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Infrastructures technologiques, le défi des pays du Sud

Marwa Hussein , Mercredi, 07 février 2024

Pour bien profiter des avantages de l’Intelligence Artificielle (IA), les pays en développement doivent améliorer leurs infrastructures, leurs bases de données et leur cadre juridique.

Infrastructures technologiques, le défi des pays du Sud

L’intelligence Artificielle (IA) prend de plus en plus d’espace dans la vie moderne. Déjà, elle fait partie de notre quotidien, sans que nous en soyons complètement conscients, comme lorsque nous commandons un Uber. En principe, la technologie facilite la vie et offre plus d’opportunités aux personnes, mais les avantages de cette nouvelle technologie ne bénéficient pas équitablement à tout le monde. Au moment où les pays développés occupent le devant de la scène, les pays en développement courent le risque de prendre du retard. Le Rapport sur la technologie et l’innovation 2023 de la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) révèle que les pays pionniers de l’IA, tels que la Chine, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, possèdent près de la moitié de toutes les publications et brevets liés à l’IA. « Cette domination laisse de nombreux pays, en particulier les pays les moins avancés, à la traîne et souvent relégués au rôle de simples fournisseurs de données », souligne la CNUCED, mettant le point sur le fait qu’une poignée de géants mondiaux de la technologie contrôle la plupart des flux de données et des revenus des services numériques». Un article publié sur le blog du Fonds Monétaire International (FMI) avertit que les nouvelles technologies peuvent creuser l’écart entre les pays pauvres et les pays riches. « Cela en orientant davantage d’investissements vers les pays avancés où l’automatisation est déjà établie », clarifie la CNUCED. Le FMI craint que cette évolution ne puisse avoir « des conséquences défavorables pour l’emploi dans les pays en développement et ce, en menaçant de remplacer plutôt que de compléter leur population active croissante ».

Les données, ingrédient de base

Les pays en développement font face à plusieurs facteurs qui les rendent moins aptes à bénéficier de l’IA et les exposent à courir des répercussions moins favorables que les économies développées, qui ont participé à la création de cette nouvelle technologie. L’un des problèmes majeurs susceptibles de ralentir le développement de l’IA dans les pays moins développés est les infrastructures. « Les problèmes d’infrastructure auxquels sont confrontés les pays du Sud pourraient potentiellement entraver le développement de l’IA dans ces régions, compte tenu des grandes quantités de données nécessaires à la formation des systèmes d’IA et du nombre élevé de ressources informatiques consommées dans ce processus », note une étude publiée par Brookings Institution, un centre de recherche basé aux Etats-Unis. Selon lui, au cours de la dernière décennie, la pénétration d’Internet en Afrique a considérablement augmenté, passant de 8 % en 2011 à 36 % en 2021, un taux toujours limité par rapport à d’autres régions du monde. « La pénétration limitée d’Internet en Afrique peut être largement attribuée à un accès inadéquat à l’électricité et à des investissements insuffisants dans les composants essentiels de l’infrastructure Internet tels que la fibre optique, les câbles, les tours cellulaires et les stations de base », souligne Brookings Institution. Les estimations de la Banque mondiale indiquent que connecter les 100 millions d’Africains résidant dans des zones reculées nécessiterait un investissement d’au moins 100 milliards de dollars.

Les données sont un élément de base de l’IA, qui est aussi en défaveur des pays en développement et émergents. Naglaa Rizk, professeure d’économie à l’Université américaine du Caire et directrice fondatrice du Centre d’accès à la connaissance pour le développement (A2K4D), souligne que les données, l’infrastructure et la formation des personnes sont les trois ingrédients essentiels pour profiter de cette nouvelle technologie, en mettant l’accent sur les données. « Les données sont l’ingrédient de base de l’IA, il nous faut des données précises et extensives », souligne-t-elle. Dans un papier publié par Rizk, sous le titre : Intelligence artificielle et inégalités au Moyen-Orient : l’économie politique de l’inclusion, dans le manuel d’Oxford sur l’éthique de l’IA, elle dissèque la position de la région quant aux éléments de base de l’IA. A propos des données, elle souligne que « les données sont au coeur du discours sur l’IA et les inégalités dans la région. Alors que de meilleurs ensembles de données permettent de régler les algorithmes pour donner de meilleurs résultats, les données biaisées peuvent provoquer ou amplifier des inégalités et de la marginalisation. Les données de qualité font défaut dans la région et les données disponibles sont sujettes à des défis. Ceux-ci peuvent eux-mêmes créer ou amplifier des préjugés qui entraînent des conséquences néfastes, en particulier aux groupes marginalisés ».


Les pays en développement font face à plusieurs facteurs qui les rendent moins aptes à bénéficier de l’IA.

Développer le cadre législatif

En plus du manque de données, la région, comme d’autres régions du Sud, n’est pas au-devant de la scène quant à la protection des données. « L’absence de politiques solides en matière de protection des données et d’IA dans les pays du Sud pourrait potentiellement conduire à des niveaux d’utilisation inappropriés plus élevés à mesure que l’IA gagne en portée », note Brookings Institution, tout en donnant une lueur d’espoir : « Etant donné que la législation sur l’IA en est encore à ses débuts à l’échelle mondiale, les pays du Sud ont la possibilité de contourner les impacts négatifs potentiels de l’IA. Pour contrer ces dommages, les gouvernements représentant ces pays doivent déployer des efforts concertés pour élaborer des stratégies d’IA et progresser vers leur mise en oeuvre afin de protéger les communautés vulnérables et de permettre une innovation responsable. Ils doivent également être représentés de manière bien visible à la table des discussions multilatérales mondiales sur l’IA ». Naglaa Rizk partage le même point de vue, insistant sur le fait que « l’environnement législatif et les données sont de très grande importance pour le développement de l’IA dans un pays donné. Les lois de protection des données sont très importantes, l’Egypte en possède une, mais il faut la développer davantage et créer son statut exécutif ».

L’IA, comme toute autre technologie, peut être une arme à double tranchant. « La technologie peut nous permettre d’avancer, ce qui se passe est que les producteurs de la technologie avancent plus vite. Les écarts entre les pays vont avoir lieu, mais il existe des pays qui parviennent à bien profiter de la technologie et d’autres qui parviennent même à développer et investir dans la technologie et dans les ressources humaines pour devenir producteurs. C’est le cas de la Corée du Sud et des tigres asiatiques dans les années 1980. La question reste de savoir comment utiliser la technologie. L’IA peut être utile, comme elle peut bien avoir des désavantages, il faut être conscient de cette réalité », renchérit Rizk. « Il existe un écart économique énorme dans le monde, que l’IA peut aggraver, mais s’il y a une prise de conscience dans les pays en développement de l’importance de l’IA, elle pourra servir à réduire cet écart dans les domaines de la santé, de l’industrie et des services, etc. Prenant le Chat GPT, à tire d’exemple, il produit un contenu qui peut négativement affecter le système éducatif, mais il faut apprendre à utiliser ces technologies d’une manière qui nous soit bénéfique. En tant que professeure, j’ai commencé à modifier les formes des tests et des examens pour prévenir que mes étudiants utilisent ces technologies pour accomplir leurs tâches. Je fais plus d’examens oraux par exemple. Cette technologie va évidemment nous toucher, nous ne pouvons pas changer ce facteur, il faut nous changer nous-mêmes », conclut-elle.

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