« l’union européenne doit faire clairement comprendre qu’il ne peut y avoir ni coopération politique, ni coopération économique sans une démocratie plurielle en Egypte ». C’est dans ces termes que Martin Schultz, président du Parlement européen, menaçait ce samedi l’Egypte de Morsi, alors même que ce dernier approuvait la soumission au référendum d’une Constitution finalisée dans la plus grande hâte, une semaine après une déclaration constitutionnelle qui lui accorde les pleins pouvoirs. « Nous ne pouvons pas approuver de coup d’Etat », ajoutait Schultz, en référence aux derniers développements.
Au terme d’une semaine de réactions mesurées des puissances occidentales à la crise politique et institutionnelle qui secoue l’Egypte, cette menace, formulée par le Parlement européen seul, sonne comme une rupture. Mais cette instance ne représente pas directement la position officielle de l’Europe. Paris, par exemple, s’est contenté de dire que les choses ne vont pas « dans la bonne direction ».
« Pragmatisme politique »
C’est, comme le rappelle Abdel-Moneim Saïd, ancien PDG d’Al-Ahram, « le pragmatisme politique » qui motive avant tout les réactions des puissances occidentales face à la politique intérieure, comme extérieure, de l’Egypte. Il ajoute que « ce pragmatisme vise d’abord le maintien de la carte stratégique actuelle dans la région ».
Walid Kazziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, qualifie, lui, la réaction internationale, en particulier celle des Etats-Unis, de « remarquablement lente ».
Le 26 novembre, à la veille d’une mobilisation massive de l’opposition qui s’est ensuite muée en sit-in place Tahrir, l’administration américaine déclarait se refuser « à préjuger des développements ultérieurs de la situation ». La rupture du processus démocratique n’est toujours pas évoquée en tant que telle, et la Maison Blanche précise que « ce qui compte ici, c’est que la transition vers la démocratie se fasse comme le peuple égyptien l’entend, et non selon nos propres points de préoccupation ».
Les Etats-Unis ont par ailleurs renouvelé le même jour leur assurance du maintien de leur aide directe à l’Egypte, tandis que la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, rappelait à Morsi que les Etats-Unis veulent « que le processus constitutionnel aille de l’avant d’une manière qui ne concentre pas trop le pouvoir entre les mains d’un seul groupe ».
La même attitude avait prévalu durant la révolution de janvier-février 2011. « La réaction internationale est hors sujet depuis la révolution, dit Kazziha, leur intervention est depuis dans l’ensemble inefficace, et les pays étrangers n’ont plus aucune crédibilité pour les Egyptiens ».
Réaction tardive de l’Onu
La réaction de l’Onu s’est fait attendre jusqu’à vendredi, quand Navi Pillay, la haute commissaire aux droits de l’homme, a exhorté le président égyptien « à reconsidérer la déclaration constitutionnelle, dont nombre des dispositions sont incompatibles avec les normes des droits de l’homme internationales ». Elle souligne que l’Egypte se doit de respecter dans sa Constitution les traités internationaux qu’elle a ratifiés en 1982 : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
« La liberté et la justice sociale — slogans de la révolution égyptienne — sont également les pierres angulaires de l’architecture internationale des droits de l’homme, notamment de ces traités », écrit-elle. Reconnaissant les efforts déployés par le président depuis qu’il a commencé son exercice « dans la lutte contre les violations des droits de l’homme et l’impunité », elle avertit que « l’approbation d’une Constitution dans ces circonstances pourrait être une mesure générant encore plus de divisions ».
Les puissances occidentales sont acculées à respecter à la lettre leur « devoir de non-ingérence », et leur position vis-à-vis de la situation de politique intérieure actuelle semble se résumer dans cette déclaration, jeudi 29 novembre, d’un officiel de la Maison Blanche : « Ce qui est intéressant, c’est qu’il (Morsi) s’avère être un politicien qui comprend les différents publics auxquels il s’adresse ... L’Egypte continuera de jouir d’un certain équilibre des pouvoirs ».
Mais Abdel-Moneim Saïd précise par ailleurs : « L’Occident s’attendait sans doute à bien pire en terme de Constitution. Et il est probable qu’il trouve que Morsi a bien en main l’extrême droite égyptienne ».
Menaces dans le vide
Quel poids pourrait donc avoir la « menace » du Parlement européen ? L’Union européenne, emmenée par Catherine Ashton, a travaillé très dur pour créer des liens avec Morsi et les Frères musulmans, et elle cherche, avec son prêt de 5 milliards d’euros, à se placer comme premier partenaire économique de l’Egypte, devant les USA et la Chine.
L’enjeu paraît de taille ... mais il l’est de part et d’autre. D’autant plus que l’Europe ferait, ici, cavalier seul : le FMI a rappelé cette semaine que seul « un changement majeur dans la politique économique en Egypte » remettrait en cause le plan d’aide prévu de 4,8 milliards de dollars.
« Il y a trop d’enjeux à tous les niveaux, explique Saïd, pour qu’une menace ou une intervention puisse avoir un quelconque poids ou soit souhaitable ».
Kazziha estime que « les sanctions économiques ne peuvent pas constituer de vrai levier. Il se trouve que c’est le cadet des soucis, aussi bien des Frères musulmans que de leurs opposants ». En définitive, l’ensemble des réactions occidentales semblent s’adresser d’abord à leurs propres opinions publiques. En Egypte, elles n’ont absolument aucun impact tant sur les responsables que sur la population .
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