Comment était le marché pétrolier à la veille de la guerre d’Octobre ?
Un mix de raisons économiques et politiques maintenait les prix du brut très bas. L’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) a été créée en 1960 par 5 pays qui avaient récemment obtenu leur indépendance, après de longues années de colonisation par l’une ou l’autre des puissances occidentales. En 1969, le nombre des pays membres a augmenté à 10. Bien avant la naissance de l’OPEP, les grands pays industriels, consommateurs de brut, contrôlaient les prix, via leurs grandes entreprises pétrolières, baptisées les « Sept Soeurs », cumulant à elles seules les profits, tout en maintenant les prix du brut très bas. Ce cartel formait une holding complexe fondée sur l’intégration verticale, contrôlant indirectement les sociétés suivantes : Anglo-Iranian Oil Company (aujourd’hui BP). Gulf Oil (qui fera plus tard partie de Chevron), Royal Dutch Shell, Standard Oil Company of California (SoCal, maintenant Chevron), Standard Oil Company of New Jersey (Esso, plus tard Exxon, fait maintenant partie d’ExxonMobil), Standard Oil Company of New York (Socony, plus tard Mobil, fait désormais également partie d’ExxonMobil) et Texaco (fusionnée plus tard avec Chevron). Avant la crise pétrolière de 1973, les « Sept Soeurs » contrôlaient environ 85 % des réserves mondiales de pétrole.
Qu’est-ce que le choc pétrolier de 1973 ?
Le 16 octobre 1973, 10 jours après le déclenchement de la guerre du 6 Octobre, menée par l’Egypte et la Syrie pour récupérer les terres occupées par Israël depuis 1967, le comité ministériel des pays du Golfe arabe, membres de l’OPEP, a annoncé une augmentation instantanée des prix à 5,12 dollars le baril, contre moins de 2 dollars. En plus, ces pays arabes, principaux exportateurs mondiaux de pétrole, ont coupé la production par 5 %, puis en novembre par 20 %. En même temps, les pays arabes ont imposé un embargo sur l’exportation du brut vers les Etats-Unis et les Pays-Bas, principaux alliés d’Israël pendant la guerre. Ce choc, la crainte d’un manque brusque d’un produit indispensable à l’économie mondiale, a semé la panique, poussant davantage à la hausse du prix du brut. Depuis, les pays producteurs ont entamé une vague de nationalisation des entreprises pétrolières jusqu’alors gérées par les « Sept Soeurs ».
Quelles étaient les répercussions de ces décisions ?
Pour la première fois, l’OPEP émerge comme l’administrateur des cours pétroliers et prend en main les décisions concernant l’offre. Utiliser le pétrole comme une arme en 1973 a signifié que la sécurité de l’offre du pétrole est devenue pour la première fois un vrai souci. Un ancien haut responsable d’Eni, le géant pétrolier italien, qualifiait de « pétro-phobie » l’attitude des politiciens européens au lendemain des événements de 1973. Il en était de même aux Etats-Unis et au Japon. Par ailleurs, dans un contexte de hausse des prix des matières premières, l’OPEP a décidé d’augmenter davantage le prix de pétrole. Ce dernier a été multiplié par 7 entre 1973 et 1978, pour atteindre 13,54 dollars. En 1980, le baril se vendait à 35 dollars. A cette époque, l’organisation avait créé le Fonds de l’OPEP pour le développement international qui, parallèlement à la nationalisation des entreprises pétrolières, a lancé un processus de développement des pays membres.
L’OPEP n’a cependant pas réussi à maintenir son pouvoir sur le marché pour longtemps. Au début des années 1980, les cours pétroliers étaient à leur sommet en raison de l’inquiétude du marché envers la révolution en Iran (le second choc pétrolier). Puis les cours ont connu un choc inverse en 1981 et ont commencé à baisser. En 1985, l’OPEP commence à céder sur le contrôle des prix. En 1986, les cours baissent drastiquement avec un surplus de production couplé au ralentissement économique.
L’OPEP contrôle-t-elle vraiment le marché pétrolier ?
Robert Mabro, l’expert pétrolier égyptien qui a fondé l’Oxford Institute for Energy, notait que malgré les hausses consécutives des prix, les politiques de l’OPEP étaient mal jugées. Pour plusieurs analystes, ces hausses intervenaient après des années de baisse de la valeur réelle des prix pétroliers fixés par des accords injustes entre les pays producteurs et les géantes entreprises de pétrole. En plus, il y a presque 40 ans que l’OPEP ne fixe plus les prix. Celle-ci adopte plutôt un système de fixation d’un plafond de la production et des quotas pour les membres (que ceux-ci dépassent régulièrement). Cette approche ne sert qu’à « signaler » au marché le degré de satisfaction du groupe pétrolier vis-à-vis des prix. Ces derniers sont déterminés plutôt à partir d’une formule basée sur le brut de l’Occident sur le marché au comptant. Jahangir Amouzegar, ancien ministre iranien, note pour sa part que le « cartel » longuement accusé de malfaisance a fini par gérer les crises au lieu d’adopter une politique unifiée et cohérente. En plus, l’OPEP a échoué à maintenir son objectif principal d’assurer la stabilité des cours. Les grandes fluctuations lors des 50 dernières années en sont témoins : les cours ont chuté de 80 % durant la période 1980-1986, ont grimpé de plus de 400 % en 1987-1990, pour baisser à nouveau de 50 % avant de connaître une hausse record de 450 % en 2000-2008, puis se sont pliés de plus de 70 % jusqu’à février 2009. Les prix atteignent à nouveau un record en 2011-2012.
L’OPEP (13 membres) contrôle 30 % de la production mondiale et presque 40 % si l’on compte son rapprochement et sa coordination avec la Russie au sein de l’OPEP+. Or, malgré cette considérable part de marché, « le groupe d’exportateurs, longuement accusé de toute hausse des prix, a en effet connu une baisse des prix réels entre 1974 et 2003, si l’on compte l’inflation », souligne Amouzegar dans un article publié par le Middle East Institute. Et d’ajouter que les hausses des prix momentanées qui ont suivi cette période n’ont rien à voir avec le pouvoir présumé ou l’efficacité de l’OPEP. Avis partagé par Mabro, qui note que les hausses des prix étaient plutôt pour des raisons liées aux grandes puissances (la guerre contre l’Iraq, les multiples annonces d’embargo par les importateurs occidentaux contre l’Iran, la Russie, le Venezuela, etc.). Bref, 50 ans après le premier choc pétrolier, le scénario où l’OPEP reprend le contrôle du marché pétrolier est loin de se voir répété. Mais le pétrole demeure tout de même une arme, comme le témoigne la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine.
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