La crise déclenchée par le protocole d’accord conclu entre l’Ethiopie et la région séparatiste du Somaliland prévoyant la location pour 50 ans à l’Ethiopie de 20 km de côtes sur le golfe d’Aden ; portant ainsi atteinte aux principes de bon voisinage, au respect de la souveraineté et à l’intégrité territoriale des Etats, a capturé de nouveau l’attention du monde entier vers la région de la Corne de l’Afrique, l’une des régions les plus pauvres et les plus fragiles au monde.
La crise a dévoilé également l’incapacité de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), durant son dernier sommet tenu en Ouganda, à Kampala, le 18 janvier, d’aborder sérieusement les questions sensibles de la région, comme la crise au Soudan, ni d’obliger l’Ethiopie à renoncer à l’accord conclu avec le Somaliland.
Alors que les peuples des Etats de la région souffrent depuis quelques années de graves problèmes politiques et de développement, les défis climatiques et environnementaux qui ne cessent de s’accroître dans la région ces dernières années accentuent l’acuité de ces maux. Par exemple, le changement climatique qui engendre des vagues de sécheresse ou des inondations frappant profondément certaines parties de la région de la Corne de l’Afrique ne fait qu’attiser la tension politique entre les groupes des habitants qui souffrent d’une hausse des taux de pauvreté et de famine et de l’incapacité des gouvernements à atteindre des objectifs de développement durable.
Des rapports internationaux publiés à la fin de l’année 2023 (dont une étude publiée par le « World Weather Attribution ») signalent les effets catastrophiques des vagues de pluies fortes et des changements climatiques sur les différentes activités économiques, en particulier l’agriculture et l’élevage, et ce, en plus des problèmes sécuritaires et politiques. Tout cela a fait que les sociétés de la Corne de l’Afrique vivent sous le stress de circonstances extrêmement compliquées. La Somalie connaît des vagues de sécheresse ; le groupe terroriste Al-Shabab menace de doubler ses opérations dans la région après la signature de l’accord entre l’Ethiopie et le Somaliland. Tout ceci confirme que les répercussions dus au changement climatique aurons leur impact plausible sur la violence et le terrorisme, qui viennent s’ajouter déjà aux fardeaux de l’Etat somalien face à ses défis de développement.
Les répercussions surviennent au moment où la Somalie a réussi à conclure un accord important avec la Banque mondiale fin 2023, selon lequel cette dernière fournirait un programme d’aide d’un montant de 100 millions de dollars supplémentaires pour aider la Somalie à surmonter les dégâts causés par les inondations et l’insécurité alimentaire. Cet accord a été suivi par un autre historique signé entre Mogadiscio et le Fonds Monétaire International (FMI) à la mi-décembre 2023, stipulant l’exemption de la Somalie de ses dettes de 4,5 milliards de dollars. Le FMI a reconnu que le gouvernement somalien a réussi ses politiques de baisse des taux de pauvreté et la réalisation d’un niveau convenable des objectifs du développement durable, parmi lesquels l’amélioration de l’adaptation aux répercussions du changement climatique.
L’enjeu séparatiste
Outre les circonstances naturelles et environnementales qui ont des répercussions à long terme, il existe un nombre de problèmes politiques et économiques fortement enracinés dans la Corne de l’Afrique, qui font éruption de temps en temps dans différentes parties de la région.
Parmi ces problèmes figurent les mouvements séparatistes dont souffrent les pays de la région depuis la période de leur libération nationale et leur accession à l’indépendance, quelle que soit la complexité du processus de formation d’un Etat national dans la région, en particulier l’Ethiopie, dont les frontières actuelles ne se sont clarifiées que dans les années 1960 avec l’annexion de la région somalienne de l’Ogaden qui représente à elle seule un tiers de la superficie éthiopienne. Ces mouvements sont nés de leurs cendres pendant les dernières années comme il est apparu dans la crise de la région du Tigré à l’intérieur de l’Ethiopie. Le bilan de la guerre meurtrière qui a duré deux ans (novembre 2020- novembre 2022) entre le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) était lourd, causant la mort et le déplacement de centaines de milliers d’habitants de la région. Cette guerre sera considérée dans les annales de l’Histoire comme l’une des plus grandes catastrophes humanitaires dans le continent africain au cours des dernières décennies.
Au Soudan, des tendances séparatistes dangereuses sont apparues au niveau des milices des Forces de soutien rapide (en particulier dans de vastes zones de la région du Darfour) pendant la crise qui déchire le pays actuellement. Ces crises ont été beaucoup influencées par la force de l’ingérence étrangère, que ce soit dans des tentatives de les contrôler ou de les alimenter. Ce qui jette son ombre sur la capacité des Etats de la Corne de l’Afrique d’affronter toute escalade probable de crises séparatistes, comme dans le cas du Somaliland, sans que la région en entier ne soit exposée à un conflit ouvert face aux intérêts internationaux et régionaux contradictoires qui ne prennent pas en considération les intérêts de la paix et du développement dans la région.
Une coopération régionale en déclin
La Corne de l’Afrique est également confrontée à un dilemme très dangereux, à savoir le déclin du potentiel de coopération régionale, ou de ce que certaines capitales de la région, notamment Addis-Abeba, ont tenu à présenter comme un projet d’intégration régionale pour couvrir clairement leurs efforts d’hégémonie et imposer ses options politiques et économiques aux partis les plus faibles de la région.
Par exemple, la Communauté économique de l’Afrique de l’Est (CAE) a annoncé en novembre 2023 avoir accepté la Somalie comme membre, ce qui a été décrit comme un grand pas en avant dans les efforts de la Somalie de construire ses institutions et ses relations régionales et de renforcer son économie. Alors que la CAE profitera à son tour des grandes capacités de la Somalie qui ne sont pas encore exploitées. Cette démarche a suscité le mécontentement de l’Ethiopie qui se considère être un « gardien » traditionnel des politiques étrangères de la Somalie, depuis qu’elle l’a envahie en 2006, et qui n’a pas encore pu adhérer à ce groupe économique.
Cette tension s’est reflétée sur le recul des plans de complémentarité économique, promus notamment par l’Ethiopie et le Kenya, entre les Etats de la Corne de l’Afrique, à travers un ensemble de mécanismes, dont « L’Initiative de la Corne de l’Afrique », promulguée par les ministres des Finances de la région, en coopération avec le FMI et la Banque mondiale, en 2019. En effet, les opportunités d’exécution des projets convenus conformément à l’initiative (d’une valeur de 42 millions de dollars assurés par des partenaires internationaux) ont reculé.
La crise qui devrait s’étendre à la suite du mémorandum d’accord entre l’Ethiopie et le Somaliland complique davantage le processus de « l’intégration régionale » confuse dans la Corne de l’Afrique. Ces problèmes ont trait à la mesure dans laquelle ce processus d’intégration respecte la souveraineté des Etats membres, compte tenu de la présence de profondes différences entre la Somalie et le Kenya (les deux parties de l’initiative) concernant la souveraineté sur les zones maritimes somaliennes riches en ressources énergétiques. En plus, l’accord de Somaliland menace la position économique du Djibouti en tant que débouché majeur pour le commerce extérieur de l’Ethiopie (environ 98 % du commerce éthiopien passe par le port de Djibouti).
Bref, les divers problèmes dont souffre la région de la Corne de l’Afrique représentent des défis permanents pour ses gouvernements et ses sociétés. Avec le déclin des capacités des pays de la région à faire face à des défis tels que les répercussions du changement climatique et l’approfondissement de la coopération économique et de l’entente politique entre ses différents pays, l’évolution récente à Addis-Abeba, après la signature d’un mémorandum d’accord avec une région séparatiste d’un Etat doté d’une souveraineté, de frontières et d’une légitimité internationalement reconnues, représente une menace sérieuse pour la situation globale dans cette région et affaiblit sa capacité à faire face aux défis qui existent depuis des décennies. Tous les Etats de la région sont placés dans une position très vulnérable face aux effets dangereux qui résulteront de la mise en oeuvre de ce protocole d’accord, étant donné qu’il est connu que l’Ethiopie néglige les intérêts de ses voisins au profit de la logique de l’hégémonie quel que soit le préjudice causé à ses voisins.
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