« Un enfant palestinien de 5 ans a déjà connu trois guerres. La vie d’un enfant et d’un père palestiniens se résume à survivre à une guerre et à attendre le prochain massacre. Etes-vous prêts à dire trop c’est trop ? », s’interroge Riyad Mansour, observateur permanent de l’Etat de Palestine, en s’adressant au Conseil de sécurité, réuni en urgence pour discuter de la situation à Gaza. Cette réunion intervient quelques heures après l’instauration d’un cessez-le-feu, négocié par l’Egypte et conclu après trois jours de confrontation entre le Djihad islamique et Israël. La bande de Gaza a été témoin d’une escalade soudaine de la violence, qui a causé la mort de 44 personnes, dont des femmes et des enfants, et a fait 311 blessés. Tout a commencé le 1er août, lorsque les forces israéliennes ont capturé, à Jénine, en Cisjordanie, Bassam Al-Saadi, haut responsable du Djihad islamique. Deux jours plus tard, l’opération « Aube naissante » a commencé par la liquidation, au moyen d’un drone, de Tayssir Al-Jaabari, responsable du secteur nord des Brigades d’Al-Qods. La contre-attaque du Djihad ne s’est pas faite attendre: en trois jours, le mouvement palestinien aurait tiré environ 1100 roquettes, alors qu’Israël a lancé 147 frappes aériennes contre des cibles à Gaza. Les efforts de l’Egypte, médiateur incontournable entre Israël et Gaza, se poursuivent. Lundi matin, deux délégations sécuritaires, égyptienne et onusienne, sont arrivées dans les Territoires palestiniens et en Israël, afin de stabiliser le cessez-le-feu dans la bande de Gaza. L’Egypte déploie actuellement des efforts pour libérer le prisonnier palestinien Khalil Awawdeh, détenu sans charges, à la santé vacillante après bientôt 150 jours de grève de la faim, et Bassam Al-Saadi, responsable du Djihad islamique en Cisjordanie occupée. Le lendemain du cessez-le-feu, la vie reprend lentement son cours à Gaza. La frontière entre la bande de Gaza et Israël a rouvert lundi, permettant à l’unique centrale électrique de l’enclave de redémarrer.
Les répercussions
Des interrogations se posent désormais sur les répercussions de l’opération israélienne dans la bande de Gaza et en Israël. En fait, depuis le retrait de la bande de Gaza en 2005, Israël a mené six opérations militaires contre l’enclave palestinienne (voir Chronologie page 4). Contrairement à toutes les opérations antérieures, cette offensive israélienne soudaine n’était pas une réponse à des opérations des deux mouvements palestiniens du Hamas et du Djihad. « La détermination apparente d’Israël de cibler le Djihad islamique s’explique par des considérations internes et d’autres régionales. En ce qui concerne les raisons internes, il s’agit de la situation actuelle du gouvernement en Israël. Celui-ci veut, à des fins électorales, réaliser des gains militaires rapides, afin d’inverser les dommages subis lors de l’opération Gardien des barrières l’année dernière », explique Mohamed Mansour, expert des affaires régionales au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS). Avis partagé par Mona Soliman, politologue, qui pense que pour les Israéliens, le premier ministre, Yaïr Lapid, est sorti de la confrontation avec le Djihad islamique en étant renforcé. « Le gouvernement israélien, qui s’apprête à organiser des élections générales en novembre, tente de mobiliser les voix, afin d’augmenter les chances de Lapid de remporter les prochaines élections, surtout que les questions sécuritaires se trouvent à la tête des priorités du citoyen israélien, en particulier dans les villes du sud et du centre qui sont exposées aux tirs de roquettes provenant de la bande de Gaza », explique la politologue.
Calculs internes
Dans la bande de Gaza, cette opération a révélé le fossé entre le Djihad et le Hamas qui est resté à l’écart des combats, explique Mona Soliman. « Provoquer des divergences entre les factions palestiniennes est un objectif fondamental de la politique israélienne, qui a réussi dans le passé à précipiter le Hamas et le Fatah dans une lutte d’influence à Gaza et en Cisjordanie », affirme-t-elle. Elle pense que le Hamas a changé de stratégie. Après quatre affrontements majeurs avec Israël au cours de la période 2008-2021, le Hamas a réalisé que les affrontements successifs avec Israël le mettaient dans l’incapacité de gouverner la bande de Gaza et lui faisaient perdre le soutien financier des parties régionales. En outre, les affrontements prolongés avec Israël ont privé de nombreux travailleurs palestiniens de se rendre en Israël pour travailler et gagner leur vie. La fermeture des passages frontaliers causait, elle, un dommage financier très important. Quant au Djihad, il poursuit les affrontements avec Israël, quel qu’en soit le coût pour le Hamas ou pour le peuple palestinien. Le chef du mouvement du Djihad islamique, Ziad Al-Nakhala, est allé jusqu’à critiquer le Hamas après la dernière guerre avec Israël en mai 2021, affirmant que « le Hamas n’a pas gagné cette guerre comme il le prétend ». Al-Nakhala a qualifié les relations du Hamas avec le monde de « vides et inutiles ». Selon Mona Soliman, Israël a peut-être voulu accroître la méfiance entre les deux organisations. Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a déclaré que « les opérations de l’armée se concentreront sur le Djihad islamique », tout en mettant en garde indirectement que la portée des opérations dépendra de la réponse du Hamas.
Un contexte régional en ébullition
Quant aux dimensions régionales, elles sont nombreuses. « Cette escalade à Gaza est étroitement liée au paysage régional. Soulignons notamment la reprise des négociations sur le programme nucléaire iranien, la visite du secrétaire général du Djihad islamique à Téhéran et les tensions relatives à la démarcation des frontières maritimes entre Israël et le Liban. Sans oublier qu’au cours des derniers mois, Tel-Aviv a changé sa stratégie d’affrontement avec l’Iran, adoptant des méthodes multiples au lieu de se limiter au front syrien », explique Mansour. Selon Mona Soliman, faire pression sur l’Iran, qui soutient le Djihad, a été l’une des raisons pour lesquelles Israël a lancé ces opérations militaires.
Face à tous ces enjeux, c’est le peuple palestinien qui paie le lourd tribut des frappes israéliennes sur Gaza. La trêve doit servir de prélude à un processus politique, seul moyen de parvenir à une paix durable. « Israël utilise les divisions interpalestiniennes et les contradictions internes comme une arme contre les Palestiniens. Si les divisions interpalestiniennes prennent fin, ce sera un début pour régler tous les problèmes », conclut Mona Soliman.
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