menacera sans doute l’accord de paix égypto-israélien ». Selon la spécialiste, le fait de vider la Cisjordanie de ses habitants pour les transférer vers la Jordanie et transférer les habitants de la bande de Gaza au Sinaï vise également à liquider complètement la cause palestinienne de son contenu et à effacer l’identité palestinienne. « Israël, par cet appel à l’évacuation, vise à éliminer le principe de la solution à deux Etats fondé sur l’équité et la justice pour réaliser son objectif le plus large de judaïser la terre palestinienne », explique Rahma Hassan. Elle souligne que pour faire face à ce plan sioniste, l’Egypte multiplie les efforts en vue de créer une opinion publique régionale et mondiale favorable au droit des Palestiniens d’établir leur Etat indépendant conformément au principe de la solution à deux Etats.
Renforcer le développement
La visite du premier ministre porte un message très clair : ce sont les habitants autochtones de la péninsule qui doivent orchestrer son développement. Accompagné d’hommes d’affaires sinaouis, le premier ministre a annoncé le lancement de nouveaux projets de développement dans la péninsule. En effet, au cours des 10 dernières années, les projets de développement poussent comme des champignons dans la péninsule, changeant de fond en comble le paysage sinaoui.
Selon Mohamed Mansour, expert des affaires régionales au ECSS, l’Etat a choisi, dès le départ, l’option la plus difficile qui est de mener deux batailles en parallèle : éradiquer le terrorisme et renforcer le développement de la péninsule après de longues années d’isolement. Pour réaliser cet objectif, l’Etat a alloué un budget de 600 milliards de L.E. à 994 projets de développement, dont la majorité a été achevée. « L’étape actuelle témoigne de la poursuite de la stratégie nationale de développement intégral de la péninsule du Sinaï, qui nécessite la coopération et la coordination entre toutes les instances publiques concernées, en plus du secteur privé, pour entamer une nouvelle ère de développement », affirme Mansour. Les principaux axes sur lesquels repose la stratégie de développement sont liés à la modernisation des infrastructures, l’intégration de la péninsule dans le développement économique du pays et l’exploitation des ressources, afin de placer la péninsule parmi les zones les plus attrayantes pour les investissements et le tourisme. La modernisation du réseau routier figure au coeur de la stratégie de développement du Sinaï, afin de relier la péninsule au reste du pays. 6 tunnels et 5 ponts flottants ont été créés depuis 2014 pour relier la péninsule au reste des gouvernorats, promouvoir les investissements dans la zone économique du Canal de Suez et améliorer les chaînes d’approvisionnement à destination et en provenance de l’Egypte.
La diversification des ressources en eau constitue un autre facteur-clé pour le développement du Sinaï. 20 stations de dessalement d’eau de mer ont été mises en place afin de fournir l’eau d’irrigation, dont la plus importante est celle de Bahr Al-Baqar, qui pourrait contribuer à la bonification de 400 000 feddans. Le développement industriel se taille la part du lion des investissements destinés au développement du Sinaï. Parmi les zones industrielles les plus importantes, on peut citer Bir Al-Abd à Al-Massaïd et Qantara Charq. Autre volet : la création d’une dizaine d’agglomérations agricoles et urbaines, équipées de tous les services, au nord comme au sud du Sinaï pour réinstaller les bédouins et créer un nouvel environnement socioéconomique.
Lien court: