Al-Ahram Hebdo : 20 ans après la guerre, comment voyez-vous la situation en Iraq ?
Dr Ihsan Al-Shammari : Les défis internes en Iraq ont changé 20 ans après l’invasion américaine, que ce soit au niveau du pouvoir ou au niveau populaire. Au cours des dix premières années après 2003, la priorité était de mettre en place un nouveau système politique. Aujourd’hui, la priorité est de consolider ce processus. Au cours des 15 dernières années, les enjeux politiques et sécuritaires, ainsi que les frictions entre les sunnites et les chiites étaient la plus grande préoccupation des Iraqiens. Aujourd’hui, le défi économique s’impose avec force.
— Quels sont les principaux défis auxquels Bagdad est confronté sur les plans politique, économique et social ?
— Sur le plan politique, il y a une crise qui se rapporte à la gouvernance. Il existe un déséquilibre dans les rapports de force, surtout après les dernières élections et l’émergence d’une jeunesse qui veut réformer le système politique, restaurer la démocratie et corriger la déviation du pouvoir politique. Sur le plan économique, il y a une crise majeure qui a résulté de la mauvaise gestion de l’économie iraqienne, ce qui a donné lieu à une augmentation du chômage et à une pénurie de services et d’énergie. Le ministère iraqien de la Planification estime le nombre de chômeurs avoisinant les 4 millions. 27 % des Iraqiens vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit le tiers de la population iraqienne. Côté social : je pense que les choses vont mieux qu’en politique ou en économie, surtout que la société iraqienne a pu surmonter des années de frictions sectaires.
— Quels étaient les messages transmis par la récente visite du secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, à Bagdad ?
— La visite d’Austin a porté des indications sur l’avenir des relations entre les Etats-Unis et l’Iraq. Les Etats-Unis ont confirmé, par cette visite, qu’ils ne quitteraient pas le pays et que l’Iraq se trouve au sommet des priorités de l’Administration du président américain Joe Biden.
— Selon vous, quel est l’avenir de la présence américaine en Iraq ?
— A mon avis, même si les relations entre les Etats- Unis et l’Iraq ont connu une certaine froideur après le retrait en 2011, les Etats- Unis, 20 ans après, sont plus fermes sur la question de leur présence à l’intérieur de l’Iraq. En plus, le régime iraqien officiel ne veut pas réduire le niveau des relations avec les Etats-Unis, c’est pourquoi les relations entre les deux pays continuent. Les Etats- Unis ont mis fin à la politique d’hésitation et se sont tournés vers l’Iraq. Les récentes démarches américaines visent à empêcher l’expansion de l’influence de la Russie et de l’Iran dans la région. Le premier ministre iraqien traite la présence américaine comme étant un fait accompli. Sur ce point, il n’est pas du même avis que Adel Abdel-Mahdi, ancien premier ministre, qui considérait Washington comme un ennemi. L’ouverture sur Washington est, en fin de compte, un message ferme aux partisans de l’Iran en Iraq.
— L’accord saoudo-iranien aura-t-il un impact sur l’influence iranienne en Iraq ?
— L’accord saoudo-iranien représente un tournant majeur qui est en faveur de la stabilité de la région et sa croissance économique. Il redessine également les rapports de force au niveau des acteurs régionaux, mais aussi au niveau des limites d’influence. L’approche saoudienne est basée sur le principe des intérêts mutuels, le respect de la souveraineté et l’évolution des relations de manière équilibrée entre les pays de la région. Cette approche est cruciale. Les répercussions de cet accord sur l’Iraq seront de deux ordres, le premier est officiel, du fait que l’Iraq a contribué à cet accord, ce qui exige du décideur iraqien de repenser ses priorités, car il serait opportun d’investir l’accord pour favoriser le développement économique. En effet, pour réaliser cet objectif, il n’y a plus d’entraves. Il est nécessaire de réactiver les accords approuvés par le Conseil de coordination iraqo-saoudien.
Le secrétaire américain à la Défense, Llyod Austin, le 7 mars 2023 à Bagdad.
La deuxième lecture de cet accord concerne les puissances proches de l’Iran, qui doivent comprendre que les intérêts de l’Iraq doivent passer avant les loyautés politiques. L’alignement sur les intérêts de l’Iran est une erreur qu’il faut reconsidérer. Il y a un autre volet qui se rapporte aux alliés de l’Iran. L’accord saoudo-iranien peut aider à rétablir l’équilibre des forces en Iraq. En bref, cet accord est une occasion précieuse pour l’Iraq à tous les niveaux.
— L’Iraq peut-il s’intégrer économiquement dans la région arabe ?
— Je crois que l’Iraq, 20 ans après l’invasion, est à son meilleur niveau en termes d’ouverture aux pays arabes, car la classe politique s’est rendu compte après 2017 que le retour au giron arabe peut grandement contribuer à la stabilité de la situation interne. Après 2003, l’Iraq était considéré comme un Etat dépendant de l’Iran. Cette approche a changé après 2017, en raison de la volonté mutuelle de l’Iraq et des pays arabes. Cette ouverture a mené à une intégration de l’Iraq dans le monde arabe. Nous l’avons vu dans les relations croissantes entre l’Iraq et le Royaume d’Arabie saoudite, ainsi que dans l’alliance tripartite entre l’Iraq, l’Egypte et la Jordanie. Le peuple iraqien veut appartenir au monde arabe, il a joué un rôle dans la motivation des autorités à adopter une plus grande ouverture avec les frères arabes.
— Selon vous, quels sont les résultats de la dernière visite du premier ministre iraqien, Mohammed Chia Al-Soudani, au Caire ?
— La visite du premier ministre s’inscrit dans la continuité des accords précédents. Le gouvernement d’Al-Soudani veut poursuivre les efforts diplomatiques des gouvernements de Adel Abdel-Mahdi et d’Al-Kazimi. Ceci a ouvert la voie à une plus grande interaction avec l’Egypte et les pays africains. L’Egypte et l’Iraq ont intensifié leur coopération bilatérale ces dernières années et se sont lancés dans un certain nombre de projets de développement conjoints, notamment des projets d’interconnexion électrique, avec la Jordanie, dans le cadre de leur mécanisme de coopération tripartite. Les trois pays prévoient d’établir une zone logistique à la frontière iraqo-jordanienne pour aider à sécuriser les biens et les matières premières.
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