La guerre d’usure : La route vers la victoire
La guerre d’usure, comme l’appelait Nasser, ou la guerre des 1 000 jours, comme l’appelaient les Israéliens, est la guerre qu’ont menée les Egyptiens dès le 5e jour de la défaite de juin 1967 pour restaurer leur dignité et détruire l’image du combattant israélien et le mythe de l’armée invincible. Les premières batailles de la guerre d’usure sont celles de Ras Al-Ech, les 1er et 2 juillet 1967, et du sud de Port-Fouad le 8 juillet qu’Israël a perdu dans sa tentative d’achever l’occupation de l’est de Port-Saïd en s’emparant de Port-Fouad. Les 14 et 15 juillet 1967, l’Egypte a mené des raids audacieux contre les forces israéliennes dans le Sinaï, infligeant à l’ennemi de lourdes pertes. Cependant, la destruction des lignes de chars israéliens le 20 septembre 1967 a été l’un des événements les plus importants de la guerre d’usure. En effet, les forces d’artillerie ont mené une offensive à l’est d’Ismaïliya et ont réussi à détruire 9 chars, deux véhicules radio et un lance-roquettes, faisant 25 morts et 300 blessés, dont deux grands officiers.
Mais l’événement le plus célèbre de la guerre d’usure a eu lieu le 21 octobre 1967, quand les hommes-grenouilles égyptiens, avec le soutien des bateaux lance-missiles de la marine égyptienne, ont réussi à couler le destroyer israélien Ilat au nord-est de Port-Saïd, causant de lourdes pertes dans les rangs de l’ennemi. Cet incident a changé les notions maritimes. La guerre s’est prolongée tout au long des années 1968, 1969 et 1970. Vers la mi-1970, les Etats- Unis ont constaté que la poursuite de la guerre ne servait ni leurs intérêts, ni ceux d’Israël ; ils ont donc présenté l’initiative Rogers, qui stipulait : « Les parties en conflit au Moyen-Orient déclarent et appliquent un cessez-le-feu limité pour une période de 90 jours ». Au cours de cette période, l’ambassadeur Gunnar Jarring s’active à la mise en oeuvre de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, en particulier en ce qui concerne « la conclusion d’un accord de paix juste et durable, fondé sur la reconnaissance mutuelle, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique, ainsi que le retrait des forces israéliennes des territoires occupés lors de la bataille de 1967 ». Sous cette forme, l’initiative découlait de l’esprit de la résolution 242 du Conseil de sécurité, et l’Egypte l’a acceptée pour donner aux forces armées l’occasion de restaurer leur efficacité au combat, après une guerre continue qui a duré près de 1 000 jours, alors qu’Israël y a vu une occasion de sortir de sa crise, d’arrêter les pertes humaines et de restaurer l’efficacité de la ligne Bar Lev. Les parties ont accepté l’initiative et un cessez-le-feu a été déclaré à partir du 8 août 1970.
La stratégie de diversion
L’Egypte a réussi à tromper l’ennemi en lui faisant croire qu’elle n’avait aucune intention de lancer une attaque pour récupérer ses terres. Parce que l’histoire militaire mondiale a prouvé que l’élément de surprise est la clé la plus importante de la victoire, un plan solide de tromperie stratégique a été exécuté auquel ont participé les différentes institutions de l’Etat auprès des forces armées.
Il s’agissait donc de resserrer le contrôle sur toutes les informations que reçoit l’ennemi pour qu’il reste convaincu qu’il n’y aura pas d’attaque proche. C’est ainsi que Sadate a montré au monde l’image que l’Egypte recherche des solutions pacifiques au lieu de penser à la guerre en mettant fin à la mission des experts soviétiques en juillet 1972. Il a également fait comprendre à tout le monde que l’Egypte acceptait l’état de « ni paix, ni guerre », après avoir déclaré à plus d’une reprise que cette année serait l’année décisive, mais en vain.
Par ailleurs, quand l’Egypte a importé un stock stratégique de blé pour satisfaire ses besoins en moment de guerre, les services de renseignement ont divulgué de fausses informations selon lesquelles les pluies avaient inondé les silos et avarié tout le blé, et quand elle a vidé les hôpitaux pour être prêts à recevoir les blessés de guerre, ils avaient répandu des nouvelles selon lesquelles ces hôpitaux étaient contaminés par un microbe.
Au niveau du front, faire diversion comprenait la publication d’une décision de démobilisation de 30 000 recrues, en juillet 1972, ainsi que de fausses informations selon lesquelles les forces égyptiennes mèneraient une large action militaire en mai 73, et d’autres que l’opération serait exécutée en août 1973. Le fait qui a poussé Israël à déclarer la mobilisation générale à deux reprises, sans que l’Egypte n’agisse nullement.
A l’approche de la guerre, la tromperie stratégique la plus importante a été l’annonce que les forces de l’armée égyptienne mèneraient un exercice général, similaire aux exercices annuels d’automne, du 1er au 7 octobre 1973, alors que les journaux égyptiens ont publié, le 3 octobre 1973, que les membres de l’armée pouvaient enregistrer leurs noms pour effectuer le petit pèlerinage prévu à partir du 9 octobre. En plus, dans la matinée du 6 octobre, les soldats égyptiens qui campaient sur la rive ouest du canal semblaient parfaitement détendus pour compléter le plan de tromperie stratégique face aux forces ennemies sur l’autre rive.
La traversée, une prouesse en 6 heures
Le 6 octobre, l’armée égyptienne a réussi à traverser le Canal de Suez pour atteindre le Sinaï, occupé par Israël depuis 1967, après avoir brisé la ligne Bar Lev, la ligne défensive la plus puissante de l’histoire moderne, que les militaires occidentaux croyaient indestructible si ce n’est par une bombe atomique. Cependant, les forces armées ont réussi à détruire cette ligne dès les premières heures de la guerre, déstabilisant l’équilibre de l’ennemi en moins de six heures. La guerre a commencé à 14h le 6 octobre 1973, lorsque plus de 200 avions de guerre égyptiens ont effectué un raid sur des cibles israéliennes sur la rive est du canal, volant à très basse altitude pour échapper aux radars israéliens. Le raid visait les aérodromes, les postes de commandement, les stations radar, les batteries de la défense aérienne, les rassemblements d’individus, les véhicules blindés, les chars, l’artillerie, les points fortifiés de la ligne Bar Lev, les raffineries de pétrole et les dépôts de munitions. Cinq minutes après le passage des avions, l’artillerie a commencé à bombarder intensivement les fortifications et les cibles israéliennes situées à l’est du canal en préparation du passage de l’infanterie. Les éléments du corps des ingénieurs et les forces de commandos ont avancé vers la rive est du canal pour fermer les tuyaux qui transportaient le liquide enflammé à la surface du canal. A 14h20 exactement, l’artillerie à fort trafic a cessé de bombarder le plan frontal de la ligne Bar Lev et a déplacé son feu à la profondeur, alors que l’artillerie de ligne plate tirait directement sur les positions de la ligne Bar Lev pour sécuriser le passage de l’infanterie.
A 18h30, 2 000 officiers et 30 000 soldats de 5 divisions d’infanterie avaient traversé le canal et gardé 5 têtes-de-pont, alors que le corps des ingénieurs continuait d’ouvrir des brèches dans la berme pour achever le passage des chars et des véhicules terrestres, à l’exception d’une brigade amphibie composée de 20 chars amphibies et de 80 véhicules amphibies qui ont traversé à travers les lacs amers dans le secteur de la troisième armée et commencé à traiter avec les forces israéliennes. A 20h30, la construction du premier pont lourd était terminée et à 22h30 la construction de 7 ponts. C’est alors que les chars et les armes lourdes ont commencé à traverser le Canal en utilisant les sept ponts et 31 ferries.
C’est grâce à la guerre du 6 Octobre que l’Egypte a pu restituer le Canal de Suez en juin 1975. Une victoire qui a abouti à la conclusion de l’accord de Camp David entre l’Egypte et Israël en septembre 1978, puis le Traité de paix entre les deux pays en mars 1979, pour que l’Egypte retrouve sa pleine souveraineté sur le Sinaï et le Canal de Suez le 25 avril 1982, à l’exception de Taba, qui a été libérée grâce à l’arbitrage international le 19 mars 1989.
Le choix du jour J
Le choix du jour et de l’heure de cette victoire n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat de longues heures d’études. Le héros de cette épopée est le général d’état-major Salah Fahmy Nahla, chef de la branche de planification de l’Autorité des opérations des forces armées. Chargé par le général Al-Gamassy, le général Nahla a commencé par étudier les conditions météorologiques dans la région, les tables des marées et la vitesse du flux du Canal de Suez, la géographie de tout le Sinaï qui sera le théâtre de la bataille, puis le temps qu’il faut pour les forces égyptiennes pour traverser le canal et, en retour, le temps qu’il faut à Israël pour effectuer la première réaction. L’étude de tous ces facteurs a déterminé que le meilleur jour était le 6 octobre. Israël était en période pré-électorale et le 6 octobre coïncidait aussi avec Yom Kippour, qui est un jour férié pour les juifs, la radio ne pouvait donc pas être utilisée pour faire appel aux réserves. Cette date était également propice aux Syriens, avant l’arrivée de l’hiver et de la neige dans le Golan. De plus, octobre coïncidait à l’époque avec le mois de Ramadan. Par conséquent, Israël ne pouvait pas s’attendre à une offensive en ce mois de jeûne.
Selon les calculs du général Nahla, la traversée du Canal devait prendre près de 8 heures, alors que la première réaction israélienne ne devait pas survenir avant 6 heures, jusqu’à ce que le gouvernement israélien se réunisse et prenne la décision de guerre. C’est ainsi que l’heure zéro a été fixée à 14h, de sorte que l’opération militaire égyptienne se termine à la fin de la journée, qu’Israël soit incapable de riposter à la tombée de la nuit. De plus, ce n’est pas une heure conventionnelle pour débuter une offensive militaire, ce qui faisait partie du plan de tromperie stratégique et qui a eu un impact direct sur la réussite du plan égyptien et la victoire du 6 Octobre.
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