Al-Ahram Hebdo : Tout le monde est concerné par cette hausse des prix des produits alimentaires. Comment décrivez-vous le contexte actuel ?
Ahmed Kamal : Ce que nous vivons aujourd’hui révèle à quel point le monde est interconnecté. Les marchés des matières premières dans le monde entier ont été secoués par la guerre en Ukraine. Et ce n’est pas seulement une conséquence des sanctions mondiales contre la Russie qui influencent désormais les prix du pétrole et du gaz. Mais aussi les prix des produits de base ont grimpé en flèche en raison des perturbations de l’offre, causées par l’invasion russe qui a bloqué le flux de céréales et de métaux en provenance de cette région. La Russie et l’Ukraine jouent toutes les deux un rôle stratégique sur les marchés internationaux des matières premières, les deux sont de grands exportateurs de blé, de céréales, de pétrole, de gaz, de charbon, or et métaux précieux.
La guerre a affecté à la fois la production nationale des deux pays, mais aussi les chaînes de distribution cruciales vers le reste du monde, faisant grimper les prix. Une situation qualifiée de catastrophique par de nombreux pays. Les experts mettent en garde contre les conséquences de ce qu’ils appellent une extrême volatilité des marchés et les analystes prévoient que l’impact de la guerre sur la production de céréales pourrait doubler les prix internationaux du blé. Le conflit est un coup dur pour l’économie mondiale ; il va nuire à la croissance, va entraîner une hausse des prix des matières premières, telles les denrées alimentaires et l’énergie, et fera encore augmenter l’inflation qui aura pour effet d’éroder la valeur des revenus et de peser sur la demande. Bref, il s’agit de perturbations sans précédent des échanges commerciaux, des chaînes d’approvisionnement et des transferts de fonds. Ce qui engendrera des conséquences directes sur le porte-monnaie du citoyen.
— Comment le ministère se prépare-t-il aux possibles scénarios à venir ?
— La situation actuelle est assez complexe. Personne ne peut prédire la tournure que prendront les événements, mais à part mon poste actuel et ayant fait des études de sciences politiques, je peux dire que l’Histoire montre qu’à chaque conflit géopolitique, les marchés financiers réagissent le plus lorsque les prix de l’énergie grimpent, et les marchés boursiers mondiaux connaissent une incertitude aussi accrue. Aujourd’hui, on commence à ressentir les répercussions de ces conditions sur nos marchés. Si les chaînes d’approvisionnement se déplacent, si les réseaux de paiement se fragmentent, les pays réexaminent leurs réserves. Nous vivons dans un monde plus exposé aux risques. L’économie mondiale fait face à un choc. Le choc d’offre de l’énergie fossile et des denrées alimentaires. Cette baisse de l’offre va automatiquement réduire certaines activités. Ce qui nous importe, c’est de rendre disponibles les produits alimentaires, tout en maintenant la position du pouvoir d’achat du citoyen. Nous réévaluons les perspectives d’une hausse de l’inflation et son impact sur le budget du citoyen. Les conséquences de la guerre ont non seulement ébranlé les deux pays, mais le monde entier. L’économie mondiale est à l’épreuve. Ce qui révèle l’importance de procédures urgentes pour amortir les risques.
— A quoi faut-il s’attendre pour les mois à venir ?
— Nous sommes conscients que cette hausse des prix arrive dans un double contexte, celui de la guerre, ainsi que l’arrivée du mois du Ramadan, un mois de consommation important des produits alimentaires. Notre rôle est d’apporter une réponse à tous les citoyens touchés par la crise et de rassurer ceux qui en ont le plus besoin. Le gouvernement a donc pris des mesures urgentes pour réduire l’impact de cette hausse des prix. Des mesures ciblées aux citoyens les plus touchés, des mesures de soutien au pouvoir d’achat, un plan d’urgence avec des mesures exceptionnelles pour préserver la compétitivité et suivre l’évolution de la situation des marchés mondiaux pour prendre de nouvelles mesures en fonction. Nous sommes conscients que nous rentrons dans un monde nouveau et qu’il va falloir accélérer notre indépendance. C’est un nouvel ordre économique qui suscite d’importantes incertitudes, mais qui exige aussi des décisions audacieuses. Notre rôle consiste à nous préparer à tous les scénarios, de prendre des mesures pour réduire le choc. Le gouvernement tient des réunions exceptionnelles pour examiner la situation et prendre des décisions en fonction des évolutions.
— Quelles procédures avez-vous pris pour sécuriser notre réserve en blé, surtout que l’Egypte importe essentiellement de la Russie et de l’Ukraine ?
— Nous avons travaillé sur plusieurs axes simultanément. Tout d’abord, nous avons commencé par renforcer notre réserve stratégique de blé, en élargissant le cercle de nos fournisseurs. En plus de la Russie et de l’Ukraine, nous avons reçu des tonnes de blé de la Roumanie et de la France afin d’approvisionner le marché au cours des quatre prochains mois. Puis nous avons décidé de mettre une pause aux approvisionnements extérieurs en blé et de miser sur la production nationale pour couvrir nos besoins jusqu’à la fin de l’année. Nous avons également suspendu les exportations des produits de base, dont les céréales, l’huile, l’avoine, le maïs et les lentilles pour couvrir les besoins du marché local. Il était impossible de prendre de telles décisions si l’Egypte n’avait pas accéléré ses efforts visant à améliorer sa productivité agricole. Et ce n’est pas tout. Le ministère de l’Approvisionnement a pris des mesures de précaution pour sécuriser le stock de blé local. La saison de récolte commence en avril et la réserve doit suffire jusqu’à la fin de l’année. Nous avons annoncé une prime exceptionnelle pour les agriculteurs de blé, afin de les encourager à donner à l’Etat une quantité plus grande de leurs récoltes cette année. Le prix d’achat du blé local sera de 865 L.E. pour chaque 150 kg.
L’important est de limiter au maximum notre dépendance des marchés internationaux et d’éviter de recourir aux bourses mondiales à un moment aussi délicat. Le marché mondial est perturbé, les pays importateurs sont à la recherche d’autres sources de blé, beaucoup de pays vont imposer des restrictions sur les exportations afin d’assurer leur stock local. Trouver des millions de tonnes de blé sur le marché international ne sera pas facile. Encadrer le tarif du pain non subventionné était aussi nécessaire, une réforme du processus de distribution du pain subventionné est aussi possible. Le prix de vente de ce pain représente moins du dixième du coût de production qui a triplé au cours des trente dernières années.
— Et comment contrôler les marchés ?
— Nous avons créé une chambre centrale d’opérations au sein du ministère afin de contrôler le marché et protéger le consommateur de toutes sortes d’abus de la part des commerçants. Lorsque les ressources deviennent rares à cause de circonstances exceptionnelles, certains vendeurs exploitent la situation pour faire plus de profits. Notre rôle est de maintenir un juste prix des marchandises et un marché réglementé qui garantit les règles de négociations équitables et maintenir un prix abordable pour les denrées de base. Nous avons renforcé nos campagnes d’inspection des marchés, endurci les peines face à toute sorte de monopole de la part des commerçants pour atteindre cinq ans de prison. De même, nous appelons les citoyens à ne pas exagérer dans leurs achats pour ne pas contribuer à la hausse des prix. Nous avons également multiplié les foires « Bienvenue ramadan » qui offrent les produits alimentaires à des prix abordables. Ce qui nous importe, c’est d’inonder les marchés de produits afin de créer un état de confiance chez le consommateur. Sinon, sous l’effet de la panique, il fera des décisions d’achats non contrôlés, toute perte de confiance va à son tour engendrer une hausse de prix.
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