La paix, c’est pour quand? Au carrefour entre le Moyen-Orient et l’Afrique, la Corne de l’Afrique se trouve au centre d’enjeux géopolitiques variables. Tensions latentes et transitions politiques toujours en panne. Cette région est affligée de nombreux maux qui se croisent et s’entremêlent : conflit au Tigré, manifestations au Soudan, crise politique et urgence climatique en Somalie, conflits frontaliers hérités du colonialisme entre le Soudan et l’Ethiopie, et entre la Somalie et le Kenya. Située dans la partie orientale du continent africain, la Corne de l’Afrique, prenant la forme d’une corne de rhinocéros sur la carte, occupe une importance stratégique grâce à son emplacement géographique. Elle constitue une voie ouverte de la mer Rouge à la mer d’Arabie, en passant par l’océan Indien et le golfe d’Aden.
Donner une définition précise à la Corne de l’Afrique, que ce soit de point de vue géographique ou politique, pose une problématique. Selon les chercheurs en anthropologie, la Corne de l’Afrique est le terme qui désigne les terres des Somaliens en Somalie, Djibouti, dans la région d’Ogaden en Ethiopie et dans l’extrême nord du Kenya, alors que les géographes la définissent comme étant une extension géographique liant la mer Rouge au golfe d’Aden, pour inclure l’Erythrée, l’Ethiopie et le Kenya. Selon le sens politique basé sur des considérations historiques, il s’agit d’une zone stratégique qui comprend trois unités politiques, à savoir la Somalie, Djibouti et l’Ethiopie. Autre définition: ce terme, dans son acception la plus large basée sur l’importance économique et stratégique de la Corne de l’Afrique, désigne 10 pays allant de l’Erythrée au nord à la Tanzanie au sud en passant par le Soudan du Sud, le Soudan, le Burundi, le Rwanda, Djibouti, la Somalie, l’Ethiopie, la Tanzanie, le Kenya et l’Erythrée.
Le port de Djibouti est situé au carrefour des grandes routes maritimes en provenance de trois continents, l’Afrique, l’Asie et l’Europe.
Dans ce contexte, selon Amani El-Taweel, chef du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, la Corne de l’Afrique devient l’un des corridors pétroliers les plus importants au monde. Environ 52 navires et 5 millions de barils de pétrole traversent le détroit chaque jour. « Les découvertes d’hydrocarbures dans la Corne de l’Afrique ont augmenté son importance stratégique et économique », souligne la spécialiste, avant d’ajouter que l’initiative « La Ceinture et la Route », lancée en 2013 par la Chine, a constitué « une nouvelle donne pour cette région qui est devenue encore plus stratégique, puisque la Chine a entamé des projets d’infrastructures modernes dans plusieurs pays, tels des chemins de fer, des routes, des ports et des barrages ».
Conflits, ingérences et catastrophes naturelles
Comment se dessine la carte des conflits dans cette région? Les conflits internes ou les guerres par procuration constituent l’une des principales caractéristiques du paysage de la Corne de l’Afrique, explique Ahmad Amal, directeur de l’unité des études africaines au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS). Du colonialisme aux guerres civiles, la Corne de l’Afrique, dans son ensemble, n’a pratiquement jamais connu la paix et la stabilité régionale: de la guerre civile soudanaise, qui a éclaté en 1955 et s’est prolongée jusqu’en 2005, à la première guerre de l’Ogaden en 1964, à la seconde Ogaden en 1977, en passant par les guerres de Tanzanie et d’Ouganda en 1978, puis la guerre éthiopienne-érythréenne de 1998-2000. A ceux-ci s’ajoute le conflit armé qui dure depuis des décennies dans l’est du Congo. Et finalement, le conflit du Tigré, le plus meurtrier et le plus violent depuis plus de vingt ans. Selon la spécialiste, les facteurs de fragilité dans la Corne de l’Afrique sont multiples. « Le processus de la construction de l’Etat souffre d’une fragilité structurelle, et cela est due à plusieurs considérations, notamment la nature de l’Etat moderne dans la région et les conflits ethniques, culturels et religieux qui se chevauchent entre ses organes politiques, comme cela est évident dans le cas de la Somalie », explique Mohamad Abel-Karim, chercheur spécialiste d’Afrique (voir page 5). Les catastrophes naturelles récurrentes, telles les sécheresses, ainsi que la pandémie, ont encore compliqué le chemin vers la paix et le développement.
Selon Ahmad Amal, il n’existe pas aujourd’hui un seul pays que l’on puisse appeler « le pays leader » dans cette région. « Les grandes transformations internes ont engendré une certaine compétition entre les pays de la Corne de l’Afrique sur le leadership régional, notamment après le recul relatif du poids régional de l’Ethiopie », assure l’expert. Pour sa part, le Soudan tente de profiter de sa position régionale, notamment après la fin de son isolement international. Il en est de même pour le Kenya, qui attire aujourd’hui des Investissements Etrangers Directs (IED) plus diversifiés que ses voisins, dans l’exploitation des ressources naturelles et pétrolières. Nairobi accueille désormais tous les pourparlers concernant la lutte contre le terrorisme dans la région en remplaçant Addis-Abeba. Djibouti, malgré sa taille réduite, tente elle aussi à exploiter son positionnement géographique stratégique à l’entrée du golfe d’Aden entre la mer Rouge et l’océan Indien. Elle renferme le plus grand nombre de bases militaires étrangères dans la région. D’ailleurs, « les rivalités entre les grandes puissances, mais aussi entre acteurs régionaux qui s’impliquent dans la Corne de l’Afrique, ont alimenté davantage cette compétition et ont profondément influencé les paysages politiques locaux. Cette connexion à double sens entre géopolitique et politique locale a créé une sorte de déséquilibre régional au sein de la Corne de l’Afrique », selon l’expert.
La vision égyptienne
« Les questions liées à la sécurité et la stabilité dans la Corne de l’Afrique doivent être traitées dans une perspective globale », a souligné le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, lors de sa rencontre avec l’envoyé spécial des Etats-Unis pour la Corne de l’Afrique, David Satterfield, au cours de sa visite en Egypte, dans le cadre de sa tournée dans la région fin janvier. Le Caire porte également un intérêt particulier à la région de la Corne de l’Afrique pour son importance stratégique. Et ce, pour plusieurs raisons, comme l’explique Ahmad Amal: assurer la sécurité des ressources en eau, la sécurité du Soudan et de la mer Rouge. La visite du président Abdel-Fattah Al-Sissi à Djibouti, le 27 mai 2021, était une date importante dans l’histoire des relations de l’Egypte avec la Corne de l’Afrique. Il s’agit de la première visite d’un président égyptien à Djibouti, depuis son indépendance en 1977. Outre les efforts politiques et diplomatiques, l›Egypte a signé une série d›accords de coopération de défense et de sécurité avec plusieurs pays de la région: l›Ouganda, le Kenya, le Burundi, le Soudan et Djibouti. Sur le plan économique, l’Egypte et Djibouti viennent de signer trois protocoles d’entente, lors de la visite du président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, au Caire le 9 février. Le premier porte sur la création d’un mécanisme de concertation politique entre les deux ministères des Affaires étrangères, le deuxième sur la création d’une zone logistique égyptienne à Djibouti et enfin, un protocole d’entente dans le domaine de l’énergie et des ressources renouvelables.
Lien court: