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Emad Gad : La cause palestinienne est celle des occasions ratées

Maha Salem , Mercredi, 18 mai 2022

Dr Emad Gad, spécialiste du dossier palestinien et vice-président du CEPS, revient sur les raisons de l’échec du processus de paix. Entretien.

Emad Gad

Al-Ahram Hebdo : Malgré tout ce tollé provoqué par la mort de la journaliste palestinienne, la question palestinienne est en queue des priorités internationales. Pourquoi ?

Dr Emad Gad: Parce que plus personne n’arrive à exploiter tous les événements qui se passent dans les Territoires palestiniens occupés pour attirer l’attention du monde et réveiller sa conscience. Les dirigeants palestiniens ne savent pas faire le marketing de leur cause. La question palestinienne est celle des occasions ratées.

— La mort de Shireen a pourtant été largement médiatisée …

— Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’elle a la nationalité américaine. C’est un détail qui compte. Washington et la communauté internationale se doivent de réagir à son meurtre et aux incidents qui ont eu lieu au cours des funérailles. Cela a réveillé la conscience mondiale. Dans le monde arabe, elle était bien connue pour son courage dans l’exercice de son métier, elle avait du charisme. Et la chaîne Al-Jazeera, pour qui elle travaillait, sait bien comment profiter d’un tel acte.

— Son assassinat, dans ce timing déjà tendu, peut-il conduire à une explosion, une nouvelle Intifada par exemple ?

— Non, je ne pense pas. Il en faut plus pour qu’un soulèvement soit déclenché, il faut une volonté populaire doublée d’une volonté officielle. Or, avec les différends interpalestiniens et l’échec des tentatives de réconciliation, on a deux camps qui a chacun son propre agenda et ses propres positions. Cette division profite à Israël, qui a pu signer des accords séparés avec chaque camp. En même temps, Israël exerce de fortes pressions sur les Palestiniens. Il renforce les mesures sécuritaires et ne leur donne pas l’opportunité d’agir en groupe.

— Les dernières négociations de paix remontent à 2000, cela fait donc 22 ans que le blocage persiste. Et après ?

— Plusieurs raisons entravent la reprise du processus de paix. Tout d’abord, la division entre les camps palestiniens : depuis les années 1990, avant même les accords de paix d’Oslo, Israël mène la fameuse politique de « diviser pour mieux régner » et il a réussi à créer une vraie division entre les factions palestiniennes. Malheureusement, le fossé ne fait que s’élargir et, malgré le calme relatif, chaque camp attend de l’autre qu’il fasse le premier pas, et chacun d’eux s’intéresse à ses seuls intérêts tout en négligeant la question palestinienne. Il n’existe donc plus un front uni capable de faire face à Israël. Il a pu faire du Hamas une organisation terroriste et du Fatah une organisation faible, incapable de diriger les négociations. Les Palestiniens sont aujourd’hui plus divisés que jamais.

Autre raison importante: la position des parrains du processus de paix. Les Etats-Unis, le principal parrain, est plus que jamais l’allié d’Israël, Tel-Aviv est son enfant gâté. Quant à l’Union européenne, elle a délaissé ce dossier et ne s’intéresse qu’aux questions qui touchent ses intérêts. Quant aux Arabes, bien que la question palestinienne soit toujours en tête de leur agenda dans toutes les conférences et les réunions, aucune décision n’est prise pour soutenir politiquement les Palestiniens. Leur rôle se limite au soutien financier. Aujourd’hui, la majorité des pays arabes ont désormais de bonnes relations avec l’Etat hébreu.

— Pourquoi ce recul du rôle arabe ? De bonnes relations avec Israël auraient dû, au contraire, servir la paix …

— Depuis 2011, le monde arabe souffre de ses propres maux. Les révolutions ainsi que les crises politiques et économiques ont porté un coup au rôle arabe. En plus, le Hamas a joué un rôle néfaste dans certains pays arabes lors des révolutions. Il est aussi connu qu’il entretient de bonnes relations avec l’Iran, premier rival de plusieurs pays arabes. Ainsi, le Hamas n’est plus le bienvenu chez les pays arabes.

— Est-ce là l’une des raisons de la division qui persiste entre les Palestiniens? Pourquoi la réconciliation est-elle si difficile ?

— Israël a liquidé plusieurs dirigeants influents de différentes factions, il n’y a plus de leader capable d’unifier les Palestiniens. L’absence de dirigeants influents, le vide politique et les ambitions de la classe politique qui privilégient les intérêts personnels à ceux du pays entravent la réconciliation. Par exemple, les élections présidentielle et législatives sont reportées à une date indéterminée. Le Hamas a annoncé à plusieurs reprises qu’il céderait le pouvoir dans la bande de Gaza, mais n’a pris aucun pas pour la tenue d’élections générales. A Ramallah, le Fatah et les factions palestiniennes sont divisés : il y a le camp du président palestinien, Mahmoud Abbas, celui de Mohamad Dahlan et celui de Nasser Al-Qodwa, neveu de l’ancien président, Yasser Arafat. Chaque camp a ses priorités, et les Palestiniens sont perdus. Toutes les factions refusent que Abbas ne se représente. Mais ce dernier ne veut pas céder et s’accroche bec et ongles au pouvoir.

— Face à ce sombre tableau, le peuple palestinien est dos au mur, sans pour autant être capable d’agir …

— La majorité des Palestiniens travaillent en Israël, leur gagne-pain se trouve chez leur ennemi. Aujourd’hui, les Palestiniens veulent défendre la mosquée d’Al-Aqsa, leurs maisons, leurs terres et leurs biens personnels. L’idée de défendre une cause nationale n’est plus d’actualité. Israël a réussi à étouffer les Palestiniens et à détruire leurs rêves. Peut-être qu’un jour, cela changera, mais la donne actuelle ne prédit pas que ce jour sera prochain. Chaque camp est satisfait de la partie qu’il dirige. Le Hamas est content de gouverner la bande de Gaza et le Fatah est satisfait de diriger les autres Territoires palestiniens.

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