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Les multiples visages de la faim

Aliaa Al-Korachi , Vendredi, 16 juin 2023

Le monde perd du terrain dans son combat contre la faim et la malnutrition. Sous l’effet des conflits, des chocs économiques et des conditions météorologiques extrêmes, la famine ne cesse de progresser. Explications.

Les multiples visages de la faim

L’insécurité alimentaire a atteint des niveaux sans précédent, tant en termes d’ampleur que de gravité. Une sonnette d’alarme tirée ces derniers jours par plusieurs organisations internationales. Du conflit armé au Soudan à la guerre en Ukraine en passant par les chocs économiques, les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire, la hausse des prix des matières premières et les conditions météorologiques extrêmes … Les raisons sont multiples, mais le résultat est toujours le même : la faim gagne du terrain dans le monde d’une façon dramatique. Et l’objectif d’atteindre la « faim zéro » d’ici 2030 (ODD2) reste lointain. Selon les estimations du Rapport mondial sur les crises alimentaires (GRFC) pour 2023, une personne meurt de faim dans le monde toutes les quatre secondes. En 2022, environ 258 millions de personnes dans 58 pays étaient confrontées à une insécurité alimentaire aiguë à un niveau de crise ou pire (phase 3-5 de l’IPC), contre 193 millions de personnes dans 53 pays en 2021 et 135 millions en 2019. Par ailleurs, les points chauds de la faim se multiplient. Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme Alimentaire Mondial (PAM), l’insécurité alimentaire aiguë risque d’augmenter dans 18 « foyers de famine » entre juin et novembre 2023. Selon le rapport, l’Afghanistan, le Nigeria, la Somalie, le Soudan du Sud et le Yémen sont les cinq pays dont les populations sont en phase de catastrophe (phase 5 de l’IPC). Tandis que Haïti, le Burkina Faso, le Mali et le Soudan ont été élevés au plus haut niveau de préoccupation.

Les piliers de la sécurité alimentaire

Comment définir la sécurité alimentaire ? C’est lors du Sommet mondial sur l’alimentation tenu à Rome en 1996 que les quatre composantes essentielles de la sécurité alimentaire ont été déterminées : « La disponibilité des produits alimentaires, la stabilité de l’approvisionnement, l’accessibilité physique et économique, ainsi que la consommation de denrées saines et suffisantes, nutritives et culturellement acceptables ». La question qui se pose alors est : vers où ira la crise qui touche actuellement la sécurité alimentaire dans le monde ? Et quelle est la situation dans la région arabe ? « Ces trois dernières années ont dévoilé la fragilité des systèmes de sécurité alimentaire mondiale. La faim est le résultat de facteurs interconnectés : conflits, chocs économiques et conditions météorologiques extrêmes. Ces trois crises mondiales se chevauchent à l’heure actuelle et se renforcent mutuellement », explique l’expert hydrique Nader Nour Eddine. Et d’ajouter : « La situation est critique dans la région arabe. Ce qui se passe au Soudan depuis plus de six semaines en est la plus grande preuve. Au cours de la dernière décennie, des combats internes se sont répétés dans beaucoup d’autres pays arabes comme en Libye, en Syrie et au Yémen. Ces pays souffrent maintenant d’insécurité alimentaire aiguë qui inclut à la fois les deux facteurs de la pauvreté et de la faim ». L’expert explique la différence entre le pauvre et l’affamé. Les pauvres peuvent être capables de gérer leurs besoins en calories à partir de sources végétales bon marché afin de vivre en bonne santé et de pouvoir travailler. Quant à l’affamé, il ne peut pas gérer ses besoins caloriques, même à partir de sources végétales bon marché, et donc sa vie est menacée, soit à cause de l’extrême pauvreté, soit à cause de son incapacité à l’accès à la nourriture, perdant ainsi deux piliers de la sécurité alimentaire, comme c’est le cas aujourd’hui au Soudan. « Les affrontements dans les rues soudanaises empêchent les gens de sortir de leur maison pour aller au supermarché. Et ce, au moment où le manque d’argent liquide complique la survie à cause de la fermeture des banques depuis le début de la crise. Ce qui a augmenté les prix des denrées alimentaires. Nous appelons ceci la faim cachée ou l’autre visage de la faim. La nourriture est disponible, mais à des prix qui dépassent la capacité des gens à l’acheter », souligne Nour Eddine.

La malnutrition progresse

Pire encore, les conflits empêchent parfois l’aide d’atteindre les personnes nécessiteuses. Le PAM vient d’annoncer que plus de 17 000 tonnes de nourriture destinées aux populations les plus affamées du pays ont été pillées. Ce qui pourrait aggraver davantage la situation de malnutrition des populations, notamment chez les enfants. En effet, dans la région arabe, la prévalence du retard de croissance, de 20,5 %, affecterait un enfant de moins de 5 ans sur 5.

60 % des enfants yéménites souffrent de retard de croissance, alors que 7 millions d’enfants au Soudan étaient déjà traités dans les hôpitaux pour malnutrition et retard de croissance avant le déclenchement du conflit. « Le nanisme est une maladie incurable. Nous attendons une prochaine génération de petite taille dont la capacité de travail sera inférieure à l’être humain normal », souligne l’expert.

Par ailleurs, les prix des denrées alimentaires ne cessent d’augmenter depuis le déclenchement de la crise russo-ukrainienne qui dure depuis plus d’un an. La tonne de blé est passée de 250 à 520 dollars. Cette forte augmentation des prix a affecté la région arabe, qui importe 65 % de ses besoins alimentaires à cause de la rareté de l’eau et du manque de terres arables. La région MENA compte 11 des 17 pays de la planète les plus exposés au stress hydrique, alors que 80 % de la superficie de la région arabe est désertique. Comment inverser la donne ? « Il faut discuter sérieusement de l’avenir de la sécurité alimentaire arabe et renforcer la solidarité et l’intégration entre les pays arabes, ainsi que le commerce intra-régional afin de réduire la facture des importations alimentaires », conclut Nour Eddine.

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