Des secouristes se battent désespérément pour ranimer un enfant inerte, tandis que des médecins se penchent sur un homme blessé gisant au sol de l’hôpital Al-Kuwaiti à Rafah. Une autre vidéo montre une femme inconsolable, serrant contre elle le corps sans vie d’un enfant enveloppé dans un drap blanc.
Environ 100 Palestiniens, dont des enfants, ont été tués lors de frappes aériennes et de bombardements israéliens extrêmement intenses qui ont frappé plusieurs endroits de cette pauvre région de Gaza dans la nuit de lundi, alors que l’inquiétude internationale retentit face à l’offensive terrestre imminente d’Israël. Rafah subit des attaques aériennes israéliennes depuis des mois, mais lundi était l’une des pires nuits. Ce bombardement a accru les craintes qu’une campagne terrestre israélienne anticipée ne se traduise par un bain de sang, les personnes piégées dans la ville surpeuplée n’ayant aucun moyen d’échapper.
Les Palestiniens redoutent que ce qui s’est passé à Gaza City, où des rapports font état de destruction totale et où les gens mangent de l’herbe et boivent de l’eau de mer, ne se reproduise à Rafah. Même à Khan Younès, où l’armée israélienne a contraint un grand nombre de civils à fuir au début de la guerre, la dévastation est décrite comme étant au-delà de l’imagination.
Plus de la moitié de la population de Gaza, soit 1,4 million de personnes, est maintenant entassée dans la ville à la frontière avec l’Egypte, alors que cette zone ne comptait que 250 000 habitants avant le début de la guerre en octobre. Des images satellites ont montré, la semaine dernière, comment une ville de tentes à Rafah a grossi en quelques semaines, alors que de plus en plus de Palestiniens convergent vers la zone pour échapper aux attaques israéliennes.
Lors d’un appel avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, dimanche, le président américain, Joe Biden, a « réaffirmé » sa position selon laquelle l’armée israélienne ne devrait pas poursuivre l’opération militaire à Rafah « sans un plan crédible et exécutoire » pour garantir la sécurité des civils, selon un communiqué de la Maison Blanche.
Biden a exprimé, déjà, certaines rares critiques à l’égard d’Israël, affirmant que les actions de son armée étaient « exagérées ». Il aurait aussi exprimé en privé sa frustration à l’égard de Netanyahu, le qualifiant de « connard ». Un certain nombre de pays et d’organisations internationales ont aussi mis en garde Israël contre le lancement de cette attaque. Mais Netanyahu a rejeté les critiques, affirmant que dire à Israël de ne pas entrer dans la ville « était comme lui dire de perdre la guerre », insistant sur le fait que les Palestiniens à Rafah devraient être évacués. La question la plus imminente dans l’esprit de tous est de savoir où peuvent aller les Palestiniens. Dans le Sinaï, disent les Israéliens.
L’Egypte prête à tous les scénarios
L’Egypte, qui a également affiché son rejet de toute offensive israélienne à Rafah, a mis en garde contre ses conséquences désastreuses. Le Caire a cependant déclaré être « prêt pour tous les scénarios », selon des sources officielles, qui ne cachent pas la tension montante avec Tel-Aviv.
Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, a tenté de désamorcer les rumeurs d’une possible rupture du traité de paix historique liant l’Egypte à Israël. S’il a bien reconnu la réciprocité comme condition sine qua non du maintien de l’accord, il a fermement démenti les informations, colportées par des sources non officielles, évoquant une suspension en réaction à la guerre à Gaza. Shoukry a tenu même à souligner la solidité des relations avec Israël, « bâties sur quatre décennies de respect mutuel de ce traité fondateur » malgré des informations circulant ces derniers jours selon lesquelles l’accord pourra être en danger si l’armée israélienne poursuit une offensive sur Rafah.
« Il y a un accord de paix entre l’Egypte et Israël, en vigueur depuis 40 ans et qui le reste », a déclaré Shoukry lors d’un voyage à Ljubljana, tout en critiquant le comportement d’Israël dans la guerre et réitérant l’opposition de l’Egypte au déplacement potentiel de Palestiniens dans le Sinaï. Ce traité égypto-israélien limite le nombre de troupes des deux côtés de leur frontière, bien que les deux pays aient convenu dans le passé de modifier ces arrangements en réponse à des menaces spécifiques pour la sécurité. Cela a permis à Israël de concentrer son armée sur d’autres menaces. Si l’Egypte devait suspendre cet accord, cela signifierait qu’Israël ne pourrait plus compter sur sa frontière sud pour rester calme et devrait renforcer sa présence militaire là-bas, étirant encore ses ressources, estime Abdel-Gawad, chercheur au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques.
L’afflux de Palestiniens dans la péninsule du Sinaï peu peuplée compromettrait également la sécurité nationale de l’Egypte, ceci est d’ailleurs l’esprit de l’accord loin des clauses spécifiques. Le texte stipule sans équivoque qu’aucune partie ne devrait compromettre la sécurité de l’autre, ajoute-t-il. Et Israël agit en ce moment à l’encontre de la sécurité de l’Egypte, et c’est une première depuis la signature de l’accord, dit Abdel-Gawad.
Le WSJ, l’agence de presse AP et la chaîne de télévision Al-Arabiya avaient fait état, citant des sources égyptiennes anonymes, d’une menace de suspension du traité, sur fond de craintes d’un afflux dans le Sinaï. Selon Abdel-Gawad et une autre source qui a parlé à l’Hebdo sous couvert de l’anonymat, ces derniers jours ont été marqués par des tensions accrues entre Le Caire et Tel-Aviv. Déjà, le président égyptien n’a pas eu de contacts avec Netanyahu depuis le début de la guerre, et même si Le Caire mène une médiation pour une trêve, « les relations se sont détériorées et les contacts politiques et militaires sont à leur plus bas niveau », précise le politologue. « Les relations se déroulent en ce moment à travers les canaux des renseignements uniquement », précise-t-il.
De hauts fonctionnaires du service de renseignement du Mossad, de l’agence de sécurité intérieure Shin Bet, sont en contact avec leurs homologues égyptiens pour apaiser leurs craintes. Une délégation israélienne, comprenant le chef du Mossad, David Barnea, le directeur du Shin Bet, Ronen Bar, et le général Nitzan Alon, qui dirige les efforts de l’armée israélienne pour retrouver les captifs, assiste également aux réunions. Le directeur de la CIA, William Burns, sera au Caire cette semaine pour diriger une nouvelle tentative des Etats-Unis, de l’Egypte et du Qatar, pour conclure un plan acceptable par Israël et le Hamas pour mettre fin à leur guerre à Gaza et parvenir à un échange des détenus.
Le site d’information américain Axios, citant des responsables américains et israéliens, a déclaré que Burns rencontrera le chef du renseignement égyptien, Abbas Kamel, et le premier ministre qatari, Mohammed bin Abdulrahman Al Thani. Le président américain, Joe Biden, a déclaré dans la nuit de lundi à mardi que son Administration travaille sur un accord qui mettrait fin aux combats à Gaza pendant au moins six semaines. « Une telle pause apporterait une période de calme immédiate et continue à Gaza pendant au moins six semaines, pendant laquelle nous pourrions ensuite prendre le temps de construire quelque chose de plus durable », a déclaré Biden qui venait de s’entretenir avec le roi Abdallah de Jordanie.
La semaine dernière, le Hamas a soumis une contre-proposition concernant un plan de cessez-le-feu qui avait été élaboré à Paris le mois dernier par les médiateurs américains, égyptiens et qataris. Le plan prévoyait un cadre pour un accord en trois phases comprenant un cessez-le-feu de six semaines et la libération d’un certain nombre de prisonniers palestiniens en échange de la libération de 35 à 40 Israéliens par le Hamas.
Selon la proposition du Hamas, toutes les femmes, les enfants, les personnes âgées et les malades palestiniens détenus dans les prisons israéliennes doivent être libérés, en plus de 1 500 prisonniers palestiniens hommes, dont 500 que le Hamas choisirait parmi une liste de personnes purgeant des peines de prison à vie ou à long terme. Ce plan s’étale sur trois phases d’une durée de 45 jours chacune.
Alors que Benyamin Netanyahu a rejeté les demandes du Hamas comme étant « illusoires », le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a déclaré qu’il restait encore une place pour des négociations en vue d’un accord final.
Selon des rapports du WSJ et le quotidien libanais Al-Akhbar, Israël, en revanche, propose la création de vastes villes de tentes à Gaza dans le cadre d’un plan d’évacuation « financé par les Etats-Unis et ses partenaires du Golfe arabe ». La proposition d’évacuation comprend la création de 12 à 15 regroupements appelés « villages de campement » pour les déplacés, chacun renfermant environ 25 000 tentes dans la partie le long d’une bande côtière s’étendant de la région d’Al-Mawasi (sud-ouest de la bande) à la région de Sheikh Ajleen (au nord de la ville de Gaza). Une séparation totale sera effectuée au nord de Gaza, depuis la région de Sheikh Ajleen jusqu’à la zone au nord de Wadi Gaza en direction de l’est.
Selon une source familière avec les négociations, le Hamas a indiqué aux médiateurs qu’il ne céderait pas sur ses demandes d’un cessez-le-feu permanent et d’un retrait complet d’Israël de Gaza, accompagné de garanties internationales. Même si un accord semble à l’horizon, une source arabe dit que la situation change à tout moment. Une source du Hamas a déclaré qu’une attaque contre Rafah signifierait l’écroulement des négociations en cours. Le but de l’opération du 7 octobre était de créer une situation de troubles régionaux mettant Israël sous pression et encourageant l’idée qu’il n’y aura pas de paix dans la région tant que la question palestinienne n’est pas résolue. En cas de pression extrême et selon le plan israélien, Rafah est la dernière étape de la guerre, et les actions désespérées pourraient inciter n’importe quelle partie à pousser les habitants vers le Sinaï.
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