Selon le journaliste israélien Ronen Bergam, Israël aurait mené pas moins de 2 000 liquidations en 70 ans d’existence.
Durant les premiers jours de la seconde Intifada, à l’automne 2000, la mort en direct d’un enfant palestinien de 12 ans à Gaza fait le tour du monde. La scène est brutale. Un cameraman de France 2 filme, au péril de sa propre vie, la mort d’un jeune garçon, en pleine rue, lors d’une fusillade à Gaza. En quelques heures, la vidéo fait le tour du monde. Très vite, Mohamed Al-Dorra devient l’icône d’une lutte idéologique.
22 ans plus tard, Shireen Abu Akleh, l’une des journalistes les plus connues de la chaîne Al-Jazeera, est tuée par balle, de « façon délibérée », disent les Palestiniens, alors qu’elle couvrait une opération de l’armée israélienne dans le camp de Jénine à la Cisjordanie occupée. Entre ces deux icônes, des centaines de Palestiniens sont tombés sous les balles israéliennes, la plupart du temps sans que les responsables ne soient jugés. « Israël est l’enfant gâté de Washington. Et la communauté internationale ferme les yeux sur ses crimes », explique Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire.
Mais parallèlement aux morts quotidiennes de civils, il y a les assassinats ciblés, une pratique fréquente dans le cadre de conflits asymétriques entre les forces de sécurité d’un pays et des factions armées. « Israël est champion en la matière. Il dispose de services spéciaux très structurés et expérimentés: le Mossad pour les actions extérieures, le Shabak pour l’intérieur et les Territoires occupés. Ce dernier identifie la personne, enquête sur ses habitudes, repère sa position et propose son élimination à l’échelon politique et militaire adéquat », explique l’analyste.
Le Hamas et le Fatah premières cibles
Selon le site www.libannews.com, 430 assassinats ciblés anti-palestiniens ont eu lieu entre 2000 et 2021. Mais la liste est longue, car la pratique remonte à plus loin. Dans les années 1970, une série de responsables palestiniens ont été assassinés par le Mossad à Beyrouth et dans plusieurs villes européennes. Entre 1980 et 2000, un certain nombre d’assassinats ciblés ont visé des responsables de premier plan, à commencer par Yasser Arafat, qui a échappé à plusieurs tentatives, notamment pendant la guerre du Liban en 1982. Après lui, la personnalité la plus importante fut Abou Jihad (Khalil Al-Wazir) numéro 2 de l’OLP, tué en Tunisie le 16 avril 1988 lors de la plus grande opération menée par Israël dans son histoire, à laquelle a participé un grand nombre de commandos israéliens qui ont pu entrer en Tunisie par la mer avec l’aide américaine. Puis Fathi Al-Shaqaqi, secrétaire général du mouvement du Djihad islamique en Palestine, assassiné en 1995 à Malte par le Mossad ; et, un an plus tard, Yahya Ayyash, leader du Hamas, qu’il considérait comme son ennemi numéro un, avec un téléphone piégé dans la bande de Gaza. On peut aussi citer Abu Ali Mustafa, secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine, assassiné lors d’un raid israélien visant son bureau à Ramallah en Cisjordanie ; le chef du Hamas, Salah Shehadeh, tué dans un raid ciblant sa maison à Gaza en juillet 2002. L’année 2003-2004 a vu l’assassinat de 4 dirigeants du Hamas : Cheikh Ahmed Yassin, son fondateur, Ibrahim Al-Maqadma, Ismail Abu Shanab et Abdel Aziz Al-Rantissi, l’un des fondateurs et dirigeant du mouvement Hamas. En outre, Israël est le premier suspect dans l’assassinat du défunt président palestinien, Yasser Arafat, en 2004 : selon des rapports médicaux, la cause de sa mort est le polonium, une substance radioactive toxique.
Israël ne le cache pas, cette politique constitue un élément essentiel d’un ensemble répressif qui comprend la réoccupation de tous les Territoires palestiniens, l’utilisation massive et banalisée de la force, l’asphyxie de l’économie palestinienne, etc. Tout cela au vu et au su du monde entier. Sans jugements.
Un best-seller qui lève le voile
Le phénomène est d’une telle ampleur qu’il a inspiré le livre Lève-toi et tue le premier, du journaliste israélien Ronen Bergman, paru en 2018 en anglais et publié ensuite en 25 langues. C’est le premier ouvrage exhaustif sur les assassinats ciblés menés par le Mossad, le Shin Bet et l’armée israélienne. Le journaliste expose la longue histoire israélienne des « éliminations » d’« ennemis », par tous les moyens. Des premières attaques avant même la création de l’Etat hébreu jusqu’aux plus récentes. L’auteur révèle, documents et interviews à l’appui, à propos de cette politique de liquidation, qu’Israël est sans contestation le pays à l’utiliser le plus au monde. Selon l’auteur, en 70 ans d’existence, Israël aurait mené à terme pas moins de 2000 liquidations. Si, dans son livre, le journaliste israélien s’abstient de jugement moral, il affirme toutefois que le danger réside dans l’absence de remise en cause, surtout alors qu’Israël est depuis plus d’une décennie dirigé par l’extrême droite. « C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai écrit ce livre: il n’y a pas plus de débats ou de dilemme en Israël autour de cette question ».
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