Dès les premiers jours du déclenchement de la crise soudanaise le 15 avril dernier, l’Egypte a déployé de grands efforts pour la résolution de la crise. Mais la complexité de la scène intérieure à cause du rejet de nombreuses initiatives régionales et africaines par les protagonistes du conflit a poussé Le Caire à appeler à la tenue d’un sommet, le 13 juillet, réunissant les pays voisins les plus touchés par le conflit : la Libye, l’Afrique centrale, le Tchad, l’Ethiopie, l’Erythrée et le Soudan du Sud. Objectif : élaborer une vision de « Consensus unifié » non teintée par des intérêts politiques ou par des préjugés régionaux.
La position constante de l’Egypte constitue à instaurer un cessez-le-feu durable, à sauvegarder la souveraineté du Soudan et son intégrité et à souligner la non-ingérence dans ses affaires intérieures. L’engagement positif du Caire a contribué à fournir des passages sûrs pour la sortie des réfugiés, tout en assurant en même temps le retour des ressortissants des autres communautés vers leurs pays. L’Egypte a accueilli plus de 250 000 réfugiés soudanais, soit 40 % du total des réfugiés.
Sur le plan politique, l’Egypte a mené une diplomatie active dès le début de la crise. Mi-juin, l’Egypte a accueilli Malik Agar, vice-président du Conseil de souveraineté soudanais, qui a effectué plusieurs navettes entre Le Caire, Moscou, Juba et Asmara.
Contexte compliqué
La tenue du sommet des pays voisins du Soudan était au niveau des chefs et des gouvernements des pays voisins en raison de l’importance géostratégique et géographique de ce pays. En effet, l’instabilité persistante au Soudan pose de nombreux défis économiques aux pays voisins. Les échanges commerciaux des pays voisins du Soudan, qui font partie d’un nombre d’accords commerciaux et de blocs économiques, ont été sévèrement affectés. En outre, le Soudan contrôle Port-Soudan, le débouché maritime des pays enclavés comme le Tchad, l’Afrique centrale et l’Ethiopie. Il est également la voie maritime pour l’exportation du pétrole du Soudan du Sud. Les menaces sécuritaires du conflit sur les pays voisins sont aussi énormes. En effet, il y a plus de 134 000 réfugiés érythréens qui ont fui le Tigré en novembre 2020 et se sont installés au Soudan dès le déclenchement de la guerre du Tigré. A cela s’ajoute l’augmentation de la fragilité sécuritaire des frontières entre le Soudan et les pays voisins à cause de l’escalade du conflit au Darfour et la fuite des réfugiés soudanais vers la ville d’Adré au Tchad.
Cet état de fait a affecté, à son tour, la situation sécuritaire de ces pays à la lumière des relations tribales et ethniques entre les tribus du Darfour et du Tchad, qui ont contribué à la création de nombreux conflits antérieurs comme le conflit sur les ressources, en particulier l’or et sa contrebande à travers des frontières fragiles des pays de la Corne de l’Afrique et les pays du Sahel et du Sahara, une région menacée en plus par le terrorisme. Au Soudan du Sud, les cendres de la guerre ne sont pas complètement éteintes depuis la séparation jusqu’à la signature de paix pour gérer les frontières, surtout la région frontalière d’Abiyé où se trouvent les forces de maintien de la paix. Quant à la Libye, elle craint que les Forces de Soutien Rapide (FSR) ne fuient vers le sud libyen, ce qui peut affecter le processus politique en Libye, notamment la réalisation de la décision du Comité militaire mixte 5+5 concernant la sortie de tous les groupes et mercenaires armés de la Libye.
Tous ces facteurs et bien d’autres expliquent la complexité des relations entre les pays voisins. Ce qui justifie l’importance de tenir les réunions du sommet des pays voisins du Soudan au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, afin d’assurer la mise en oeuvre des décisions prises lors du sommet, surtout que les autres initiatives régionales pour régler la crise restent toujours lettre morte. La dernière en date était celle issue des réunions du comité de l’IGAD tenues à la capitale éthiopienne Addis-Abeba le 10 juillet. Ces réunions furent boycottées par le gouvernement soudanais à cause de la présidence kényane des réunions du comité que les autorités soudanaises accusent de partialité en s’alignant sur les positions des FSR. Le gouvernement soudanais a également estimé que la feuille de route pour la résolution de la crise adoptée par l’Union africaine en mai dernier est une ingérence flagrante dans les affaires intérieures de l’Etat soudanais, à tel point que Malik Agar, vice-président du Conseil de souveraineté, l’a qualifiée d’« occupation ».
Par ailleurs, l’accord-cadre politique est l’une des raisons principales attisant la crise actuelle et empêchant toute forme de consensus. En plus, en dépit de l’engagement actif des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite dans les négociations de Djeddah, la violation des accords de cessez-le-feu et l’absence de passages sûrs pour l’aide humanitaire ont entravé l’aboutissement à une issue à la crise. Il s’agit également du refus quasi catégorique des deux parties de tenir des réunions directes, ce qui a abouti à l’effondrement de 11 accords de cessez-le-feu jusqu’à la suspension des négociations au début de juin dernier.
Quels résultats ?
Le sommet du Caire a défini 8 points principaux conformes à la vision ferme de l’Egypte, tout en rassemblant les interventions des participants pour le règlement de la crise soudanaise, ce qui fait d’elle l’initiative la plus consensuelle et complète par rapport aux précédentes. Les recommandations du sommet ont souligné que « le conflit actuel est une affaire intérieure soudanaise » et que « les ingérences prolongeront le conflit et entraveront les efforts visant à contenir son escalade ». C’est une vision que l’Egypte et la Ligue arabe partagent, afin d’éviter à tout prix la répétition des scénarios similaires qui ont eu lieu en Libye, au Yémen et en Syrie. D’ailleurs, la déclaration finale a également souligné la nécessité de créer des passages sûrs pour la fourniture de l’aide humanitaire et sanitaire, tout en garantissant la sécurité des travailleurs humanitaires. La participation des pays voisins à la déclaration finale pourrait contribuer à assurer l’arrivée de l’aide via d’autres passages que ceux menacés par le conflit, et donc garantir l’arrivée de l’aide humanitaire en toute sécurité. En ce qui concerne les promesses que la région a reçues des grandes puissances, la déclaration finale les appelle à respecter les engagements internationaux pris lors du sommet des donateurs humanitaires au Soudan tenu le 29 juin, afin de fournir une aide de 1,5 milliard de dollars de l’Union européenne, des Etats-Unis, des Nations-Unies, du Qatar et de l’Allemagne. Le sommet a également élaboré un plan procédural qu’est la création d’un mécanisme ministériel composé de leurs ministres des Affaires étrangères, afin de coordonner les efforts communs visant à résoudre le conflit actuel. La première réunion du mécanisme ministériel se tiendra à N’Djamena, au Tchad. Il est aussi question de créer un autre comité de communication pour trouver des moyens efficaces de résoudre la crise sur le terrain et de présenter les résultats au prochain sommet.
Bref, les résultats du sommet du Caire sont différents des initiatives précédentes en raison de l’unification des efforts internationaux et régionaux dans une initiative unifiée sans parti pris. Toutefois, cette initiative ne portera ses fruits qu’en cas d’engagement positif des deux protagonistes du conflit et dépend des garanties que le comité ministériel apportera aux deux parties. Pour ne pas revenir à la case départ.
*Chercheuse dans les affaires régionales au ECSS
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